Le vieillissement en Outre-mer : "un défi extrêmement violent"

La délégation aux Outremer de l’Assemblée Nationale a adopté le rapport d’information sur le grand âge en Outre-mer présentée par les députées Ericka Bareigts et Stéphanie Atger, en vue de la grande loi sociale sur le financement de la dépendance annoncée par Emmanuel Macron en 2018. 
Plusieurs mois de travail, plus de 70 acteurs nationaux et locaux auditionnés, un déplacement à La Réunion, d’où est originaire Ericka Bareigts et au bout un état des lieux du vieillissement et des politiques de prise en charge de la dépendance et 40 recommandations.  Les rapporteures du rapport d'information parlementaire Ericka Bareigts et Stéphanie Atger, députées de La Réunion et l’Essonne, ont visité deux établissements spécialisés, un EHPAD en Guadeloupe, et une résidence d’autonomie à La Réunion.
 

"En 2012, 48% des 18-34 ans natifs de Guadeloupe et de Martinique vivaient en Europe"

Selon Ericka Bareigts, "le défi du vieillissement est extrêmement important, extrêmement complexe et extrêmement violent, parce qu’il faut aller vite ; Il est différent selon les territoires, ce qui ne simplifie pas la démarche et les propositions que nous avons à faire." 
Le vieillissement de la population est particulièrement rapide en Outre-mer, singulièrement en Guadeloupe, Martinique et à la Réunion. Dans ces trois départements le phénomène a surpris par son ampleur et sa rapidité. La dépendance des Séniors y est plus précoce que la moyenne nationale.
Cette accélération du vieillissement s’explique  par une forte progression de  l’espérance vie, la chute du taux de fécondité, de cinq à six enfants par femme en 1960 à deux enfants environ aujourd’hui. Surtout, ces territoires se vident de leur jeunesse. "L’émigration des jeunes vers l’Hexagone accélère ce phénomène de vieillissement.
En 2012, 48% des 18-34 ans natifs de Guadeloupe et de Martinique vivaient en Europe ; le retour au pays à la retraite accentue ce phénomène" constate la députée de l’Essonne.
 

Dans 30 ans La Martinique sera le plus vieux département de France

L’accélération est en effet édifiante. Le cas de la Martinique est frappant. En 2013, elle était l’un des départements les plus jeunes de France. Dans 30 ans, la Martinique deviendra le département le plus âgé de France. Son taux de fécondité est déjà passé en dessous du seuil de renouvellement (1,9 enfant par femme). En 2050, les personnes âgées de 65 ans et plus représenteront 42,3 % de la population contre 16,9 % en 2013.
La Guadeloupe, quant à elle, sera le sixième plus vieux département en 2050 alors qu’elle n’était qu’au 86ème rang en 2013, peut-on lire dans le rapport. A échéance beaucoup plus courte, dans 10 ans, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait doubler aux Antilles. Ainsi, il y aura 134 seniors pour 100 jeunes en Guadeloupe en 2030 contre 54 séniors pour 100 jeunes en 2013.
La Nouvelle Calédonie commence à être confrontée au vieillissement de sa population en raison de l’augmentation de l’espérance de vie. Mais si la moitié des personnes de plus de 60 ans sont célibataires, divorcées, ou veuves, seules 16 % d’entre elles vivent seules (une sur quatre après 80 ans) grâce à la solidarité familiale encore très présente, notamment dans la société traditionnelle.
 

Des personnes âgées en moins bonne santé et une perte d’autonomie plus précoce en Outre-mer que dans l’Hexagone

Autre fait marquant, l’état de santé dégradé des personnes âgées en Outre-mer en comparaison avec celui observé dans l’Hexagone. Une précarité sanitaire à laquelle est associée une précarité économique, qui s’entretiennent mutuellement. Les personnes âgées sont nombreuses à manquer de ressources financières et à renoncer à se soigner. Une situation aggravée par le manque de médecins.
Les Outre-mer sont confrontés à une surcharge pondérale généralisée, des taux d’AVC ischémique et hémorragique supérieurs de 28% à la moyenne nationale et des taux de diabète très élevés. Conséquence : la dépendance survient plus précocement que dans l’Hexagone. Le taux de prévalence des incapacités chez les 55-59 ans dans les départements d’Outre-mer est équivalent à ceux observés chez les personnes âgées entre 70 et 79 ans dans l’Hexagone.
 

Les EHPAD parmi les plus chers de France

A cette perte d’autonomie plus précoce dans les Outre-mer, s’oppose une offre d’hébergement très insuffisante, souvent vétuste voire délabrée et ne répondant pas aux normes en vigueur, selon le rapport d’information. Le nombre de places étant largement inférieur à la demande, les tarifs des institutions pour personnes âgées sont parmi les plus chers de France : en moyenne de 2 161 euros mensuels, équivalent à ceux pratiqués en région parisienne ou sur la Côte d’Azur. Du fait de ces tarifs trop élevés au regard de leurs ressources financières, les personnes âgées sont à peine 1% à être hébergées en EHPAD. Même si les pratiques commencent à évoluer. Du fait du grand nombre de jeunes partis étudier ou travailler dans l’Hexagone, de plus en plus de personnes âgées doivent résider en établissement spécialisé.
 

Maintien à domicile : en Martinique,  le "reste à payer" est le plus élevé de France

En raison de la cherté de ces établissements, le maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie, souvent dans des conditions difficiles, reste la seule solution pour les familles. Les personnes âgées perçoivent alors l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile versées par le département. Devant les députés de la délégation aux Outre-mer, Stéphanie ATGER déplore que, « du fait du plus grand nombre de personnes âgées dépendante, les départements d'Outre-mer sont contraints de verser les niveaux les plus bas à l’échelle nationale ». A titre d’illustration, la Martinique est le département où le reste à payer est le plus élevé de France.
 

8 axes, 40 recommandations

Pour relever ce défi, Ericka Bareigts et Stéphanie Atger émettent 40 recommandations regroupées autour de huit axes. Elles préconisent de faire du grand âge une priorité nationale, notamment en adaptant l’APA dans les Outre-mer, de favoriser l’attractivité des services et donc de l'emploi liés au grand âge, ou encore de moderniser les services aux personnes âgées et dépendantes. Parmi les mesures proposées pour y parvenir, elles recommandent de favoriser l’installation de médecins spécialistes du grand âge ainsi que la télémédecine. Et pour couvrir le "reste à charge", leur proposition est de mettre en place un système de couverture généralisée, par l’intermédiaire des assurances ou des mutuelles. Le logement doit être repensé, pour éviter les accidents. Elles préconisent également une meilleure reconnaissance du rôle indispensable des aidants proches et familiaux par la formation et en favorisant leur accès réel au droit au répit, inscrit dans la loi du 20 décembre 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement.


"Prévenir pour retarder la dépendance"

Le mieux reste de prévenir la survenue de la dépendance. Les députés émettent 4 préconisations :
  • créer un rendez-vous médical de prévention de l’avancée en âge qui pourrait intervenir au moment du passage à la retraite, entre 60 et 65 ans ;
  • développer les actions de stimulation des personnes âgées afin de retarder l’entrée dans la dépendance ;
  • recourir davantage au sport sur ordonnance dans le cadre de la médecine de ville et en EHPAD; 
  •  multiplier les campagnes destinées à promouvoir une meilleure hygiène.