Les monopoles économiques en Guadeloupe : décryptage

Les groupes SAFO (Milenis) et GBH (Destreland) sont les principaux acteurs du secteur de la grande distribution, en Guadeloupe.
Le 20 août dernier, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, annonçait la mise en place d’une mission visant à identifier et lutter contre les monopoles économiques dans les territoires ultramarins. Cette problématique y est très significative, singulièrement en Guadeloupe. Nous vous proposons un focus sur ces grands groupes en position de force dans l’archipel.

Identifier et lutter contre les monopoles économiques en Outre-mer ; telle est la mission que s’est fixée le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, Gérald Darmanin. Une problématique ancienne et constante, dans ces territoires, où le pouvoir d’achat et le niveau des prix sont au cœur des préoccupations.

Les structures de marché en Guadeloupe

En Guadeloupe, en 13 ans, l’écart de prix s’est creusé, avec l’Hexagone : + 16%. Pire encore, les produits alimentaires sont désormais plus chers de 42%, localement.
Quelles sont les différentes structures de marché qui s’articulent dans l’archipel ?

Nous avons posé la question à l’économiste Sébastien Matouraparsad.

On entend par "monopole", une situation dans laquelle une entreprise est seule à exercer son activité, sur le marché. En Guadeloupe, deux secteurs sont concernés.

Typiquement, c’est la SARA, sur la distribution, le stockage, le raffinage du pétrole, le carburant. C’est l’EDF, en ce qui concerne l’électricité.

Sébastien Matouraparsad, économiste

Il existe aussi des cas de "duopole", une structure de marché dans laquelle seulement deux entreprises dominent, comme le FRET maritime.

La CMA-CGM et Seatrade. Mais CMA-CGM est en situation tellement importante, qu’on peut même parler de monopole.

Sébastien Matouraparsad, économiste

Le nerf de la guerre est la grande distribution, où la structure est plus particulière. Ici, on parle de frange concurrentielle. Trois, quatre groupes mènent la danse en Guadeloupe. lls sont suivis par une multitude de petites entreprises. Mais ce sont bien ces gros acteurs qui maîtrisent toute la chaîne, de l’acquisition à la mise en rayon, et bien plus encore. 

C’est une concentration qui est verticale. Lorsqu’on va contrôler l’approvisionnement des produits, le transport, l’acheminement et la distribution des produits, la revente aux petits distributeurs et aussi aux clients. Et puis, à côté, vous avez aussi le fait qu’une entre entreprise ou un groupe est présent(e) dans plusieurs secteurs d’activité : typiquement l’alimentation, l’importation, dans les secteurs d’activité de bricolage, de sport de l’automobile... 

Sébastien Matouraparsad, économiste

Une intégration verticale, qui permet à ces groupes d’asseoir leur domination.

Vous avez des acteurs qui sont capables d'influencer le prix, qui peuvent faire ressembler à une situation de monopole. Mais c'est une stratégie des acteurs qui est mise en place, de telle façon qu'une entreprise soit comme en situation de prédation sur le marché et puisse conserver une situation de domination sur le marché.

Sébastien Matouraparsad, économiste

Domination visible sur le site Pappers. Il répertorie les annonces obligatoires des entreprises. Une source d’information qui donne accès aux différentes toiles tissées par exemple, par deux groupes, GBH et SAFO. Une omniprésence dans plusieurs activités, dont l’import-distribution. 

Est-ce le marché souffre d'un problème de structure, ou est-ce que ce sont des comportements contre lesquels on doit lutter ? Il me semble que le problème se pose plus sur la question des comportements des acteurs, qui ont parfois des attitudes de prédation, qui vont avoir des stratégies de façon à évincer ou empêcher des entreprises de rentrer sur le marché.

Sébastien Matouraparsad, économiste

Selon l’autorité de la concurrence, l’intégration verticale de certains acteurs est susceptible de favoriser des pratiques discriminantes. L’institution indépendante recommande d’introduire dans le Code de commerce une disposition permettant de les sanctionner, le cas échéant. 

Droit de la concurrence : quelles spécificités en Guadeloupe ?

Y a-t-il des ententes, entre les acteurs qui se partagent les marchés, en Guadeloupe ?
Face à ce type de comportements, s’ils sont avérés, quelles sont les sanctions ?
La concurrence devrait en principe profiter aux consommateurs et tirer les prix vers le bas, mais cette mécanique n’est pas observée localement.

Nouvelles séries de questions, adressées cette fois à l’avocat Raphaël Lapin. 

Il faut remonter le temps et la structuration de notre économie pour comprendre. Faisons donc un petit rappel historique :

Cette fameuse loi de 1849, loi d’indemnisation des colons, est venue quelque part, avec le fait des banques coloniales, structurer nos économies de manières durables et encourager la structuration d’un certain nombre d’entreprises, qui ont été les premières à entrer sur le marché de la grande distribution.

Raphaël Lapin, avocat

Autre spécificité : l’étroitesse du marché guadeloupéen ; 1.628 Km² pour moins de 400.000 habitants. Et un éloignement de plusieurs milliers de kilomètres avec le principal lieu d’importation : l’Hexagone.

C’est propice à la structuration d’un champion qui va décider du marché. Finalement, on se retrouve avec une structuration historique qui aboutit à une position dominante d’un opérateur donné. 

Raphaël Lapin, avocat

Si on est libre de se faire concurrence, il existe des limites pour stopper certaines pratiques.

Le droit de la concurrence vient encadrer les concentrations d’entreprises. Il y a aussi la sanction des abus de positions dominantes. Il y a un troisième type de pratiques qui est sanctionné ; c’est quand une ou plusieurs entreprises en situation d’oligopoles, sur un marché donné, se retrouvent à développer ce qu’on appelle des ententes anti-concurrentielles, des pratiques anti-concurrentielles, où on s’entend pour fixer des prix anormalement bas, vendre à perte (ce qui est interdit), éliminer certains nouveaux intrants, ou alors s’assurer, d’une manière générale, comme on est un faible nombre, de s’entendre pour partager les parts du gâteau.  

Raphaël Lapin, avocat

En Guadeloupe, dans la grande distribution, deux groupes ont une présence significative. Il s'agit de GBH et SAFO. Ils détiennent chacun un hypermarché, leur propre centrale d’achat, ainsi que leur propre circuit d’acheminement. Des concurrents sur le papier. Pourtant... 

Vous prenez les statuts d’une société qui se retrouve à exploiter un hypermarché sur les Abymes et on se retrouve avec des droits de préemption qui appartiennent à GBH, alors que c’est une société entièrement détenue par le groupe SAFO. 

Raphaël Lapin, avocat

Selon les derniers statuts, en cas de vente des parts de SAFO, GBH a la possibilité d’acquérir en priorité la société frigorifique de Bergevin. La SFB, qui détient 50% des parts de SOFROI qui, elle-même, exploite l’hypermarché et la galerie marchande de Milenis, aux Abymes.
Alors, par ricochet, on peut se poser des questions.  

Est-ce qu’il s’agit d’un oubli, dans les statuts ? Ou alors, est-ce que ce droit de préemption a vocation à garantir que, même si demain, SAFO venait à se séparer de l’intégralité des parts d’une société qui exploite un hypermarché, ça puisse être un opérateur, a priori un concurrent, qui en bénéficierait ?

Raphaël Lapin, avocat

Une clause garantit que, même si GBH prenait le contrôle de Milenis, la société SOFROI serait franchisée.

L’Autorité de la Concurrence a exigé le retrait du groupe Hayot de l’activité hypermarché du centre commercial des Abymes Milenis. Mais GBH détient tout de même un droit de préemption sur l’activité immobilière de la Galerie marchande. C’est légal, mais ça pose question.