Des ouvriers nicaraguayens de la banane obtiennent près d'un milliard de dollars d'indemnisation de multinationales vendant des pesticides

Cette procédure judiciaire pourrait inspirer les victimes du chlordécone. Des ouvriers nicaraguayens de la banane ont saisi la justice française pour que soit exécuté un jugement pris dans leur pays qui condamne des multinationales à leur verser plus de 800 millions de dollars d’indemnisation.
A 2 500 kilomètres des Antilles, le Nicaragua est agité lui aussi par un scandale lié aux pesticides. Trois multinationales de la chimie ont été condamnées en 2012, par la justice de ce pays, à verser 805 millions de dollars à 1 234 anciens ouvriers de bananeraies, exposés aux produits fabriqués par ces sociétés, et dont elles connaissaient la toxicité. Les firmes en question ont depuis fui le pays, et n’ont jamais respecté le jugement.
Mais elles pourraient bientôt y être contraintes par la justice française, car les anciens employés nicaraguayens ont saisi le Tribunal de grande Instance de Paris. Une procédure rare qui pourrait inspirer ceux qui se battent pour que les dangers du chlordécone soient reconnus.
Le Nicaragua pourrait donc bien servir d'exemple en matière d'indemnisation des victimes de pesticides. 
 

Une décision capitale

C'est ce qu'on appelle l'exequatur (procédure permettant de rendre exécutoire en France, soit une décision de justice étrangère, soit une sentence arbitrale)... En clair, il s'agit de forcer, à partir de Paris, l'exécution du jugement nicaraguayen, en s'appuyant sur le fait qu'il n'est pas contraire à l'ordre public français. Les quelques 800 millions de dollars de réparation deviendraient, dès lors, une réalité. Le succès de cette démarche pourrait également avoir un véritable impact à travers le monde.
Pierre-Olivier Sur, est l'un des avocats qui s'occupe de l'affaire. pour lui, "cette décision aura un effet exemplaire qui va faire le tour du monde, parce que si, on arrive, en France à donner force exécutoire à une décision du Nicaragua parce qu'elle est rendue sur le fondement du droit français, un certain nombre de pays vont être alertés". 
 

Un scandale sanitaire similaire à celui du chlordécone

Le combat de ces ouvriers contre les multinationales dure depuis des années. Ces entreprises ont commercialisé des produits appelés Nemagon et Fumazone, contenant un pesticide, le Dibromo-chloro-propane (DBCP). 
Dès les années 50, les effets nocifs de ce pesticide étaient connus par ces entreprises. 
Les avocats des ouvriers ont d'ailleurs souvent plaidé que les multinationales ne pouvaient ignorer la nocivité de ce pesticide, puisqu’il était déjà interdit aux États-Unis depuis 1977 et vendu en Amérique Centrale jusqu'en 1983.
Au Nicaragua, les conséquences sont multiples : cancers, tumeurs, infertilité, affections de la peau, lésions sur les reins, poumons et foie. Les sols, eux, sont empoisonnés pour plusieurs siècles. 
Des pesticides similaires ont été utilisés dans d’autres pays d’Amérique latine, mais aussi aux Antilles. Comme le chlordécone, qui constitue un autre scandale sanitaire majeur. 
 

Une décision qui pourrait influer sur les futurs jugements 

En décembre 2016, la Cour suprême du Nicaragua condamnait les trois multinationales à verser 805 millions d'euros aux victimes de ce pesticide. Un jugement qui n'a jamais été exécuté... Les entreprises condamnées se sont soustraites à leurs obligations, en retirant tous leurs actifs du Nicaragua.

La décision pourrait aussi avoir des répercussions positives sur la prise en compte des préjudices liés au chlordécone dans les Antilles. L'affaire repose sur les mêmes fondements que le scandale nicaraguayen. Les 800 millions de dollars pourraient servir de référence pour de futurs jugements. 
"Pour le chlordécone c'est pareil... Une interdiction, finalement, limitée à la France métropolitaine et puis pour l'Outre-mer, les Antilles, etc., on laisse faire afin d'écouler les stocks, au mépris de la santé publique. Et ça, c'est quelque chose qui relève du scandale. Il n'est pas possible que la justice n'y donne pas une correspondance indemnitaire et sanctionnatrice".
Les victimes nicaraguayennes devraient, toutefois, attendre pour connaître le verdict. Celui-ci pourrait ne tomber que d'ici un an et demi.
Et en raison des retards dans l'application du jugement, le montant des indemnisations s'élève aujourd'hui à plus d'un milliard de dollars.