Haine raciale ou liberté d'expression ? Vague de soutien envers Luc Reinette, convoqué par la gendarmerie, ce jeudi

Large mobilisation en soutien à Luc Reinette, depuis hier. Des parlementaires, élus, partis politiques et syndicats dénoncent unanimement la convocation du militant nationaliste, par la gendarmerie. Une enquête pour haine raciale, quand les Guadeloupéens évoquent un discours de responsabilité.

Luc Reinette est convoqué, jeudi 18 février 2021, à 8h30, au Morne Miquel, dans les locaux de la gendarmerie nationale, après avoir adressé un "Message à la jeunesse de la Guadeloupe", appelée à prendre son avenir en main. Cette tribune, datant du 21 octobre 2020, a été publiée sur le site Internet d'information Caraïb Créole News.
Le texte du militant indépendantiste serait jugé contraire à la loi, car soupçonné d'inciter "à la haine ou la violence envers un groupe d'individus, du fait de leur origine", au regard de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse.

Depuis, cette convocation a été rendue publique et les soutiens à Luc Reinette se multiplient. Ils émanent tant de groupes nationalistes, que de partis, d'élus locaux et de parlementaires, qu'ils partagent son positionnement politique ou pas.

Tous défendent la liberté d'expression et, parfois aussi, dénoncent un intolérable "deux poids deux mesures", dans les diverses affaires de racismes, qui ont alimenté l'actualité de l'archipel, ces derniers jours.
Les élus ont aussi insisté sur la nécessité d'un retour à l'apaisement.

Le texte controversé

Se disant au crépuscule de sa vie et dans la situation actuelle de la Guadeloupe, Luc Reinette jugeait nécessaire de s'adresser à la jeunesse guadeloupéenne. D'où sa déclaration du 21 octobre dernier. Il écrit notamment :

Oui, j’affirme à la face du monde que les français sont des étrangers, qui se sont imposés ici comme dans leurs Colonies d’Afrique, d’Asie et d’Amérique par le meurtre, l‘assassinat, le sang, la déportation, le viol, la mise en esclavage, la torture et le travail forcé. C’est l’exacte vérité que nul ne peut contester. Ces gens-là, ces occidentaux qui rusent en permanence ne sont pas nos amis, qui considèrent notre Pays comme leur bien, comme leur possession. Cessons d’être naïfs !

Luc Reinette - extrait article du CCN (21 octobre 2020).

L'homme, indépendantistes historique, interpelle la jeunesse et lui intime d'endosser un rôle de libérateur :

(...) Vous dont la mission est d’arracher la liberté de votre Pays et de votre Peuple, quel qu’en soit le prix (...)

Luc Reinette - extrait article du CCN (21 octobre 2020).

C'est donc cette déclaration politique que la justice pourrait réprimander.

Rassemblement ce mercredi après-midi, à Pointe-à-Pitre

Un appel a été lancé pour un rassemblement en soutien à Luc Reinette, mais aussi pour dire non à "l'intimidation", ce mercredi après-midi, devant le mur des martyrs de 67, à la Darse, à Pointe-à-Pitre.

Une poignée de militants a répondu présent, dont la présidente du MIR Guadeloupe (Mouvement international pour les réparations), Marie Gwadloup, qui constate une montée d'un sentiment anti-guadeloupéen, avec la remise en cause de la culture du pays, par de nouveaux arrivants. Le Mouvement considère aussi que "les Guadeloupéens subissent de plus en plus des propos racistes, de la part de touristes blancs" :

Marie Gwadloup : "Sa nou biswen sé ké jénès annou pozisyoné yo"


Autre levée de bouclier, dans le camp nationaliste : celle de l'Alyans Nasyonal Gwadloup (ANG), qui déclare que la convocation de Luc Reinette sonne comme une provocation, une tentative d'intimidation. Le parti se demande aussi si l'archipel vit "le retour des procès politiques, comme en 1968". L'ANG voit là la preuve de l'urgence de faire évoluer la situation politique de la Guadeloupe.

Soutiens en cascade

Des syndicats aussi élèvent la voix contre la procédure visant Luc Reinette.

La CGTG apporte son soutien à Luc Reinette, militant anticolonialiste qui n’a fait que réaffirmer ses convictions, dans cet appel à la jeunesse.

La CGTG appelle ses militants, adhérents et sympathisants à être présents, en soutien actif à Luc Reinette, ce jeudi 18 février 2021, à 8H30, devant la gendarmerie de Miquel.

Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la CGTG

 

2021 : nous sommes "libérés de l'esclavage mais sans ressources, émancipés mais subordonnés, libres mais entravés, débiteurs, égaux mais inférieurs, souverains mais dominés, citoyens mais assujettis."

LKP - citation maintes fois reprise par les militants


Et, contre toute attente, des élus de tous bords appellent à l'apaisement et militent pour le respect de la liberté d'expression.

Quelle que soit l’opinion qu’on pourrait avoir sur ses engagements, Luc Reinette est une personnalité guadeloupéenne et à ce titre doit avoir le droit de s’exprimer en toute liberté.

Cela nous rappelle, hélas, le temps de la censure qui interdisait la parution du Progrès Social ou de l’Etincelle, dans les années 60. (...)

Dans le texte incriminé, je n’ai vu s’exprimer aucun appel à la haine de l’autre, aucun propos raciste. J’y ai juste relevé un appel à la construction de nous-même, que partage une grande majorité de responsables guadeloupéens.

Dr Maryse Etzol, présidente de la communauté des communes de Marie Galante

 

Le malaise exprimé par notre jeunesse dans une Guadeloupe d'où elle se sent exclue un peu plus chaque jour mérite bien des interpellations, des appels à la conscience et des combats à venir.

Si dire cela est subversif, alors nous sommes des milliers à réclamer d'être convoqués et entendus.

Jacques Bangou, président du Parti progressiste démocratiques guadeloupéen (PPDG)


Pour ne citer que ceux-là...

L'affaire vue par l'avocate de Luc Reinette

C'est Maître Gladys Démocrite qui défend les intérêts de Luc Reinette. L'avocate juge peu sérieuse l'enquête ouverte par le procureur de la République de Pointe-à-Pitre, alors que son client a "exprimé publiquement ses idées en rappelant le passé tortionnaire et esclavagiste des "Français" et exhorté la jeunesse à mener (à sa manière) le combat pour la décolonisation".

Me Démocrite s'étonne que les "vérités historiques incontestables" rappelées dans le texte soient encore "dérangeante en 2021".

Évidemment, en tant que militant politique anticolonialiste,  il parle "d'arracher la liberté" ou de "prendre le pouvoir", mais il précise bien qu'il s'agit de "mener le combat pour la décolonisation", "sur tous les fronts", "en bonne intelligence", " pour et avec le Peuple". A la lecture du texte, on voit bien qu'il s'agit d'un texte politique, ayant une analyse politique de la situation actuelle en Guadeloupe, mais en aucune façon d'un appel à prendre les armes ou à commettre des violences.

Me Gladys Démocrite


Luc REINETTE entend dénoncer cette atteinte à sa liberté d'expression, mais aussi cette atteinte à la liberté de tout un chacun de se mobiliser pour la liberté de son Peuple.