Le mur anti-migrants construit par la République dominicaine menace la mangrove dénoncent des ONG

Soldat dominicain patrouillant le long du mur frontière avec Haïti, 5 mars 2021.
Le mur anti-migrants que la République dominicaine construit à sa frontière avec Haïti sillonne une épaisse mangrove et met en péril l'écosystème en la privant d'eau, s'inquiètent des ONG de protection de l'environnement.

Saint-Domingue veut édifier une clôture de béton de 160 km à sa frontière avec Haïti, longue de 380 km au total, pour empêcher des migrants clandestins d'entrer et "protéger" le pays des gangs haïtiens à l'influence grandissante.
Chaque année, entre 100 000 et 200 000 immigrés haïtiens sont expulsés (171 000 en 2022) dans un contexte de xénophobie et de tension entre les deux voisins de l'île d'Hispaniola.

Mais l'Académie dominicaine des sciences estime que les dommages causés à la zone humide du parc national de Monte Cristi, dans le nord-ouest du pays, sont "irréparables".
Le ministère de la Défense, responsable des travaux, se défend en affirmant que "seuls 6 km2 ont été touchés", soit 0,04% de la zone humide.

Du haut d'une colline, Roque Taveras, fonctionnaire du ministère de l'Environnement, pointe un pan de mur de 250 mètres de long qui traverse la zone humide. Le cours d'eau de "la gorge qui alimente la mangrove a été interrompu", fait-il remarquer à l'AFP.
Les travaux ont été temporairement interrompus sur ce tronçon sur ordre des autorités environnementales, qui exigent la construction de 16 buses qui permettraient à l'eau de s'écouler.
De part et d'autre de la tranchée au milieu de la mangrove, qui peut atteindre plus de 20 mètres de haut, gisent des troncs d'arbres abattus de couleur terre cuite. "Cette mangrove, la mangrove rouge, avait des centaines d'années. Combien de temps faut-il à un nouveau palétuvier pour atteindre cette taille ?", s'interroge Roque Taveras face aux promesses de reboisement.

L'écosystème du parc national est riche avec "quatre types de mangrove" qui poussent en République dominicaine, explique-t-il.
"La rouge (rhizophora mangle), la blanche (laguncularia racemosa), la noire (Avicennia germinans) et la bouton (Conocarpus erectus)", énumère l'homme de 52 ans.
Les mangroves abritent notamment le crabe bleu (Cardisoma guanhumi), surnommé "Paloma de Cueva" (Pigeon de grottes) par les Dominicains.
Ce crustacé, dont les pinces peuvent atteindre 15 centimètres de long, fait partie des espèces classées "vulnérables" par les autorités en raison de la réduction de son habitat mais aussi de la pêche excessive pour la consommation humaine.
On trouve également de petits crabes violonistes (Leptuca pugilator), des pigeons cendrés (Patagioenas inornata), plusieurs espèces de hérons et quelque rares caïmans selon des témoins.

Le mur a aussi "un impact très négatif" sur le tourisme local, juge Hiciar Blanco, 49 ans, président de Manzanillo EcoAventura, une agence qui organise des visites et promeut la préservation de la région.
"Il a déjà commencé à nous affecter car c'était une zone où nous venions montrer la mangrove aux touristes", dit-il. Lorsque la clôture frontalière sera terminée, "nous n'aurons pas un accès facile" souligne-t-il, car une grande partie de la forêt de mangrove se trouve côté haïtien.
Il regrette aussi qu'un projet de mirador écologique de l'université de Pennsylvanie (Etats-Unis) ait été ignoré par les autorités.
Les pêcheurs locaux qui "nourrissent leur famille grâce à une pêche responsable" vont eux aussi avoir "des problèmes", augure ce défenseur de l'environnement qui arbore un tatouage de poisson voilier sur l'avant bras. Selon lui, les bouleversements engendrés vont dérégler l'équilibre halieutique.