Massacre de mai 1967 à Pointe-à-Pitre : les langues se délient, pour obtenir justice pour les victimes

Mai 1967 : le journal d'information de la Guadeloupe relatait les évènements et faisait état du bilan provisoire de la tuerie.
Le collectif Lyannaj Kont Pwofitasyon dénonce : les familles des victimes du massacre de mai 1967 restent sans nouvelle de la justice, depuis la plainte déposée devant le Parquet de Pointe-à-Pitre, le 2 août 2023. À l’occasion de ce mois de commémoration des évènements sanglants, le LKP se rappelle au bon souvenir des autorités judiciaires.

Mois de mai, mois de Mémoire. Or, en Guadeloupe, à travers les années, de nombreux faits historiques ont eu lieu en mai.
Outre la commémoration de l’abolition de l’esclavage, le collectif Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP) met un point d’honneur à raviver continuellement le souvenir des victimes du "massacre" de mai 1967, à Pointe-à-Pitre. C’est ainsi qu’une conférence-débat a été organisée vendredi 24 mai 2024, à la salle Georges Tarer, dans le quartier de Lauricisque. L’occasion aussi de rappeler qu’une plainte a été déposée, le 2 août dernier, devant le Parquet de Pointe-à-Pitre, avec constitution de partie civile. L’objectif des familles de victimes, notamment à l’origine de cette action, est double : il s’agit de faire en sorte que la lumière soit faite sur les évènements de l’époque et d’obtenir justice et réhabilitation pour les personnes tuées et blessées par les forces de l’ordre, dans un climat de terreur. Les plaignants pointent du doigt "l’Etat colonial français", qui s’est rendu coupable d’une "sanglante répression".

Un rapport qui lève le voile

Un "massacre" !
Ce mot est issu du rapport Stora, du nom de l’historien Benjamin Stora, chargé de présider une "Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane et de mai 1967 en Guadeloupe" ; rapport remis à la ministre des Outre-mer Ericka Bareigts, en octobre 2016.
Ce mot qualifie les actes perpétrés par la France, à l’égard de la population guadeloupéenne, en mai 1967, à Pointe-à-Pitre ; des faits longtemps restés tabous, minimisés, voire occultés par les autorités.

Il aura fallu 50 ans pour que ce rapport, un document officiel, permette une meilleure analyse de cette tuerie de masse. Pour autant, le nombre exact de morts reste inconnu, à ce jour.
Le rapport Stora met donc en lumière un révisionnisme, un négationnisme et l’immobilisme de la justice.

C’est sur cette base qu’une plainte a été déposée par l’association Anmwé 67, l’UGTG (membres du LKP) et des familles de victimes. Depuis, le dossier a été transféré au pôle "crimes contre l’humanité" du tribunal de Grande Instance de Paris.

Nous avons la confirmation que c’était un massacre, puisque c’est ce mot qui est utilisé, au prétexte qu’il y a eu énormément de victimes, énormément de munitions utilisées et énormément de gros calibres utilisés. La deuxième chose que révèle le rapport Stora : il y a au moins un corps qui a disparu, celui de Monsieur Angèle. Sa dépouille a été vue à l’hôpital, à l’Assainissement et, après, le corps a disparu (...).

Elie Domota, porte-parole du LKP (au micro de Julien Babel) – [Traduction de créole]

De nouveaux témoignages

En organisant son impunité, l’Etat a organisé la culpabilité des émeutiers de mai 67, déclare le Lyannaj Kont Pwofitasyon. Les représailles ont dissuadé les témoins et les familles de se faire connaître ; nul ne voulait que l’on sache qu’un de ses proches était présent. Et, tandis que des militants ont fait l’objet de poursuites judiciaires et que plusieurs ont été condamnés, des agents des forces de l’ordre ont été décorés, après la tuerie, dénonce Elie Domota.

Aujourd’hui, le porte-parole du LKP lance un appel aux familles de victimes, tombées dans l’oubli, pour qu’elles se constituent parties civiles.
D’ailleurs, d’ores et déjà, des langues se sont déliées, notamment vendredi, lors de la conférence-débat à l’initiative du collectif.

La porte n’est pas fermée. Les familles de personnes décédées, les familles de ceux qui ont disparu et ne sont jamais revenus, les familles qui sont dans la douleur parce que livrées à elles-mêmes, les personnes blessées aussi... elles ont droit à la parole, elles ont droit à la justice, elles ont droit à la réhabilitation. Nous recueillons les témoignages pour les intégrer et étayer le dossier judiciaire (...). Il y a des gens qui nous ont dit des choses qu’on ignorait ! Un gars est venu nous rapporter le témoignage d’un voisin âgé, désormais décédé ; celui-ci a vu des gendarmes noyer un homme à la Darse. Un autre, qui avait 15 ans à l’époque, est venu nous dire ce qu’il a vu. Chaque année, des gens parlent (...)

Elie Domota, porte-parole du LKP (au micro de Julien Babel) – [Traduction de créole]

Les 26, 27 et 28 mai 1967, des personnes sont mortes en Guadeloupe. Pourtant, il n’y a eu aucune audition de témoins, aucune autopsie, aucune expertise scientifique, aucune investigation, aucune information judiciaire, raconte Elie Domota : "Yo pa fè ayen !". Une telle inaction depuis 1967, depuis 2016, ni depuis 2023 pourra faire l’objet d’un recours, annonce le porte-parole du LKP.

À (RE)VOIR/
En mai 1997, Guadeloupe La 1ère consacrait un documentaire aux évènements de mai 1967. Alex Robin et Rodrigue Lami y racontaient le massacre de Pointe-à-Pitre. En voici un extrait :

REDIFFUSION : reportage sur les évènements de mai 67 - 05/1997. ©Alex Robin et Rodrigue Lami - Guadeloupe La 1ère