Arrosée au chlordécone durant plusieurs années, une partie des sols, notamment les bananeraies, de Guadeloupe et Martinique est durablement contaminée. Un scandale sanitaire désormais bien connu.
Si des études ont démontré que les terres seraient polluées pour plusieurs siècles, une dernière publication parue dans la revue "Environmental Pollution" vient apporter de nouveaux éléments.
Plusieurs études et théories
Une étude, publiée en 2022, revisite déjà une précédente analyse de 2009, reconnue dans la communauté scientifique, qui prédit "des durées de contamination en chlordécone allant de plusieurs dizaines d’années à plusieurs siècles selon les types de sols antillais".
Les chercheurs de 2022 arrivent à une conclusion quelque peu différente, une estimation du temps de demi-vie du chlordécone de 5 ans seulement pour l’ensemble des types de sols.
En clair, cela signifie que "tous les 5 ans, la concentration de chlordécone serait divisée par 2 dans les sols, laissant entrevoir une concentration de chlordécone sous le seuil de détection à l’horizon 2050-2070".
Avec pour conséquence, une fin de contamination plus précoce que les précédentes estimations.
Mais, ce résultat doit être confirmé. S'ils prouvaient leur théorie, les chercheurs offrirait à tous les acteurs de ce dossier, de nouvelles perspectives en matière de gestion de la contamination des milieux agricoles. Une contamination qualifiée de "pollution historique" par les scientifiques.
Une analyse moins optimiste en 2023
Sauf qu'une autre analyse, plus récente, menée par un groupe de chercheurs du Commissariat à l'Energie atomique (CEA), de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), du Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte ainsi que de l'université d’Évry-université de Paris-Saclay et de l'université de Lorraine, s'interroge sur cette évaluation d'une demi-vie du chlordécone de 5 ans seulement.
Le résultat de leur analyse critique est paru le 17 février 2023 dans la revue Environmental Pollution.
Pour le groupe de chercheurs mené par Pierre-Loïc Saaidi, l'auteur principal de l'analyse, l'étude de 2022 est peut-être trop optimiste.
Aujourd'hui, avec les connaissances que l'on a, cette conclusion ne nous semble pas la plus pertinente et ce n'est pas celle, à ce stade des connaissances qu'il faut retenir. Cela ne veut pas dire qu'elle est forcément fausse, mais elle est peu probable. Il faut bien comprendre qu'en sciences ce qui, aujourd'hui, peut être considéré comme acquis, peut ne pas l'être dans 5 ans.
Pierre-Loïc Saaïdi, maître de conférence à l’Université d’Evry - Université Paris SaclayFrance Culture
Les scientifiques estiment que l'ampleur de la pollution encore observée de nos jours dans les sols agricoles, 30 ans après l'interdiction du pesticide aux Antilles, indique que le délai d'une demi-vie de 5 ans est trop court.
Donner un message très optimiste auprès de la population et aussi des pouvoirs publics sur une dégradation rapide de la chlordécone dans les sols, c'est pour nous le message qui n'est pas le plus pertinent parce que ce n'est pas le plus probable.
Pierre-Loïc Saaïdi, maître de conférence à l’Université d’Evry - Université Paris SaclayFrance Culture
Le groupe de chercheurs mené par Pierre-Loïc Saaidi a "réexaminé les protocoles de prélèvement, les méthodes d’analyse, les données utilisées, les hypothèses appliquées et l’approche de modélisation développée dans l’étude de 2022". Un nouvel inventaire qui vient fragiliser les conclusions de l'étude de 2022.
À l’appui de leur démarche, les chercheurs ont repris les estimations des quantités de chlordécone épandues sur les sols agricoles entre les années 1972 et 1993, et ont simulé l’évolution des concentrations du pesticide dans les sols en utilisant le modèle développé en 2022 et en supposant une durée de demi-vie de 5 ans du chlordécone.
Les prédictions de concentrations dans les sols ainsi obtenues pour les années 2000-2020 sont très nettement inférieures à celles réellement retrouvées dans les sols sur cette période.
L'étude Saaidi conclut donc que l’hypothèse d’une durée de contamination "longue", largement supérieure à celle correspondant à une durée de demi-vie de 5 ans, doit être privilégiée.
Pour Pierre-Loïc Saaidi, il serait préférable d'avoir plus de parcelles analysées à deux temps différents et des parcelles analysées à plusieurs reprises (plus de deux fois), afin d'avoir la certitude que le modèle employé puisse être exploité.
Source INRAE