Unité de compostage de Dorville, à Baie-Mahault : quatre ans de procédures, sans grands effets

Il a fallu 13 jours aux pompiers, pour venir à bout de l'incendie qui s'est déclaré le 27 septembre 2021.
Il y a 4 ans, l'exploitant de l'unité de compostage de déchets verts de Dorville, à Baie-Mahault, a été mis en demeure de mettre le site en conformité. A ce jour, les manquements sont toujours d'actualité, au grand dam des riverains. L'Etat sait que la Guadeloupe a besoin d'une telle structure.

"D'autres reprises de feu ne sont pas à exclure" indiquaient, samedi 9 octobre 2021, en fin d'après-midi, le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS).
C'est ainsi que le site de traitement et de stockage de déchets verts, située sur le chemin de Dorville, à Baie-Mahault, fait l'objet d'une étroite surveillance.

Pour rappel, un important incendie s'est déclaré dans cette décharge, le lundi 27 septembre en mi-journée. Durant 11 jours, les pompiers ont bataillé pour éteindre les différents foyers. Ils ont pensé en être venus à bout, le jeudi 7 octobre. Mais, deux jours après, de la fumée s'est à nouveau élevée de l'énorme masse de déchets. Le feu a été neutralisé, dans les trois zones impactées, dans l'après-midi de samedi.
Depuis, des rondes de surveillance sont organisées.

La tâche des soldats du feu a été compliquée par le type de déchets concernés. Un tel amas favorise le phénomène de combustion spontanée. Et la propagation se faisait en souterrain.
Or, la décharge s'étend sur près de 2 hectares, fait 7 à 8 mètres de hauteur et autant en profondeur.

Le SDIS a vivement conseillé à l'exploitant du site d'investir dans des moyens hydrauliques d'extinction, de même que sur une formation des agents en interne, afin qu'ils soient aptes à réaliser des primo-interventions, en cas de récidive.

Durant tout ce temps, les riverains de la décharge ont été plongés en enfer. Ils ont subi les fumées, les cendres, les odeurs nauséabondes, nuits et jours.
Des habitants qui, d'ailleurs, se plaignaient déjà de nuisances causées, par cette exploitation, avant même le sinistre de ces derniers jours.

L'occasion de chercher à savoir si ce site classé répond réellement aux normes en vigueur, en termes de sécurité sanitaire et environnementale. Il s'avère que, derrière l'écran de fumée, se cache la question plus large du traitement et de la valorisation des déchets, dans notre territoire insulaire.

Le mea culpa de l'exploitant

Cet incendie n'est pas le premier ayant sévit sur cette exploitation. Un autre sinistre avait défrayé la chronique, en 2017 ; il avait duré trois jours.

François-Xavier Badri, le directeur de la société qui gère le site, la SEREG, déplore tous ces évènements et leurs conséquences, sur le voisinage notamment. Pour lui, cela aurait pu être évité, mais faute de moyens humains, dans le contexte de crise sanitaire, les actions préventives n'ont pas été exécutées. C'est ce qu'il a dit à Sébastien Gilles :

François-Xavier Badri : "On a eu de fortes chaleurs. Je m'y attendais à ce qu'on ait un incendie. J'aurais pour éviter cet incendie.".

Il faut savoir que, pour qu'un tel incendie soit évité, il faut régulièrement retourner, aérer ou ventiler le compost, qui peut produire, par temps de chaleur, du biogaz pouvant provoquer des départs de feu involontaires. Cela n'a donc pas été fait.

Mais il semble que l'important soit ailleurs, pour ce dirigeant, qui estime que la Guadeloupe ne peut faire l'économie d'un tel site de traitement des déchets verts, pour les valoriser en compost.

Un avis partagé, vraisemblablement, par les autorités en charge du contrôle de la conformité des sites classés.

La SEREG, sourde aux injonctions

C'est un drame récurrent ici-bas : l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Le site de traitement et de stockage de déchets verts de Dorville, à Baie-Mahault, est sensée réceptionner, broyer et valoriser la matière collectée en compost, engrais naturel destiné aux agriculteurs. La société d'exploitation, la SEREG, est l'une des deux seules entreprises positionnées sur ce créneau, dans l'archipel. Or, on sait à quel point la Guadeloupe a besoin de ce type de sites, tant la gestion des déchets est une problématique récurrente, dans nos îles.

Une fois cela dit, on comprend le malaise de l'Etat, quant à la non-conformité de la structure, qui a vu le jour en 2014.

Celle-ci a fait l'objet d'une mise en demeure, dès mai 2017. En effet, une visite d'inspection approfondie de cette Installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) a été menée, par la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), suite à une plainte du collectif des riverains de Dorville, Dalciat et Wonche. Ces habitants pointaient du doigt, déjà à l'époque, les nuisances occasionnées par l'unité. 
Douze manquements ont alors été identifiés : ils portaient pour l'essentiel, sur l'absence de moyens de lutte contre l'incendie, l'absence de moyens de collecte des eaux d'extinction incendie, les mauvaises conditions d'exploitation et les nuisances olfactives.
Plusieurs points concernant les principaux griefs des voisins n'ont pas pu être vérifiés, le jour J de l'inspection (ce qui ne veut pas dire que les désagréments correspondants n'existent pas) : la prolifération d'insectes, les odeurs nauséabondes créées par le pourrissement sur site des déchets, la production de particules fines durant le broyage, le dégagement de poussière lors du bal incessant des camions, etc.

L'Etat, quoiqu'il en soit, a sommé le gestionnaire de se mettre aux normes. La procédure correspondante, particulièrement longue, n'a pas encore abouti. 

Autre inspection : en septembre 2020, les choses se sont certes améliorées, mais trois points sont toujours en souffrance : la hauteur de stockage, la non-production de compost et, enfin, l'absence d'exutoire des déchets stockés sur le site ; autrement dit, aucune action d'évacuation n'est entreprise. Une amende administrative de 5000 € a alors été exigée de l'exploitant.

En mai 2021, la DEAL a constaté que la SEREG ne produit pas un "compost normé pouvant être mis sur le marché, ni d'épandage". Seul activité opérationnelle : la réception, l'entreposage et l'accumulation de déchets verts, estimé à 20.000 à 30.000 m3, sur une hauteur de 7 à 8 mètres au lieu des 3 mètres réglementaires.

Enfin, une procédure de consignation, à hauteur de 26.000 €, a été prononcée le 1er octobre 2021. Le montant répond "au coût pour la réalisation d'une étude technico-économique, en vue de définir les travaux et mesures à réaliser, ainsi que leur coût associé, afin de répondre aux non-conformités relevées par les arrêtés préfectoraux de mise en demeure du 15 mai 2017 et du 7 septembre 2020".

Aujourd'hui, on est toujours sur cette mise en demeure, afin de mettre en place le compostage, sur les zones bétonées. On doit créer des plateformes de fermentation et de maturation. On doit revoir aussi notre zone de réception. On est en train de dimensionner l'ensemble du site, avec deux cabinets.

François-Xavier Badri directeur de la SEREG 

Donc, il n'y a pas eu, à ce jour, d'arrêté d'exécution de recommandations, ni de suspension d'activité, comme le prévoit le code de l'environnement, en pareille situation. L’Etat, dans ce dossier, a choisi la manière douce, en quelques sortes, afin d’obtenir la mise aux normes et la production effective de compost, comme prévu dans le cahier des charges.  

Nous allons faire la normalisation, on va le transformer en compost de manière à ce que, justement, on puisse donner le composte aux agriculteurs et à la population, au début. Par la suite, s'il le faut, créer une ensacheuse et mettre en sac.

François-Xavier Badri directeur de la SEREG 

La direction de la société SEREG n'entend pas se désister, connaissant son importance, pour le territoire.

Il n'y a pas beaucoup de plateformes de compostage, en Guadeloupe et l'existence de cette plateforme permet aussi d'éviter la création de décharges sauvages.

François-Xavier Badri directeur de la SEREG 

En attendant, certains riverains de Dorville ont bien l’intention de saisir la justice, car les nuisances perdurent.
Actuellement, l'endroit s'apparente plus à une décharge à ciel ouvert, qu'à un site de valorisation, aux yeux des voisins. Les camions déversent, sans se soucier de la capacité réelle des lieux. On se débarrasse, on laisse derrière soi. D'ailleurs, même durant la dizaine de jour où l'incendie a sévit, les déchargements se sont poursuivis.

En Guadeloupe, en 2016, près de 40.000 tonnes de déchets vert ont été produits, en Guadeloupe. Un volume qui pratiquement doublé, en 2017, avec le passage de l'ouragan Maria.