C'est une enquête des journalistes Ed Aarons et Romain Molina, parue dans le journal anglais The Guardian qui révèle l'ampleur de l'affaire Lescouflair.
Durant deux ans, Romain Molina, a enquêté sur ces viols présumés, interrogeant de nombreux témoins.
Le principal accusateur d'Evans Lescouflair n'est pas un inconnu sur l'île. Il s'agit de Claude-Alix Bertrand, l'ambassadeur représentant Haïti à l'Unesco. Il est également le capitaine de l'équipe nationale de polo.
Le 24 mars dernier, le quadragénaire a officiellement déposé plainte contre son ancien professeur d'éducation physique pour des faits vieux d'une trentaine d'années. "Il s’agit d’une plainte pénale pour viols répétés sur mineurs de moins de 15 ans", a précisé l’avocat Franck Vanéus au quotidien britannique. "La sentence pourrait être la prison à vie" a-t-il expliqué.
Plusieurs autres plaintes ont été transmises au commissariat de Port-au-Gouvernorat, ce même jour.
Des sévices et des viols sur 30 ans
Le quadragénaire a parlé de ce traumatisme pour la première fois, en janvier dernier, dans une émission.
A la fin des années 80, âgé de 11 ans, le jeune Bertrand est inscrit à Saint-Louis de Gonzague, un établissement scolaire connu dans le pays.
Il raconte que tout aurait commencé par des excuses pour qu'il reste après les cours, pour soi-disant faire des exercices supplémentaires. Puis très vite, il y aurait eu des attouchements.
"Il m'a touché à des endroits intimes comme personne ne l'avait jamais fait avant. C'était tellement gênant. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J'étais juste un enfant. Je lui ai demandé pourquoi il faisait cela. Il a continué et m'a demandé si je n'aimais pas ça".
Claude-Alix Bertrand
Celui que l'on surnommait "Daddy" ne se serait pas arrêté là, affirme Claude-Alix Bertrand. Si lui cherche à l'éviter, Lescouflair aurait tout fait pour se retrouver seul avec le jeune garçon. Les sévices continuant, jusqu'au viol.
Cela a duré deux ans. Cela se passait dans une salle à l'écart... Je n'avais que 11 ans. J'avais tellement peur... Cela a continué jusqu'à ce que je tombe malade.
Claude-Alix Bertrand
Evans Lescouflair a refusé de répondre aux questions des journalistes du Guardian, mais en février dernier, après les accusations publiques de Bertrand, il affirmait au quotidien haïtien Le Nouvelliste : "Je n’ai rien à dire dans la mesure où l’homme qui a fait cette déclaration est marié à un homme de nationalité étrangère". Une référence au fait que Claude-Alix Bertrand soit homosexuel.
Selon l'enquête de Molina, l'ancien ministre aurait eu un autre terrain de prédilection pour trouver ses jeunes victimes. Il aurait également sévi dans le club sportif Saint-Louis, club qu'il a fondé où il s'occupait de jeunes garçons, notamment. Et au Centre technique national de la Fédération haïtienne de football, le ranch de Croix-des-Bouquets.
Des affaires abandonnées
En 2015, Lescouflair était accusé par le ministre de la Jeunesse et des Sports de l'époque, Himmler Rebu, d'avoir abusé de jeunes joueurs au centre de formation. L'affaire avait été classée sans suite.
Cinq années plus tôt, il échappait à d'autres plaintes pour viol présumé et pédophilie. Sans poursuites car manque de preuves, affirmait à l'époque le Commissaire du Gouvernement auprès du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince.
Pourtant, les accusations sont lourdes. En 2008, un jeune homme se suicide. Selon l'un de ses amis, il aurait, lui aussi, été la victime d'Evans Lescouflair, mais également de Jacques Succès Orisme, dit Jacky, entraîneur. Ensemble, les deux hommes avaient monté l'Académie nationale de football, Anafoot.
Selon des victimes interrogées par le Guardian, Jacky était chargé de trouver à Lescouflair des jeunes garçons. Lui aussi aurait abusé d'eux.
Pour la famille du jeune homme décédé, il n'y a aucun doute. Leur fils a été violé par l'ancien ministre, affirment-ils. Avant d'ajouter qu'ils vivent depuis dans la peur et craignent pour leur vie. L'homme restant un personnage important dans le pays, expliquent-ils.
Si Lescouflair est de nouveau inquiété, un autre homme connu du football haïtien, avec qui il est étroitement, est également dans la tourmente.
Jean-Bart banni à vie de la Fifa
En novembre 2020, la Fifa bannissait à vie Yves Jean-Bart, président de la Fédération haïtienne de football accusé de viols sur des joueuses, et lui infligeait une amende d'un million de francs suisses.
La chambre de jugement de l'instance du football mondial, qui avait récupéré le dossier mi-octobre après la phase d'instruction, a reconnu le dirigeant de 73 ans coupable d'avoir "abusé de sa position" pour "harceler sexuellement et agresser plusieurs joueuses, y compris mineures".
Dans sa décision, la justice interne de la Fifa l'a donc suspendu à vie "de toutes activités liées au football, au niveau national et international", le condamnant de surcroît à payer un million de francs suisses, soit 925 000 euros. L'instance annonçait à l'époque poursuivre son enquête contre "d'autres responsables de la Fédération haïtienne de football (FHF)", impliqués "dans des actes d'abus sexuel systématiques contre des joueuses entre 2014 et 2020", en tant "qu'auteurs, complices ou instigateurs".
Parties d’une enquête du quotidien britannique The Guardian publiée fin avril 2020, les accusations de viol contre Yves Jean-Bart ont aussi entraîné l’ouverture d’une enquête pénale en Haïti. Selon des jeunes filles citées par le Guardian, Yves Jean-Bart aurait violé de nombreuses joueuses mineures ces dernières années. Témoignant de pressions subies pour garder le silence, des victimes présumées ont affirmé au journal, sous couvert d’anonymat, qu’au moins deux joueuses mineures auraient avorté suite à des viols commis par le président de la fédération dans le centre national d’entraînement.
Niant en bloc les accusations portées contre lui, Yves Jean-Bart avait porté plainte à Paris contre le journaliste français Romain Molina, co-auteur de l'enquête du Guardian.
L'ancien président a fait appel de la décision de la Fifa. La décision est attendue en juillet.