Bilan : 11 morts en partie française de Saint-Martin, des centaines de blessés, 6 000 personnes évacuées... et une facture de plus de 2 milliards d’euros, pour la reconstruction et la relance de l’économie, dans les îles du Nord, principalement basée sur le tourisme.
Jusqu’à présent, le quotidien des habitants est fortement impacté par cette catastrophe ; y compris la scolarité des jeunes de ces territoires.
Surprenante Irma
Le soir du 6 septembre 2017, l’actualité était barrée par cet évènement hors norme : Irma venait de ravager les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. L’ouragan de classe 5 poursuivait sa route meurtrière vers d’autres pays du Nord de la Caraïbe. Ce jour-là, "Guadeloupe la 1ère" proposait aux téléspectateurs une édition spéciale et zoomait sur les dégâts causés dans les îles du Nord. Dès l’ouverture du journal, présenté par Jérôme Boecasse, les Guadeloupéens ont pu constater l’ampleur du désastre :
Irma est passée... reste la désolation
Un vol de reconnaissance a été organisé, avec une des équipes de « Guadeloupe la 1ère » à bord. Le reportage de Bergette de SAINT-JACOB du 7 septembre 2017 :
Au sol, terrible réalité. Le désespoir, pour certains. Saint-Martin plongé dans le chaos, trois jours après le passage d’Irma. Les habitants sont désœuvrés, sans eau potable, sans électricité. Beaucoup d’entre eux ont tout perdu. Malgré l’arrivée des premiers renforts, la population a le sentiment d’être abandonnée. Ecoutez ce témoignage, recueillis par Mickaël Bastide, le 8 septembre 2017 :
Et puis il y a les enfants... Comment ont-ils vécu l’après-Irma, à saint-Martin ? Josiane Champion est allée à leur rencontre le 25 septembre 2017. Parmi eux, Iliana, dite Fabiola, âgée de 8 ans et demi. Elle habite un immeuble de Concordia. Et c’est elle-même qui a souhaité s’exprimer, pour évoquer le cyclone, ses conséquences, le nettoyage de l’île et, bien sûr, l’école :
Allons maintenant voir l’intérieur d’une maison, un mois après le passage d’irma sur Saint-Martin ; celle de Franklin GUMBS, qui habitait au 4ème et dernier étage d’un immeuble de la résidence "Santa-Monica", à Concordia. , L’homme a vécu une nuit et une matinée de cauchemar. Les vents ont emporté une partie de son toit... puis un mur en béton s’est effondré. Son récit a été recueillit par Josiane Champion, le 6 octobre 2017 :
Moi j'ai entendu "BOUM !", comme si une bombe avait explosé ! C'était le mur en béton qui a frappé la maison, cassé les vitres, la porte... Et, comme ça, le vent et l'eau sont entrés dans le salon, avec beaucoup de verre qui faisait "CLIC CLIC CLIC !" J'avais beaucoup de coupures sur mon pied ; j'ai mis mes bottes tout de suite ! Ca cassait toutes les chaises, la télé, la vaisselle. Je suis allé derrière le frigidaire, dans la cuisine, pour me sentir plus en sécurité. C'était dur dur dur... Mon ami là-bas, sa toiture est partie d'un seul coup. Il a été cherché ses enfants, des petits, et il les a cachés dans le tiroir !
Franklin Gumbs, Saint-Martinois sinistré suite à Irma
Préfet Philippe Gustin : "Tirer des leçons de l'expérience saint-martinoise"
Le 14 septembre 2017, juste quelques jours après le passage de l’ouragan Irma sur les îles du Nord, Philippe Gustin a été nommé délégué interministériel pour la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint‑Martin. Poste qu’il occupe toujours depuis sa nomination, en tant que Préfet de la Région Guadeloupe, le 9 mai 2018. Le haut fonctionnaire entend tirer des leçons de la catastrophe… à commencer par sensibiliser la population, aux habitudes « simples » à prendre, pour se prémunir individuellement des risques naturels.
Phillipe GUSTIN : Je pense qu’il faut déjà replacer cela dans son contexte. De mémoire d’homme, Irma est l’ouragan le plus fort enregistré, dans la zone. Un ouragan de catégorie 5, avec des vents dont on a estimé que certains avoisinaient les 375 km/h. Ça a naturellement un impact terrible. Je garderai toujours en mémoire mes premiers instants, à Saint-Martin : une vision d’apocalypse, la nature complètement anéantie, etc. Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est d’abord que l’Homme est vulnérable et la nature gagne toujours. Mais pour autant, si l’Homme est un peu intelligent, il peut se préparer. Et c’est ça, vraiment, le maître mot. Et, donc, ce que je ressens – et l’expérience Saint-Martinoise me l’a prouvé – c’est qu’alors que nous sommes sur des territoires où les habitants sont bien conscients des risques, puisqu’ils les ont connus, la « culture du risque » s’émousse, avec le temps. Et on oublie ce que nos anciens faisaient de manière régulière. On perd le bon sens. Aujourd’hui, à l’aune d’évènements comme ceux que nous avons vécu en septembre 2017 avec Irma ou Maria, il est bon de se rappeler des choses simples. Si on se prépare, on peut faire face plus facilement.
La nature gagnera toujours, mais si on se prépare, on peut faire face plus facilement aux risques naturels
Philippe GUSTIN, préfet de la région Guadeloupe, représentant de l'Etat dans les
P.G. : Sur le long terme, ne pas construire n’importe où, ni n’importe comment. Cela veut dire, sur le court terme, puisque l’on sait que, chaque année, la saison cyclonique va arriver, se préparer avec des choses basiques : s’assurer que l’on a suffisamment d’eau, suffisamment de nourriture, calfeutrer sa maison, refixer les tôles sur son toit, faire attention que rien de traîne dans l’environnement de sa maison, rien qui puisse devenir un projectile… Des choses tellement basiques, qu’à Saint-Martin, on les a oubliées. On aurait pu éviter bon nombre de dégâts si, en particulier, on avait un urbanisme un peu moins fou, si aussi on s’était préparé de manière bien plus sérieuse à la survenance d’un cyclone. Mais personne ne pouvait imaginer un tel phénomène. Ça doit interroger, aussi, sur comment on se prépare à subir, peut-être, une attaque de la nature, avec des vents de 500 km/h, ou plus. Ce sont de vraies questions existentielles : comment allons-nos vivre, sur nos territoires, face à des risques qui pourraient être – moi j’en ai le sentiment, avec les dérèglements climatiques – soit plus fréquents, soit plus forts.
A.G. : Et, quand l’évènement survient, même si les autorités veillent au grain, chacun, au sein de la population, doit savoir quoi faire?
P.G. : Absolument. Il en va de la responsabilité de chacun. La gestion d’une crise c’est, certes, un Etat qui prend la main, avec les collectivités locales (les communes), mais derrière il y a la responsabilité de chacun. Chacun doit se comporter correctement pendant la crise, respecter les consignes de sécurité (Attention, interdiction de se déplacer, confinement, etc.). Il faut aussi avoir les bons réflexes et être vigilant par rapport à ce qui pourrait se passer, connaître et faire les bons gestes. Malheureusement on observe, à chaque évènement majeur, un peu d’inconscience, ou encore un peu de panique.
Un autre enseignement d’Irma : je pense qu’on doit avoir un traitement particulier, pour les gens qui ne sont pas nés, qui n’ont pas grandi sur le territoire, qui arrivent ici en pensant que c’est le paradis. On ne leur a jamais expliqué que, de temps en temps, ça peut devenir un enfer. Idem pour les touristes qui doivent être en alerte. Leur logique n’est pas la même. J’en ai vu qui n’avaient rien dans leur frigo, parce qu’ils fonctionnent au jour le jour. Certains ne pensaient pas qu’il fallait fermer et fixer les volets, parce qu’habituellement ça tient, par temps de pluie et quand il y a du vent.
A.G. : Comment raviver la culture du risque ?
P.G. : Il y a un vrai travail à faire et je vais m’y atteler, en Guadeloupe, avec l’ensemble des acteurs… notamment les écoles. Je suis persuadé que les enfants sont un vecteur vraiment important de cette culture du risque. Plus ils apprendront, petits, comment on fait les choses correctement, plus les enfants auront à l’esprit eux-mêmes de faire la leçon à leurs parents et de transmettre aux générations futures.
Parmi les acteurs-clés, également, les socioprofessionnels : au sein des entreprises et des administrations, il faut aussi se préparer. Nous le faisons à la Préfecture : nous déclinons le plan ORSEC de l’Etat. Et nous demandons à chaque société de développer son propre plan de secours. Idem au sein de sa famille*. Mais attention au choix des guides-référents, dans ces cellules professionnelles ou privées.
On apprend aussi d’Irma que, même les personnes dont c’est le métier de sauver des vies, ou d’être en charge de la sécurité… sont des humains. Donc face à un évènement exceptionnel, ils peuvent paniquer, ils peuvent être plus soucieux du sort de leurs proches que des personnes qu’ils sont sensés aider. Donc – je l’ai dit aux socioprofessionnels – cela suppose qu’il faut bien réfléchir, dans le montage de son plan. Il faut s’assurer que les gens qui vont être en charge de l’organisation des secours pendant la crise, soient des gens qui vont tenir le coup quoiqu’il arrive. Et ce n’est pas une question de faiblesse… c’est humain. Un père de famille va forcément s’inquiéter pour ses enfants. Mais il faut pouvoir reposer sur des personnes qui vont être entièrement consacrés à l’urgence. A Saint-Martin, les personnes étaient complètement désorganisées. Et pour ceux, en revanche, qui étaient dans la gestion de crise… c’était un sacerdoce. On ne regardait jamais l’heure, on ne mangeait pas. Il fallait que notre esprit soit libre de toute autre contingence.
Pour aller plus loin/
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