Entretien avec le Sénateur Dominique Théophile : « Les sargasses: aujourd’hui une nuisance, demain une ressource »

Tout est suspendu à l’incertitude de la ressource. Il faut davantage de recherches fondamentales afin d’améliorer la prédictibilité
Dominique Théophile, sénateur (LREM) de Guadeloupe, auteur d’un rapport sur la lutte contre les  sargasses dans la grande Caraïbe. Il est à l’origine de la 1ère conférence internationale qui se tient du 23 au 26 octobre en Guadeloupe.
Les premiers échouages massifs de sargasses dans la Caraïbe interviennent en 2011 puis se répètent en 2015, et 2018 en 2019. S’agit-il ou non d’un épiphénomène?

Qu’ils soient français ou mexicains, les scientifiques s’accordent à dire que le phénomène est désormais récurrent. Les causes seraient multifactorielles: Il y a d’abord des apports en nutriments liés à la déforestation en Amazonie mais aussi en Afrique Equatoriale qui font que les sargasses dupliquent leur biomasse en 18 jours au lieu de 50 dans les eaux océaniques. On y ajoute une modification des courants marins et une augmentation de la température de la mer. Mais les recherches sont encore loin d’être terminées.

Comment prévenir les échouages? 

La télédétection à partir d’images satellitaires est l’un des enjeux majeurs. Les Mexicains travaillent sur la détection, la formation et le suivi des bancs d’algues à 30 jours. Météo France a également son propre protocole. L’objectif est d’arriver à modéliser une « météo des sargasses » qui permette de déterminer, de manière fine, la zone d’échouage et le tonnage de manière à pré-positionner des équipes d’intervention. Paradoxalement, seuls 2% à 3% des sargasses en mer viennent s’échouer à terre. 

Comment réagissent les autorités des pays de la Caraïbe face aux échouages? 

La France a mis en place en octobre 2018 un plan national d’intervention qui se décline jusqu’au niveau communal, avec un part importante dévolue au risque sanitaire. l’objectif étant de limiter l’exposition des populations vulnérables aux émanations de H2S et de NH3 (1). Le Mexique et la République dominicaine vont d’abord chercher à préserver leur industrie touristique en laissant l’initiative aux acteurs privés. Pour protéger les plages, les hôtels ont investis massivement dans des barrages flottants et des systèmes de ramassage en mer et à terre. 

Une fois collectées, que fait-on des sargasses? 

Le bon protocole voudrait que l’on épande les sargasses au sol sur une couche de 10 cm d’épaisseur. Couche qui disparaît au bout de 48 heures d’exposition au soleil.  Encore faut-il disposer du foncier et accepter qu’il subisse une saturation en sel et en arsenic. Difficile dans des petites îles.  A Sainte Lucie, on privilégie l’enterrement dans des fosses. L’initiative la plus prometteuse vient de la République Domnicaine, où un hôtelier de Punta Cana a installé un four alimenté par des panneaux photovoltaïques dans des conteneurs de 40 pieds fin de vie. Soumises à une température de 55°C, les sargasses perdent plus de la moitié de leur volume et peuvent être stockées en vue d’utilisations ultérieures. Au Texas, l’université de Galveston reconstitue des dunes de sable à l’aide de sargasses compactées comme des bottes de foin.

Longtemps présenté comme la panacée, l’épandage agricole semble avoir trouvé ses limites?

Les apports de sargasses fraîches sur des parcelles de cannes à sucre lors d’essais menées par l’Institut Technique Tropical (IT2) en Guadeloupe ne montrent aucun effet sur le rendement et la qualité. Les sargasses ne peuvent être utilisées seules pour le compostage en raison de la forte concentration en arsenic. Pourtant, à Sainte Lucie, Algas Organics, une entreprise familiale, a mis au point et commercialise un bio stimulant utilisé en support de germination. Le procédé semble intéresser plusieurs grands entreprises de produits phytosanitaires.

Existe-t-il d’autres pistes plus prometteuses?

Oui, j’en vois deux. Les bio-plastiques, produits à partir de sargasses, présentent une meilleure résistance à la chaleur que les plastiques classiques. Deux sociétés, Algopack en France et Alganovea en République dominicaine ont mené des tests concluants. Reste à régler le problème du traitement en amont en séparant le sable des sargasses. Et puis, il y le charbon actif. Le procédé a été mis au point par l’Université des Antilles et l’institut technologique de Saint Domingue (INTEC). 4 kg d’algues sèches permettent de produire un kilo de charbon actif. Reste à trouver la start-up ou la PME qui acceptera de se lancer dans l’aventure.

Pour l’heure, personne n’a encore trouvé le bon modèle économique?

Aujourd’hui, tout est suspendu à l’incertitude de la ressource. Il faut davantage de recherches fondamentales afin d’améliorer la prédictibilité du phénomène et il faut aussi améliorer les techniques de stockage et de conservation. La France a des atouts et un rôle à jouer. Beaucoup de pays de la zone sont prêts à nous accompagner.   

(1) hydrogène sulfuré et ammoniac