S'il y a une tradition qui transcende le temps et les modes, c'est bien celle des Chanté Nwel. Mais avec le temps, elle s'est donnée sa propre identité au point de devenir une entité culturelle à part entière, quelquefois même loin de ses racines chrétiennes, pour devenir un évènement libre du calendrier culturel des Antilles.
Pour y parvenir, elle s'est d'abord affranchie des coutumes populaires. De fait, fini le "chanté crèch" traditionnel qui n'aura pas survécu aux années 80-90. Les passages de maison en maison se sont faits plus rares d'année en année. Ils ont progressivement été remplacés par le classique "hommes boissons-femmes gateaux et autres", et progressivement, par des soirées payantes.
Parallèlement, la machine "chanté Nwel" venue de la Martinique où de véritables groupes musicaux et vocaux se produisent sur scène et se spécialisent d'ailleurs en la matière, s'est imposée comme évènement populaire de Noël..
Une activité culturelle à part entière
Petit à petit, cette évolution des habitudes de Noël s'est aussi affranchie des rites cultuels. Et pour cause. Désormais activité principale de groupes constitués, elle les oblige à déterminer leur propre période d'activité pour des raisons économiques.
Parce que, s'ils étaient restés assujettis au calendrier cultuel, ils auraient été obligés de commencer leurs soirées après le 1er dimanche de l'Avent. Or, une année comme 2023 ne leur laisse que trois fins de semaine pour s'exprimer. Le dernier dimanche de l'Avent est déjà celui de la veillée de Noël.
Alors, depuis plusieurs années, ils commencent leurs soirées de Chanté Nwel avant l'Avent et les terminent même après Noël...
D'ailleurs, beaucoup se sont aussi spécialisés dans la musique de carnaval ce qui prolonge leur calendrier d'activités durant toute cette période. Et là aussi, bien souvent, libérés du calendrier cultuel, ils n'attendent pas l'Epiphanie, ancien repère pour le début du calendrier carnavalesque, et lancent l'offensive dès la Saint Sylvestre.
C'est que ces soirées sont d'abord une source de revenus pour ces groupes et tout ceux qui s'affairent autour. Et cette réalité économique a été le moteur de l'évolution de ces traditions de Noël.
On est donc bien loin du porte à porte bon enfant que l'on faisait dans son quartier en chantant des cantiques religieux de Noël et où, c'est celui qui est visité qui offre à boire et à manger à ses visiteurs.
Évolutions dans les mots
De fait, cet affranchissement du cultuel des nouvelles habitudes de Noël pour devenir un fait culturel a transformé aussi bien la forme que le fond. Certes, il n'y a toujours pas de chanté Nwel si Michaud et sa bonne nouvelle, les Bergers de Bethléem, et quelques Anges des campagnes d'ailleurs et d'ici ne viennent plus chanter, crier ou faire sonner quelques clochettes du Noël classique.
Des chants qui sont encore interprétés, probablement d'ailleurs parce qu'il sont plus passe-partout, beaucoup plus en tout cas que les vieux classiques aux contours aussi rigoureux qu'un "il est né le Divin-enfant" ou "Minuit Chrétien". Ceux-là sont restés dans leurs églises et ont été remplacés par quelques héros du temps présents, quelques liqueurs et boissons pour l'arroser, et même, quelques airs qui auraient toute leur place dans le temps du Carnaval mais qui s'affirment déjà dans le temps de Noël.
Et dans ces temps civils où la Justice ailleurs doit décider de la présence d'une crèche dans les lieux publics, ces adaptations permanentes du calendrier des mœurs et des habitudes sont là pour montrer que les plus grandes révolutions se vivent souvent sans éclats, sans bruits, sans trompettes ni tambours, simplement en substituant des habitudes nouvelles aux coutumes sans même changer leur nom. Une évolution en douceur.