Ils ont choisi Marine Le Pen

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Les résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle sont désormais connus. Si La France dans sa globalité a choisi de reconduire Emmanuel Macron pour un second mandat de cinq ans, La Guadeloupe, Saint Martin et Saint Barthélemy, comme d’ailleurs la Martinique et la Guyane ont choisi de placer son adversaire en tête. Marine Le Pen fait d’ailleurs son meilleur score en Guadeloupe en frôlant les 70% de suffrages exprimés. Un vote qui ne se limite pas à l’expression d’un rejet du président sortant.

Il ne fallait pas être grand stratège pour diagnostiquer la première position de Marine Le Pen après le scrutin de ce samedi 23 avril, en Guadeloupe, à Saint Martin et à Saint Barthélemy, les éléments du premier tour le laissaient déjà prévoir. Tout au plus, c’est l’ampleur du score qui peut encore surprendre. Mais on aurait tort de n’en faire que l’expression d’un vote contestataire, une simple vengeance des « anti-vax » ou une réponse aux problèmes des suspendus. Une thèse facile à commenter et qui, cependant, obère toute une réalité socio-politique qu’il faut désormais pouvoir appréhender de face.  

Un accent aigu sur la déconnexion  

D’abord, il faut y voir un profond décalage entre le gotha politique guadeloupéen et la population. L'abstention plus forte lors des élections départementales et régionales que pour la présidentielle est là pour montrer le désintérêt des Guadeloupéens pour tout ce que la classe politique locale pourrait avoir à leur proposer. Bien sûr, les élus se sont contentés de proclamer leur élection sans trop s’approfondir sur le fossé de l’abstention qui n’a de cesse de se creuser.

Mais ils le savent. Leur entrée tardive dans la gestion du conflit sanitaire et social et leur faible engagement dans la campagne électorale pour la présidentielle sont là pour le prouver. Toujours à l’affût des tendances du moment, ils préfèrent souvent attendre l’expression de ces tendances pour prendre position, histoire de toujours être dans la bonne vague. Et certains au cours de cette élection présidentielle, sont restés étrangement silencieux, sachant qu’ils auront ensuite à gérer les législatives à venir.  

Conférence de presse des élus guadeloupéens, lundi 29 novembre 2020

De fait, tous montrent ainsi leur profonde déconnexion avec les réalités d’un territoire qu’ils ignorent. Mais ils ne sont probablement pas les seuls à n'avoir pas compris ce territoire et ses préoccupations réelles. La préférence affichée par certains mouvements syndicaux et politiques en faveur de Jean-Luc Mélenchon a pu laisser penser que le leader de la France Insoumise avait acquis une véritable aura personnelle lors du vote du 1er tour en Guadeloupe.

Mais, force est de constater que la consigne de Jean-Luc Mélenchon pour qu’aucune voix n’aille sur le nom de Marine Le Pen n’a eu aucun écho en Guadeloupe. C’est dire que cet électorat n’est pas malléable. Ni les leaders des organisations du mouvement social, ni ceux du camp patriotique, n’auraient pu imaginer que la Guadeloupe puisse voter aussi majoritairement pour elle.  

L’heure d’une explication sur le « Nou »  

Il faut donc redescendre des piédestaux sur lesquels chacun s’était juché, estimant à son propre ressenti qu’il bénéficiait d’une légitimité pour parler au nom des Guadeloupéens.

Le 24 janvier 2009, plus de 60 000 Guadeloupéens défilent dans les rues "kont la pwofitasyon"

Un temps pour faire connaissance avec le « nou » du refrain de 2009 qui proclamait que « la Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo », un « nou » et un « yo » que l’on a du mal ce 24 avril 2022, 13 ans plus tard, à décrypter. C’est au nom de ce « nou » et de ce « yo » que certains ont cru devoir empêcher Marine Le Pen d’évoluer en Guadeloupe pendant sa campagne alors que désormais, elle est, par les urnes, plus légitime qu’eux.

Peut-être d’ailleurs que cette action contre elle a, pour partie, contribué à faire certains électeurs lui accorder leur soutien. Nombreux en effet sont ceux qui ont ouvertement exprimé leur désaccord face à cette action des partis nationalistes. La réponse se sera fait entendre au fond des urnes.  

Conférence de presse des organisations nationalistes suite à la visite de Marine Le Pen en Guadeloupe

Mais dans ce « Nou » il y a tous ceux qui ont du mal à se reconnaître dans une politique agricole dictée par l’Europe et qui, progressivement, rebat les cartes de la production du sucre ou de la banane en favorisant les pays ACP contre les intérêts des producteurs antillais. Il y a aussi tous ces pêcheurs qui estiment souvent que l'on veut restreindre leur activité pour ne pas gêner celle des voisins non européens.

Alors, même si l’Europe aide à construire des routes et des structures, elle renvoie au parking les titans qui auraient pu y rouler. Cela, la candidate du Rassemblement National et ses soutiens avaient su s’en faire l’écho quand le Président de la République leur expliquait par la voix de ses ministres et de ses représentants locaux, qu’il fallait s’adapter aux volontés européennes ou ne mettent pas en œuvre . En tout cas, c’est ce que certains ont entendu sur le terrain.  

Et puis, dans ce « Nou », il y a aussi ceux qui ont eu du mal à entendre un jeune ministre des Outre-mer leur faire la leçon à travers leurs élus, comme s’ils étaient des enfants gâtés de la République.
Ils ont eu du mal à entendre parler de « domiciliation » confiée à des élus dans lesquels ils n’ont pas confiance. 
Ils ont aussi eu du mal à s’adapter à toutes les réformes sociétales qui s’ajoutent les unes aux autres, une évidence selon les médias, mais qui remettent en cause leur schéma moral, sans que personne ne leur demande leur avis. D’ailleurs, les contester c’était risquer de se voir qualifier de rétrogrades. Alors, ils se sont tus et ont voté ou se sont abstenu.

Bulletin de vote glissé dans une urne lors d'élection en Guadeloupe

Et comme on n’a jamais manqué de leur rappeler que leur vote ne compte presque pas quand une majorité trop nette se dégage sur le plan national, tout au plus lorsque l’élection est plus incertaine on se souvient d’eux, alors ils se sont affranchis de toutes les considérations que ceux qui pensaient détenir les clés du « Nou » leur imposaient.

Au fond des urnes, ils ont affirmé un choix qui a fait des politiques locaux et nationaux de tous bords, mais aussi des organisations syndicales, les « yo » d’un « nou » que tous devront désormais apprendre à connaître s’ils veulent un jour obtenir leur suffrages.
En quelque sorte, le temps d'une mise à jour que la trop proche campagne des législatives ne permettra pas de faire mais qu'il faudra bien mettre en œuvre un jour plutôt que d'aller d'incompréhensions en incompréhensions sans oser aller plus loin.