"La gastronomie des outre-mers fait partie intégrante de la gastronomie française". La phrase est de Babette de Rozières à l’ouverture, au début de ce mois de janvier 2022, du Salon de la gastronomie des outre-mers, qu’elle a créé à Paris. Cette méritante cuisinière guadeloupéenne, par ailleurs conseillère régionale (Les Républicains) d'Ile-de-France est légitime pour avancer une telle aassertion.
Elle travaille sans relâche depuis plusieurs décennie à la vulgarisation de la cuisine de nos territoires périphériques, celle des Antilles en particulier. Livres, émissions de télévision, foires : elle utilise tous les moyens pour donner à voir au public français les richesses du savoir-faire culinaire de nos différents pays.
Pour elle, il faut englober la cuisine de haut de gamme des onze collectivités d’outre-mer dans la vaste cuisine française. Pourquoi pas, après tout ? D’une façon ou d’une autre, il existe des interpénétrations entre les cuisines de ci-de là, avec la multiplication des échanges entre peuples et individus.
La cuisine française ignore celle de nos territoires
Cependant, il faut se montrer bien optimiste pour prétendre que la cuisine française, elle-même éminemment diversifiée selon les terroirs, est assimilable à celle de Mayotte ou de Tahiti. En quoi le mode de cuisson des aliments chez les Kanaks ou le choix des épices et des condiments chez les Réunionnais peuvent-ils s’apparenter à la manière d’accommoder les plats des Basques, des Bretons ou des Alsaciens ?
La vision de Babette de Rozières, partagée par de nombreux Antillais, est certes généreuse et illustre une certaine ouverture d’esprit. Est-ce pour autant que la gastronomie de nos pays est réellement considérée comme telle par les chefs cuisiniers français ? Si elle réclame son appartenance à la France et à sa culture, notre cheffe militante devrait admettre aussi que la créativité de nos peuples, de nos artisans, de nos artistes et de nos intellectuels est loin d’être considérée comme partie intégrante du patrimoine français.
Qui croit sincèrement qu’Aimé Césaire est perçu comme un écrivain français ? Pourquoi alors un ministre de l’Education nationale - François Bayrou pour ne pas le nommer - a fait retirer en 1986 un de ses livres du programme du Bac ? Qui prend Edouard Glissant pour un penseur français ? Lui qui n’a cessé de dénoncer les séquelles du colonialisme, est ignoré du monde littéraire parisien.
Nos créateurs puisent leur force dans leur peuple
Et depuis quand Maryse Condé est-elle une romancière française ? Et qu’en est-il de Chamoiseau, Confiant, Xavier Orville, Gisèle Pineau, Ernest Pépin, Simone Schwart-Bart ? Qu’ont-ils de commun avec les écrivains français, dans les thématiques abordées et leurs styles ?
Et que dire de nos musiciens de haut niveau ? Depuis quand Kassav est-il un groupe français de musique ? Mario Canonge, Alain Jean-Marie, Malavoi, La Perfecta, Ti-Emile, E.Sy Kennenga, Tricia Evy, Soft sont-ils intégrés à la scène musicale française ? Le cinéma n’est pas en reste. Les réalisateurs Euzhan Palcy, Guy Deslauriers, Christian Lara, Jean-Claude Barny sont marginalisés dans leur milieu professionnel.
Du reste, celles et ceux qui sont cités ne revendiquent pas leur appartenance à la culture française. Ils n’ont jamais eu besoin de définir leur art en référence à celle-ci. Ils ont su puiser leur inspiration dans le génie de leur peuple, forcément distinct du peuple français. La différence n’interdit pas la fraternité. Mieux, elle ouvre la voie vers la tolérance.
Des valeurs que nous savons pratiquer dans nos pays. Exister pour les yeux de l’autre, c’est encore dépendre. C’est l’une des leçons transmises par Frantz Fanon, intellectuel bien français, n’est-ce pas ?