Ce 10 septembre est la Journée mondiale de prévention du suicide, lancée afin de mettre en place des actions pour prévenir les suicides.
La Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé (Fnors) et les observatoires régionaux de la santé des départements et régions d'Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion) ont lancé un diagnostic interrégional pour examiner les spécificités des conduites suicidaires dans ces territoires.
Les DROM présentent des caractéristiques géographiques, culturelles et socio-économiques distinctes, ce qui entraîne des observations différentes par rapport à l'Hexagone. La mortalité par suicide et les tentatives semblent moins fréquentes dans les DROM que sur le continent, soulevant des questions sur la sous-déclaration et les influences culturelles.
Les tentatives de suicide plus fréquentes chez les femmes
Selon les données recensées, entre 2018 et 2021, environ 379 séjours hospitaliers pour tentative de suicide (TS) ont été enregistrés en Guadeloupe, soit une moyenne de 95 hospitalisations par an pour des personnes âgées de plus de 10 ans résidant dans la région.
Les statistiques révèlent que les tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les femmes (53 %) que chez les hommes (47 %), mais ces chiffres varient selon les groupes d'âge.
Chez les moins de 15 ans, les filles qui représentent 81% des hospitalisés, le sont quatre fois plus souvent que les garçons, pour une tentative de suicide.
En revanche, chez les patients plus âgés (55 ans et plus), les hospitalisations sont plus fréquentes chez les hommes.
Les modes opératoires des tentatives de suicide révèlent que l’auto-intoxication médicamenteuse est le principal moyen utilisé, représentant 58 % des séjours féminins et 38 % des séjours masculins.
Les auto-intoxications par d’autres produits (alcool, solvants, gaz, pesticides, etc.) représentent 21 % des hospitalisations.
Parmi les autres lésions auto-infligées, l’utilisation d’objets tranchants ou contondants est également notée, surtout chez les hommes (9 % des séjours masculins).
Les chiffres préoccupants de la mortalité par suicide
Sur la période 2015-2017, 70 décès par suicide ont été enregistrés en Guadeloupe, soit une moyenne de 23 décès par an.
Au cours des dix dernières années, le nombre de décès par suicide a fluctué, passant de 33 en 2007 à 44 en 2010, puis à 25 en 2017.
La part des décès par suicide parmi l’ensemble des décès toutes causes confondues a diminué de 1,2 % en 2007 à 0,8 % en 2017.
La mortalité par suicide touche 4 fois plus d’hommes que de femmes
La mortalité par suicide est particulièrement marquée chez les hommes, représentant quatre fois plus de décès que chez les femmes. Sur les 70 décès enregistrés entre 2015 et 2017, 57 concernaient des hommes et 13 des femmes. Les tranches d'âge les plus concernées par ces décès sont celles de 50 à 64 ans (38,6 %) et de 35 à 49 ans (24,3 %), tandis que les plus de 65 ans représentent 21,5 % des décès par suicide. Environ 80 % des suicides surviennent avant l’âge de 65 ans.
Les suicides par pendaison constituent le mode opératoire le plus fréquent, représentant 74,3 % des cas. Ce mode opératoire est majoritaire tant chez les hommes (73,7 %) que chez les femmes (76,9 %). Les auto-intoxications non médicamenteuses constituent le second mode opératoire le plus souvent enregistré.
La prévention du suicide en Guadeloupe, un défi quotidien pour les professionnels de santé
L'étude révèle un mal-être dans certaines populations et met en lumière les difficultés des professionnels de santé à fournir une prise en charge adéquate en santé mentale. Le manque de moyens humains et de dispositifs adaptés, ainsi que l'absence d'organisation psychiatrique sur l'île, sont des obstacles majeurs.
Bien que des dispositifs d'aide comme les Centres Médico-Psychologiques (CMP) sont connus, d’autres, tels que VigilanS ou le numéro national 3114, restent méconnus, limitant leur utilisation.
Selon cette étude, plusieurs facteurs augmentent le risque de suicide en Guadeloupe :
- Contexte socio-économique et familial : la précarité, l'isolement social, et les conflits familiaux, comme les divorces, sont des déclencheurs majeurs de la détresse psychologique.
- Souffrance au travail : le stress lié aux restructurations d'entreprises, au harcèlement et au manque de soutien entre collègues contribue au mal-être.
- Antécédents familiaux et comportements à risque : les familles ayant vécu un suicide sont plus vulnérables. De plus, certains comportements dangereux, tels que des alcoolisations massives, peuvent être des "équivalents suicidaires".
- Impact de la pandémie de Covid-19 : le confinement a aggravé les troubles mentaux, l’isolement des personnes âgées et la violence domestique, renforçant les risques de suicide.
Santé mentale et suicide en Guadeloupe, des mots encore tabous
Le suicide reste un sujet difficile à aborder en Guadeloupe, marqué par des sentiments de honte et de culpabilité au sein des familles.
De même, la santé mentale est stigmatisée, et consulter un "psy" est souvent associé à la folie. Cette perception décourage la recherche d'aide, bien que les souffrances psychologiques soient courantes.
Les croyances magico-religieuses influencent aussi les attitudes face au suicide, certaines familles préférant consulter des guérisseurs. Cependant, une majorité se tourne vers des professionnels de la santé.
Malgré de nombreux défis socio-économiques, les Guadeloupéens montrent une forte résilience. Pour prévenir le suicide, il est crucial de déstigmatiser la santé mentale et de promouvoir une prise en charge adaptée à la culture locale.
Car, selon les conclusions de cette étude, l'offre de soins en santé mentale en Guadeloupe est insuffisante pour répondre aux besoins de la population.
Le manque de professionnels, notamment de pédopsychiatres et de géronto-psychiatres, est alarmant. Les Centres Médico-Psychologiques (CMP) sont débordés, et les équipes mobiles pour les personnes vulnérables sont rares.
La prévention se concentre souvent sur les soins après un acte suicidaire plutôt que sur la prévention primaire, avec peu de campagnes d’information pour le grand public ou les groupes à risque. Les actions de sensibilisation dans les écoles, par exemple, ne sont pas régulières.
Les professionnels déplorent aussi l'absence de collaboration entre les différents acteurs de la santé mentale. Ils appellent à la création d'un réseau pour mieux coordonner les efforts, ainsi qu'à un référent dédié à la prévention du suicide pour informer et orienter les citoyens et les soignants. Une politique claire de prévention est essentielle pour améliorer la situation.
Des groupes vulnérables plus touchés
Selon les conclusions des experts de l'ORSAG et de la sociologue, auteurs de l'étude, en Guadeloupe, le suicide touche particulièrement des populations vulnérables.
Chez les jeunes, les adolescents sont confrontés à des violences psychologiques familiales, des ruptures sentimentales, et une non-acceptation de leur orientation sexuelle.
Les jeunes femmes enceintes précocement, surtout dans des familles croyantes, peuvent aussi se retrouver en détresse.
Les agressions sexuelles et l'inceste sont aussi des facteurs de risque significatifs.
Le harcèlement physique ou psychologique à l'école et les remarques blessantes des enseignants sont également des facteurs déterminants.
Les personnes âgées, bien que souvent négligées, présentent un taux élevé de suicides en Guadeloupe. Le manque de géronto-psychiatres, avec seulement un professionnel dans l'archipel, accentue la nécessité de ressources adaptées pour cette population vieillissante.
Chez les personnes souffrant de troubles mentaux, la dépression et autres troubles psychologiques croissants sont des facteurs majeurs de risque de suicide. Une prise en charge proactive est cruciale pour soutenir les personnes en difficulté et prévenir le passage à l’acte.
Les détenus sont à haut risque en raison du stress de l'incarcération, de la promiscuité, et du sentiment de culpabilité. Les gardiens de prison sont également affectés, soulignant la portée étendue de cette problématique.
Pour faire face à ces défis, il est essentiel de renforcer les ressources et les stratégies de prévention adaptées aux besoins spécifiques de chaque groupe.
A écouter Patrick Racon, psychologue invité de Julien Babel dans le Grand direct radio à 13 heures, le 10 septembre 2024, autour du thème du suicide :