Gérard César, un monument de l'audiovisuel guadeloupéen, s'est éteint cette nuit

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Il a eu probablement autant de vies qu'un chat : sportif, journaliste, réalisateur. Pour beaucoup, il était une exceptionnelle voix et une rivière de mots sourcés. Gérard César, l'un des pionniers de la télévision de proximité s'en est allé. A pas feutrés, comme l'aurait fait un chat dont chacun se souviendra d'une part de toutes ses vies, recomposant ainsi le vaste tableau qu'était Gérard César

Un court résumé de la vie de Gérard César dirait simplement, très simplement qu'il était journaliste Grand Reporter, documentariste, ancien rédacteur en chef à Wallis, ancien Responsable des programmes et de la production télé à RFO Martinique, Responsable des programmes et de la production radio et télé à RFO Guadeloupe, Directeur de la production et des Relations internationales à RFO Paris, Chargé du magazine Outre-mers à RFO Paris, Directeur des antennes Radio et Télé à RFO Guadeloupe, Initiateur du Festival de Jazz à Pointe-à-Pitre.

Mais ce serait un bien court résumé de la vie de l'homme aux sept vies. Il faudrait aussi ajouter alors comment le jeune sportif qu'il était, spécialiste du 100m, et détenteur de records, avait un jour suivi son mentor, Jacques Lolo, athlète lui aussi, dans l'aventure du journalisme. La grande affaire de sa vie. 

Pionnier, il l'était dès le "Guadeloupe Première" de FR3 Guadeloupe qu'il présente avec les signatures et les visages de ce temps, Léo Monnéli, Louis Francius, Tony Turken, Pierre Mauranyapin entre autres. Et puis, après la création de RFO, il rejoint l'équipe de Max Moinet pour présenter le "Guadeloupe Panorama" avec notamment Raymond Sargenton, Jean-Claude Gilles (Lefort), Michel Reinette. Il sillonne déjà la Guadeloupe et la Caraïbe en compagnie d'hommes de l'image tels que Philippe Grenier et Pierre Jacques... Des premiers de cordées qui ont aussi inventé la couverture du tour de la Guadeloupe quand les moyens étaient encore très limités. 

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Et c'est aussi lui qui, dans les années 90, lance ce que l'on appelle alors la télévision de proximité. Il poursuit tout d'abord les "Rendez-vous" du soir ou alternent Jean-Pierre Sturm et Angèl Etienne. Et puis sa fenêtre de la mi-journée qui s'ouvre sur un "Voisinage" qu'il confie alors à Véronique Polomat, une jeune présentatrice dont il a fort justement repéré le potentiel.

Mais, dans ces années-là, il a aussi le nez fin pour lancer une nouvelle classe de jeunes journalistes qui vont progressivement prendre leurs marques sous sa direction. "La Baby-Classe" de Gérard César qui met le pied à l'étrier pour Sylvie Gengoul, Jean-Claude Samyde, Eric Rayapin, Albert Nangis, Yolaine Poletti-Duflo, tous devenus ensuite les grands noms du journalisme de la Guadeloupe.

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Et ce regard rétrospectif se limite à son rayonnement en Guadeloupe alors même que la dimension de l'homme de média ira en Martinique, à Paris et jusqu'à Wallis et Futuna.

Un défenseur de la culture au pluriel

Mais Gérard César était aussi un passionné de culture. Sa culture à lui n'avait pas de frontière ni de barrière. Il avait une soif de savoir qu'il ne pouvait apaiser qu'en rencontrant les personnes, leur monde, leur art de vivre. Comme s’il épousait l'altérité pour qu'elle devienne une part de lui-même. 

Pourtant, la culture latino-américaine aura éveillé une fibre particulière que seul son ami de longue date Antoine Chérubin, croisé sur des pistes d'athlétisme au début mais devenu ensuite l'interlocuteur d'une conversation sans fin qui commençait toujours par un commun "Con savor y sentimiento", pouvait comprendre et entretenir avec lui.

De lui, il avait su parler avec Léandre Viranin avec laquelle il avait longtemps travaillé et qui lui avait consacré un épisode de son "mémoire de Guadeloupe" alors qu'il s'apprêtait à prendre sa retraite de celle qu'il appelait "La Grande Maison", Guadeloupe La 1ère.

Mais pour parler de Gérard César et de toutes ses vies, il faut probablement être soi-même Gérard César. Parler de lui, il l'a fait pour les "Nouvelles Etincelles" à l'occasion de l'ouverture du colloque International de la presse et des médias. De lui et sur lui, sur sa vie, ses découvertes, son métier et tout ce qui lui importait, il disait ceci :

"J’ai découvert la Caraïbe quand j’étais athlète. J’avais 23 ans lorsque je l’ai sillonnée et cela m’a ouvert les yeux. J’ai découvert que c’était un monde d’une pauvreté extraordinaire. Ces pays tablaient sur le fait que, progressivement, ils seraient sur les rangs.

Le premier que j’ai découvert, c’était Trinidad. Je me suis rendu compte que ces pays se développaient petit à petit et qu’ils essayaient d’avoir des relations un peu plus poussées avec nous. Je me rappelle que l’on communiquait déjà en créole en 1964-1965, avec les athlètes de la Dominique, de Sainte-Lucie, et quelques-uns de Trinidad, ce qui prouve bien que le créole était déjà, quelque part, dans nos régions et qu’il y avait matière à communiquer.

Mon premier objectif quand je suis devenu journaliste quelques années plus tard, a été de découvrir la Caraïbe, d’une manière ou d’une autre, en allant en vacances, ou travailler pour faire des reportages. Comme ma passion c'est les reportages et les documentaires, j’ai décidé de partir régulièrement dans la Caraïbe ou tout seul ou accompagné.

J’ai découvert pratiquement tous les pays caribéens, en quarante ans, car cela fait exactement 15 jours que je compte quarante ans de métier à RFO. Cela passe inaperçu, cela ne me dérange pas. Cependant durant ces quarante ans, il n’y a pas eu que la Caraïbe. Il y a eu le Pacifique Sud où j’ai travaillé, Tahiti, Wallis et Futuna, les îles Hawaï, Fidji, Cook, Samoa, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, pour ne citer que ceux-là, tous les pays environnants du Pacifique Sud. Aujourd’hui encore je pense avoir connu plus d’une centaine de capitales du monde.

Tout cela, quasiment incognito, tout simplement parce que mes vacances, je me les arrangeais pour découvrir non pas du show biz mais des gens du sport et de la musique. Ce qui fait que je pense avoir des amis aux quatre coins du monde avec qui je corresponds, pour certains ; d’autres que j’ai perdu de vue ; d’autres, que j’ai retrouvés grâce à Internet.

J’ai découvert le fonctionnement qu’il y a eu dans la Caraïbe, par rapport à l’histoire commune, l’esclavage. Je me suis rendu compte qu’on était en train de recoller les morceaux d’une histoire qui avait éclaté.

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Nous avions tous des langues différentes, nous avions des coutumes et des traditions qui se ressemblaient : celles de la danse, de la cuisine. Par exemple, j’avais été invité à Miami il y a quelques années pour un colloque sur Aimé Césaire, à l’initiative d’un ami cubain. On devait donner à l’Université du Sénégal, le nom d’Aimé Césaire. La rencontre Senghor-Aimé Césaire s’était passée depuis des années. Cela a été l’un des moments les plus forts de ma vie de journaliste. Aimé Césaire m’avait dédicacé un recueil de poèmes. J’avais pu faire un reportage sur leurs rencontres.

Ce qui m’avait plu, c’était de découvrir des communautés caribéennes et des Etats-Unis. Il me manquait la cuisine. Je suis allé dans un restaurant, à Miami et je me suis retrouvé comme à la maison, parce que je n’arrivais pas à supporter la cuisine américaine.

Alors, on est toujours en train de chercher quelqu’un ou quelque chose qui nous ressemble, quelqu’un qui peut communiquer avec nous. Ces 40 années de journalisme sont passées très vite, car j’y suis entré très jeune, à 20 ans. Vous pouvez imaginer le temps que j’ai passé dans ce métier-là.

Mais le plus important pour moi, c’est la Caraïbe parce que, tout simplement, je l’ai découverte très, très jeune, à 17-18 ans. À cet âge-là, il se passe forcément quelque chose dans la tête. Il y a eu un choc, ce que j’appelle le choc caribéen de ma vie comme le choc polynésien mais, beaucoup plus tard. Le choc caribéen a été beaucoup plus fort. C’étaient des gens qui me ressemblaient, qui, pour certains, s’exprimaient dans la même langue que moi, ce qui m’a fait découvrir des langues différentes que nous pratiquions à l’école, mais de manière beaucoup plus normale, beaucoup plus régulière, beaucoup plus soutenue. Ce qui fait que je peux m’exprimer aisément quand je vais dans la Caraïbe, en Espagnol ou Anglais."

Et citer Gérard César dans ce trop court récit sur une vie si riche, c'est lui dire de manière posthume que ces quarante années, ses idées, sa personnalité n'ont pas été inaperçues et qu'elles demeureront comme une mémoire vivante pour le journalisme, pour la station du Morne Miquel de ses débuts et celle du Morne Bernard de ses dernières années, et encore plus certainement, pour la Guadeloupe.