Convoqué dans l'enquête sur l'assassinat du président haïtien, le Premier ministre dénonce des diversions

Le Premier ministre haïtien a dénoncé samedi des "manoeuvres de diversion" dans l'enquête sur l'assassinat du président Jovenel Moïse, après avoir été invité à se présenter devant la justice, qui affirme qu'il a eu des conversations téléphoniques avec une des personnes recherchées.

Soupçonné par la justice d'avoir eu des conversations téléphoniques avec une des personnes recherchées quelques heures après le meurtre, le Premier ministre haïtien n'a pas tardé à riposter, ce samedi 11 septembre. 

Des appels téléphoniques qui sèment encore plus le doute

"Les manoeuvres de diversion pour semer la confusion et empêcher la justice de faire sereinement son travail ne passeront pas", a déclaré Ariel Henry.  

"Les vrais coupables, les auteurs intellectuels et les commanditaires de l'assassinat odieux du président Jovenel Moïse seront trouvés, traduits en justice et punis pour leur forfait", a-t-il ajouté. 

Vendredi soir, Me Bed-Ford Claude, commissaire du gouvernement de Port-au-Prince (équivalent du procureur) a invité Ariel Henry à se présenter mardi (14 septembre) au parquet, affirmant qu'il avait eu, quelques heures après le meurtre de Jovenel Moïse, des conversations téléphoniques avec l'une des personnes activement recherchées dans le cadre de l'enquête. 

Ancien cadre de l'unité de lutte contre la corruption, dépendante du ministère de la justice, Joseph Félix Badio aurait été géolocalisé dans le quartier où se situe la résidence privée de Jovenel Moïse lors des appels passés à Ariel Henry à 04h03 puis 04h20.  

Un juge ayant déjà été chargé de l'instruction, le procureur n'a pas le pouvoir d'inviter ou de convoquer quelqu'un mais il justifie sa démarche en évoquant la "gravité extrême" de ce dossier "pour la nation". 

Légalement, un Premier ministre ne peut être auditionné par un juge que si le président de la République l'y autorise.  

Dans son courrier, Me Bed-Ford Claude a ainsi précisé à Ariel Henry que sa présentation au parquet dépendait de son entière volonté "tenant compte des restrictions dues à votre statut de haut fonctionnaire de l'État".  

Sans prendre de telles précautions, l'office haïtien de la protection du citoyen s'est déclaré "révolté et sidéré" par la révélation de ces appels téléphoniques.  

"Monsieur Ariel Henry doit incessamment démissionner et se mettre à la disposition de la justice", indique une lettre signée samedi par Renan Hedouville, à la tête de l'institution publique.  

Quarante-quatre personnes, dont 18 Colombiens et deux Américains d'origine haïtienne, ont déjà été arrêtées dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Jovenel Moïse commis dans sa résidence privée sans qu'aucun policier de sa sécurité rapprochée ne soit blessé.  

Des primes offertes pour faire avancer l'enquête

Cette nouvelle révélation intervient quelques jours après l'offre de primes du ministre de la Justice haïtien, pour aider à l'arrestation de trois personnes présumées impliquées dans l'assassinat du président Jovenel Moïse, tué le 7 juillet à son domicile par un commando armé. Parmi ces trois personnes recherchées, Joseph Félix Badio...

"Le ministère de la Justice met une prime spéciale de 6 millions de gourdes (environ 51 700 euros) sur la tête de trois fugitifs importants : Wendelle Thelot Coq, Joseph Félix Badio et John Joël Joseph", a déclaré devant la presse Rockefeller Vincent. 
Wendelle Coq était la seule femme juge à la Cour de cassation avant qu'elle ne soit mise à la retraite, en février, par le président Moïse. Cette décision a été contestée depuis lors, car les magistrats de la plus haute instance judiciaire du pays étant inamovibles, le pouvoir exécutif n'a pas les compétences pour un tel acte.
Joseph Félix Badio est un ancien cadre de l'unité de lutte contre la corruption, dépendante du ministère de l'Economie et des finances, et John Joël Joseph est un ancien sénateur.

Avec ces trois suspects, la police judiciaire haïtienne a émis un total de 17 mandats d'amener contre des personnes en fuite, présumées impliquées dans le crime.

Plus d'un mois après le meurtre du président dans sa résidence privée, le mystère perdure quant aux commanditaires et motifs de l'attaque au cours de laquelle la Première dame a été blessée par balles, mais où aucun policier attaché à la sécurité du chef de l'Etat n'a été touché.

Le juge en charge de l'affaire placé sous protection 

Après qu'un premier juge a renoncé à instruire le dossier pour "convenances personnelles", le ministre de la Justice assure que Garry Orélien, magistrat nommé lundi sur cette affaire, sera protégé.
"Le ministère de la Justice a déjà mis à disposition du juge d'instruction tous les moyens logistiques et sécuritaires dont il a besoin pour mener l'enquête" a annoncé jeudi Rockefeller Vincent.
"Je demande à la police de prendre les dispositions nécessaires concernant les personnes impliquées dans la mort du président et qui sont en prison, d'avoir une attention spéciale sur elles", a ajouté le ministre de la Justice.
Quarante-quatre personnes ont déjà été arrêtées dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Jovenel Moïse parmi lesquelles "20 exécutants, 18 Colombiens et 2 Américains d'origine haïtienne", a rappelé le ministre.

Déjà confrontée à une vive tension politique avant l'assassinat de Jovenel Moïse, Haïti a plongé encore davantage dans l'incertitude le 14 août, quand un séisme de magnitude 7.2 a ravagé la péninsule sud-ouest tuant plus de 2 200 personnes et détruisant des dizaines de milliers de bâtiments.