C’est sans conteste une rencontre cruciale pour Haïti qui a débuté en Jamaïque, hier (dimanche 11 juin 2023). Durant trois jours, en présence de la communauté internationale, les responsables politiques et des acteurs de la société civile de ce pays doivent échanger, dans le but d’en finir avec le chaos. Un rendez-vous placé sous l’égide de la sous l’égide la communauté de la Caraïbe (CARICOM).
Mais le dialogue a été compliqué d’emblée par l’attitude du premier ministre, Ariel Henry, seul au pouvoir depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, à Pétion-ville.
Pour rappel, le pays de Toussaint Louverture est englué dans une crise politique, sécuritaire et humanitaire depuis plusieurs mois.
Une grande partie du pays, dont la capitale Port-au-Prince et sa périphérie, est contrôlée par les gangs armés et ultra-violents ; les assassinats, les viols, les enlèvements y sont devenus monnaie courante.
La pauvreté et la famine gagnent aussi du terrain, sur place.
Et les séismes et autres aléas climatiques aggravent les plaies du pays
Dans ce contexte, il est urgent d’agir. D’où les tentatives de l’Organisation des nations unies (ONU) pour trouver un pays volontaire et apte à s’imposer comme le chef d’orchestre d’une action internationale ; tentatives vaines jusqu’ici.
Qui pour sauver le pays Haïti ?
Pour en parler, l’invité international de Jean-Baptiste Marot, sur RFI, hier (dimanche 11 juin 2023), était Christophe Wargny. Il est universitaire historien, écrit pour le Monde Diplomatique et est connu pour être un spécialiste des questions haïtiennes. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage « Haïti, cinq siècles après Colomb » (L’Harmattan – juillet 2022).
Christophe Wargny note, pour commencer, que toutes les toutes les autorités exécutives et les partis politiques issus du parlement haïtien sont présents, en Jamaïque. En revanche, la société civile y est beaucoup moins bien représentée.
Pour l’historien, le principal enjeu est de savoir s’il faut reconnaître les actuels gouvernants, dont Ariel henry, comme "des interlocuteurs valables". Le fait est que ce dernier n’a jamais été ni investi, ni élu.
Difficile, dans ce contexte, d’espérer l’émergence d’une solution pour Haïti, d’ici mardi.
C’est la énième rencontre, soit inter-haïtienne, soit sous l’égide d’un tiers. Dans le passé, la CARICOM a rarement montré une capacité à résoudre les problèmes dans son secteur. Et, donc, moi je vois les choses de façon assez pessimiste, mais j’espère me tromper.
Christophe Wargny, spécialiste d’Haïti (interview RFI)
Pour enfoncer le clou, Christophe Wargny dit douter de la possibilité pour la CARICOM de réussir là où l’ONU et l’Organisation des Etats américains (OEA) ont échoué avant elle.
A priori, je ne le pense pas. Haïti a connu une succession de crises politiques, depuis une trentaine d’années, depuis la chute des Duvalier et l’ONU est intervenue à un très grand nombre de reprises avec, souvent, des moyens très importants (10 à 15.000 soldats pendant des années et des années). Aujourd’hui, l’Onu cherche à se défausser ou cherche quelqu’un qui voudrait bien prendre les choses en main. La CARICOM me paraît beaucoup moins bien placée que ne l’étaient, dans les interventions passées, des poids lourds comme le Canada, le Brésil, le Venezuela...
Christophe Wargny, spécialiste d’Haïti (interview RFI)
La semaine dernière, la vice-présidente des Etats-Unis d’Amérique, Kamala Harris, a réaffirmé le soutien de Washington en vue de la création d’une force multinationale, en Haïti. Reste à trouver celui qui en prendrait le leadership...
Il faudra bien trouver une solution. Le pays vit un climat d’anarchie absolument insupportable (...). On ne sait pas très bien quel est le rôle du gouvernement, ni celui de la police, l’un et l’autre étant tout à fait corrompus. Intervenir pourquoi ? La question se pose aux Etats-Unis et au Canada. Est-ce une opération de police ? Pour ensuite établir quel régime ? (...) Il ne faut pas oublier que, dans le passé, la dernière grande force de l’Onu s‘appelait "Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti" [MINUSTAH]. Le problème est de savoir ce qu’on veut stabiliser. Est-ce qu’on veut revenir à une société extraordinairement inégalitaire, injuste, limite esclavagiste ? Ou est-ce qu’on veut changer les choses ? Est-ce qu’on vient pour reconstruire, ou est-ce qu’on vient simplement pour faire un peu de police ?
Christophe Wargny, spécialiste d’Haïti (interview RFI)
Voilà pour l’avis et les préoccupations d’un observateur extérieur.
Ariel Henry, quant à lui, semble vouloir garder les rennes et ne pas laisser la communauté internationale s’immiscer dans les affaires de son pays.
Ambiance tendue en Jamaïque
Dès le premier jour de la réunion des représentants politiques d’Haïti, en Jamaïque, le comportement du premier ministre Ariel Henry a eu de quoi surprendre. Le chef du gouvernement a d’abord indiqué qu’il n’était pas venu à la Jamaïque pour signer un nouvel accord, rapportent RFI et Gazette Haïti.
En outre, le dirigeant de circonstances a annoncé la mise en place prochaine d’un nouveau conseil électoral provisoire, un remaniement ministériel et une révision constitutionnelle, visant à permettre au peuple haïtien de choisir ses dirigeants.
Pour l’ancien premier ministre et actuel chef du parti, "Les Engagés pour le développement", Claude Joseph, son successeur est "animé par la volonté de garder le pouvoir, en toute illégitimité, le plus longtemps possible".
Au lieu d’un dialogue constructif, les participants à cette rencontre assistent ainsi à une passe d’armes, dont le pays se serait bien passé, en ces temps où l’urgence est partout.