Ce 4 juin 2024, c'est jour de fête à Saint Claude. Comme à son habitude et comme le faisait son prédécesseur avant elle, Lucy Weck-Mirre maire de la commune est bien présente pour l'occasion.
Il s'agit en effet d'honorer la doyenne de la commune qui est aussi, désormais, la doyenne reconnue de la Guadeloupe.
Elle s'appelle Emilienne Becarin. Elle fête ses 113 ans. Depuis le décès des deux Abymiennes qui la précédaient, c'est elle qui porte maintenant le flambeau de la longévité guadeloupéenne.
Pour ses deux enfants encore vivants, (elle en a eu 5) et pour les 127 petits enfants, arrière-petits-enfants et arrière-arrière-petits-enfants qu'ils lui ont donnés, c'est un jour que même ceux qui ne sont pas en Guadeloupe, ne peuvent manquer. Un jour, où chacun se souvient de quelque chose de particulier à propos d'Emilienne. Et en premier lieu, ses deux enfants.
À Saint-Claude, commune de 10 700 habitants, qui a vu sa population augmenter de 3,89% en 2021 par rapport au recensement de 2015, on s'est aussi habitué à voir le nombre de centenaire et supercentenaires évoluer lui aussi. Alors on s'organise pour les entourer et veiller à leur bien-être.
Sélection naturelle provoquée par l'esclavage
Mais en cela, Saint Claude serait un exemple de cette vertu de longévité qui est de plus en plus reconnue aux Antilles Françaises. Elles auraient huit fois plus de supercentenaire que l'Hexagone.
Dans une étude de ma Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse publiée dans "Gérontologie et Société", Jacques Vallin (*) émet une hypothèse qui induirait que l'esclavage aurait provoqué une sélection naturelle qui expliquerait une telle longévité. Elle aurait donc une explication génétique.
Ainsi peut-on admettre que l'immense majorité de la population actuelle a hérité les caractéristiques génétiques de leurs ancêtres esclaves ? Que ce soit leur de leur capture, durant leur confinement avant la déportation, ou pendant la traversée de l'Atlantique, la mortalité a été effroyable. Puis arrivés aux Antilles, ces hommes et femmes le plus souvent très jeunes étaient soumis aux travaux forcés et à des traitements brutaux. Beaucoup mouraient avant de pouvoir faire des enfants. L'ensemble du processus a naturellement sélectionné les individus les plus résistants qui ont été les seuls à aller jusqu'au bout de la chaîne et ont réussi à se reproduire.
Jacques Vallin, "Gérontologie et société. CNAV
Et Jacques Vallin en conclut que "S'il y a un lien génétique entre la robustesse et la longévité, cela pourrait évidemment suffire à expliquer la surprévalence actuelle de supercentenaires."
Il compare ainsi la situation de la Guadeloupe et de la Martinique à celle de la Réunion où le peuplement a été très différent, où les personnes mises en esclavage venaient essentiellement de Madagascar et où le traitement infligé a été bien différent de celui subi par les victimes de l'esclavage aux Antilles françaises.
L'exception de Saint Barthélemy
L'étude menée par Jacques Vallin bute cependant sur un cas, celui d'Eugénie Blanchard de Saint Barthélemy. Ange Eugénie Blanchard qui est née en 1896 à Saint Barthélemy et qui, dans ses derniers jours, en 2010, aura été la doyenne des Français. Et l'auteur de l'étude n'hésite pas à chercher des hypothèses d'explication, allant même jusqu'à se demander si l'Eugénie Blanchard qui a quitté Saint Barthélemy à 25 ans pour aller vivre durant 33 ans à Curaçao où elle était religieuse, est la même qui un jour est revenue à Saint Barthélemy pour y finir ses jours.
Pourtant, on sait aussi de quelle résilience et de quelle force de survie les premiers Saint-Barths ont dû faire preuve pour demeurer sur l'île, quelquefois même abandonnés par tous sur un caillou sans grande opportunité. Ce qu'ils en ont fait explique peut-être la nature de leur longévité à eux aussi.
Voir aussi :
Saint Claude, commune des centenaires et des supercentenaires
*Jacques Vallin, Directeur de recherche émérite, Institut national d'études démographiques (Ined), Campus Condorcet