Faute de mémoire collective, on a tendance à croire, aux Antilles, que le risque tsunami ne nous concerne pas. C’est une erreur !
Entourées d’eau, les îles de Guadeloupe, ainsi que la Martinique et les dites "Iles du Nord", réunissent tous les critères favorisant les tsunamis. D’ailleurs, même si on ne s’en souvient pas, nos territoires ont déjà essuyé des vagues hors normes, par le passé.
Entretien « Alerte Guadeloupe », avec Pascal SAFFACHE, Maître de conférences du Département « géographie - aménagement » de l’Université des Antilles :
Alerte Guadeloupe : Est-il plausible qu’un tsunami concerne un jour les Antilles ?
Pascal SAFFACHE : Absolument ! Ce, bien que la mémoire collective joue très peu localement. Pendant longtemps, on a nié l’existence de tsunamis, en Guadeloupe et en Martinique. Avant 2004, beaucoup de personnes disaient – et les services de l’Etat en premier – qu’il n’y a pas de risque tsunami aux Antilles. Et puis il y a eu le séisme de Banda Aceh*, le 26 décembre 2004. C’est à partir de là qu’on a commencé à se poser la question sur la probabilité d’une telle catastrophe aux Antilles. Chemin faisant, en dépouillant les archives historiques dont on dispose, on a observé que nos îles ont bel et bien été frappées par des tsunamis, par le passé. Un, en particulier, a été vraiment bien décrit, bien documenté : c’est celui du 1er novembre 1755, qui a affecté les côtes de la Guadeloupe et de la Martinique, à la suite du séisme qui a ravagé Lisbonne et fait des milliers de morts dans cette ville du Portugal. Une onde a alors traversé l’océan Atlantique. C’est un ecclésiastique qui a vécu ces évènements et les a décrits en détails, dans une sorte de journal de bord, affirmant que la vague avait plus de 100 mètres d’amplitude, qu’elle est entrée à l’intérieur des terres, a détruit des habitations, etc. Il a vu la mer se retirer. Il a vu la vague arriver. Il a vu les esclaves qui travaillaient le long du littoral se faire emporter. Ça c’est la première description précise d’un tsunami affectant les Antilles françaises.
A.G : Et il y en a eu d’autres...
P.S. : Après, l’histoire est jonchée d’exemples. Notamment, juste après le séisme de 1843 – qui a fait plus de 3 000 morts en Guadeloupe – on a des descriptions de vagues, qui partent dans toutes les directions et qui affectent d’autres îles de la Caraïbe. Le phénomène le plus récent et qui aurait dû marquer les populations, mais qui malheureusement ne l’a pas fait, remonte à 1939. Lors de son réveil, le volcan sous-marin Kick’em Jenny** a généré une onde relativement importante, qui s’est propagé et a affecté les côtes de la Martinique et, plus modérément, de la Guadeloupe. Bien entendu la vague n’est pas comparable à celle de Banda Aceh… mais on estime que la vague, bien qu’ayant moins d’un mètre d’amplitude, a pénétré à l’intérieure des terres, a détruit des clôtures et quelques constructions légères et, donc, a généré des dégâts. Ce qui prouve qu’il peut y avoir des tsunamis.
A.G : Vous venez de citer deux sources potentielles de tsunamis : les séismes et les volcans sous-marins. Y en a-t-il d’autres ?
P.S. : Oui. On ne peut pas nier les glissements de terrains sous-marins. Ni les chutes de météorites en mer, pour un véritable scénario catastrophe… mais bon, ça, on peut le prévenir, on le voit venir. Et puis, parlons des versants de l’île de la Dominique qui, potentiellement, pourraient être déstabilisées. En s’effondrant avec force en mer, ils pourraient générer, sur les côtes de la Guadeloupe, des ondes relativement importantes... d’où un risque de tsunami. Cela parce que la Dominique a un substrat relativement fragile et, donc, il pourrait y avoir des glissements de terrain, qui pourraient entraîner l’effondrement des falaises.
A.G : Peut-on évaluer à que point nous sommes exposés ?
P.S. : Ce qu’il faut bien comprendre c’est que Guadeloupe et Martinique sont très vulnérables, pour trois raisons. Premièrement parce que ce sont des îles, c’est-à-dire des territoires entourés d’eau. Deuxièmement parce que sur ces territoires, les populations occupent très largement la frange côtière ; elles se sont prioritairement concentrées sur les zones littorales. Et, enfin, troisième facteur, nous vivons à proximité de zones « tsunamigènes », c’est-à-dire potentiellement émettrices de tsunamis ; je pense essentiellement au Kick’em Jenny et, de l’autre côté de l’Atlantique, la Cumbre Vieja.
A.G : Cumbre Vieja, du nom de cet autre volcan qui menace de s’effondrer ?
P.S. : Au sein des îles Canaries, au large de l’Afrique, vous avez l’île de La Palma. Elle est constituée de plusieurs volcans, dont ce fameux Cumbre Vieja. Il ne va pas entrer en éruption, mais il a un versant occidental qui va s’effondrer, petit à petit et, d’après les simulations qui ont été réalisées par le chercheur Français, Raphaël PARIS, on estime que ce versant « pourrait » s’effondrer d’ici une trentaine d’année. Si ce scénario devient réalité, cela va générer, au départ, une onde, qui pourrait avoir une quinzaine de mètres d’amplitude et qui, lorsqu’elle arrivera, environ 6 heures 30 après, sur les côtes des petites Antilles, devrait avoir une amplitude d’à peu près 6 mètres. Des dégâts relativement importants pourront alors être déplorés, quand on sait qu’on a environ 90 000 personnes qui vivent directement au contact de la mer en Guadeloupe ; et autant en Martinique. 180 000 personnes, non-habituées à ce type de risque, qu’il faudra évacuer.
La population n’a pas encore intégré les bons gestes d’un tel mouvement, qui devra être spontané et rapide.
Là on prend la mesure de la vulnérabilité.
A.G : A ce niveau là – la prévention – le travail ne fait que commencer.
P.S. : Le travail ne fait que commencer. Il faut aussi noter que, dans l’océan Atlantique, contrairement à l’océan Pacifique, nous n’avons pas un réseau de bouées anti-tsunamis étendu. Le pacifique est ceinturé par ce type d’équipement, qui sont autant de points d’alerte, en cas d’onde se déplaçant à une vitesse inhabituelle. Ces bouées émettent un signal, relayé par des satellites. Ainsi, si un phénomène de très grande ampleur se produit, nous n’aurons pas forcément l’information en temps réel. L’information pourra prendre plusieurs dizaines de minutes, voire une bonne demi-heure, à nous parvenir. Or, il est évident que toutes les minutes comptent. Nous ne disposons pas de tout l’arsenal nécessaire ; voilà une autre source de vulnérabilité.
* Le 26 décembre 2004, un séisme de magnitude 9,3 s’est produit au large de Banda Aceh (Indonésie). Dans les 20 minutes qui suivirent, des vagues de 15 à 30 mètres de haut ont déferlé sur les côtes avoisinantes, faisant près de 170 000 victimes.
** Le volcan sous-marin Kick em' Jenny est situé au Nord de l'île de Grenade.
Entretien « Alerte Guadeloupe », avec Pascal SAFFACHE, Maître de conférences du Département « géographie - aménagement » de l’Université des Antilles :
Extrait de cette interview, réalisée par Nadine FADEL
Pascal SAFFACHE : Absolument ! Ce, bien que la mémoire collective joue très peu localement. Pendant longtemps, on a nié l’existence de tsunamis, en Guadeloupe et en Martinique. Avant 2004, beaucoup de personnes disaient – et les services de l’Etat en premier – qu’il n’y a pas de risque tsunami aux Antilles. Et puis il y a eu le séisme de Banda Aceh*, le 26 décembre 2004. C’est à partir de là qu’on a commencé à se poser la question sur la probabilité d’une telle catastrophe aux Antilles. Chemin faisant, en dépouillant les archives historiques dont on dispose, on a observé que nos îles ont bel et bien été frappées par des tsunamis, par le passé. Un, en particulier, a été vraiment bien décrit, bien documenté : c’est celui du 1er novembre 1755, qui a affecté les côtes de la Guadeloupe et de la Martinique, à la suite du séisme qui a ravagé Lisbonne et fait des milliers de morts dans cette ville du Portugal. Une onde a alors traversé l’océan Atlantique. C’est un ecclésiastique qui a vécu ces évènements et les a décrits en détails, dans une sorte de journal de bord, affirmant que la vague avait plus de 100 mètres d’amplitude, qu’elle est entrée à l’intérieur des terres, a détruit des habitations, etc. Il a vu la mer se retirer. Il a vu la vague arriver. Il a vu les esclaves qui travaillaient le long du littoral se faire emporter. Ça c’est la première description précise d’un tsunami affectant les Antilles françaises.
« Au cours des trois derniers siècles, la Martinique et la Guadeloupe ont été frappées par plus d’une dizaine de tsunamis ; cependant, tous n’ont pas été recensés, car la mémoire collective n’a pas joué. »
A.G : Et il y en a eu d’autres...
P.S. : Après, l’histoire est jonchée d’exemples. Notamment, juste après le séisme de 1843 – qui a fait plus de 3 000 morts en Guadeloupe – on a des descriptions de vagues, qui partent dans toutes les directions et qui affectent d’autres îles de la Caraïbe. Le phénomène le plus récent et qui aurait dû marquer les populations, mais qui malheureusement ne l’a pas fait, remonte à 1939. Lors de son réveil, le volcan sous-marin Kick’em Jenny** a généré une onde relativement importante, qui s’est propagé et a affecté les côtes de la Martinique et, plus modérément, de la Guadeloupe. Bien entendu la vague n’est pas comparable à celle de Banda Aceh… mais on estime que la vague, bien qu’ayant moins d’un mètre d’amplitude, a pénétré à l’intérieure des terres, a détruit des clôtures et quelques constructions légères et, donc, a généré des dégâts. Ce qui prouve qu’il peut y avoir des tsunamis.
A.G : Vous venez de citer deux sources potentielles de tsunamis : les séismes et les volcans sous-marins. Y en a-t-il d’autres ?
P.S. : Oui. On ne peut pas nier les glissements de terrains sous-marins. Ni les chutes de météorites en mer, pour un véritable scénario catastrophe… mais bon, ça, on peut le prévenir, on le voit venir. Et puis, parlons des versants de l’île de la Dominique qui, potentiellement, pourraient être déstabilisées. En s’effondrant avec force en mer, ils pourraient générer, sur les côtes de la Guadeloupe, des ondes relativement importantes... d’où un risque de tsunami. Cela parce que la Dominique a un substrat relativement fragile et, donc, il pourrait y avoir des glissements de terrain, qui pourraient entraîner l’effondrement des falaises.
A.G : Peut-on évaluer à que point nous sommes exposés ?
P.S. : Ce qu’il faut bien comprendre c’est que Guadeloupe et Martinique sont très vulnérables, pour trois raisons. Premièrement parce que ce sont des îles, c’est-à-dire des territoires entourés d’eau. Deuxièmement parce que sur ces territoires, les populations occupent très largement la frange côtière ; elles se sont prioritairement concentrées sur les zones littorales. Et, enfin, troisième facteur, nous vivons à proximité de zones « tsunamigènes », c’est-à-dire potentiellement émettrices de tsunamis ; je pense essentiellement au Kick’em Jenny et, de l’autre côté de l’Atlantique, la Cumbre Vieja.
A.G : Cumbre Vieja, du nom de cet autre volcan qui menace de s’effondrer ?
P.S. : Au sein des îles Canaries, au large de l’Afrique, vous avez l’île de La Palma. Elle est constituée de plusieurs volcans, dont ce fameux Cumbre Vieja. Il ne va pas entrer en éruption, mais il a un versant occidental qui va s’effondrer, petit à petit et, d’après les simulations qui ont été réalisées par le chercheur Français, Raphaël PARIS, on estime que ce versant « pourrait » s’effondrer d’ici une trentaine d’année. Si ce scénario devient réalité, cela va générer, au départ, une onde, qui pourrait avoir une quinzaine de mètres d’amplitude et qui, lorsqu’elle arrivera, environ 6 heures 30 après, sur les côtes des petites Antilles, devrait avoir une amplitude d’à peu près 6 mètres. Des dégâts relativement importants pourront alors être déplorés, quand on sait qu’on a environ 90 000 personnes qui vivent directement au contact de la mer en Guadeloupe ; et autant en Martinique. 180 000 personnes, non-habituées à ce type de risque, qu’il faudra évacuer.
La population n’a pas encore intégré les bons gestes d’un tel mouvement, qui devra être spontané et rapide.
Là on prend la mesure de la vulnérabilité.
A.G : A ce niveau là – la prévention – le travail ne fait que commencer.
P.S. : Le travail ne fait que commencer. Il faut aussi noter que, dans l’océan Atlantique, contrairement à l’océan Pacifique, nous n’avons pas un réseau de bouées anti-tsunamis étendu. Le pacifique est ceinturé par ce type d’équipement, qui sont autant de points d’alerte, en cas d’onde se déplaçant à une vitesse inhabituelle. Ces bouées émettent un signal, relayé par des satellites. Ainsi, si un phénomène de très grande ampleur se produit, nous n’aurons pas forcément l’information en temps réel. L’information pourra prendre plusieurs dizaines de minutes, voire une bonne demi-heure, à nous parvenir. Or, il est évident que toutes les minutes comptent. Nous ne disposons pas de tout l’arsenal nécessaire ; voilà une autre source de vulnérabilité.
Pour aller plus loin/
* Le 26 décembre 2004, un séisme de magnitude 9,3 s’est produit au large de Banda Aceh (Indonésie). Dans les 20 minutes qui suivirent, des vagues de 15 à 30 mètres de haut ont déferlé sur les côtes avoisinantes, faisant près de 170 000 victimes.
** Le volcan sous-marin Kick em' Jenny est situé au Nord de l'île de Grenade.