"Vous faites couler l’eau, vous la faites chauffer et après vous la mettez au frigo" : le discours de Philippe Vigier qui fait grincer des dents en Guadeloupe

Philippe Vigier, ministre délégué en charge des Outre-mer, sur le plateau de Guadeloupe La 1ère - 23/10/2023.
Outre la turbidité de l’eau suite aux aléas climatiques, il existe maintes causes de non-potabilité de l’eau, en Guadeloupe : quand elle est disponible, la ressource est régulièrement contaminée au chlore, au chlordécone, à l’aluminium, par des matières fécales... comme le signalent les communiqués récurrents du SMGEAG. Dans ce contexte, les propos du ministre délégué en charge des Outre-mer froissent la population.

L’un des temps forts de la journée de Philippe Vigier en Guadeloupe, ce mardi 24 octobre 2023, à l’occasion de sa visite officielle dans l’archipel, est la présentation de son "plan eau" à l’usine Beauvallon, à Basse-Terre, dans l’après-midi.

Il s’agira aussi, pour le ministre délégué en charge des Outre-mer, de tirer des leçons des conséquences des phénomènes météorologiques sur l’approvisionnement en eau.
Le fait est que, suite aux intempéries, les gestionnaires de la ressource conseillent vivement à la population de ne pas la consommer. Elle est rendue non potable par la présence de déchets divers transportés par les éléments. Ainsi, comme après chaque épisode d’intempéries, au lendemain du passage de l’ouragan Tammy, le Syndicat mixte de gestion et de l’eau et de l’assainissement de la Guadeloupe (SMGEAG) invitait les habitants à attendre les analyses et à suivre les préconisations de l’Agence régionale de santé (ARS).

Outre les actions prévues par l’Etat, face à cet aspect des problématiques liées à la distribution de l’eau potable dans le Département, Philippe Vigier, martèle l’effort du gouvernement, dans le dossier pluriel de l’eau.

L’État "en solidarité"

Il y a deux semaines, le préfet, le Département et la Région ont évoqué leur intention de mobiliser un budget de 317 millions d’euros sur 4 ans, dont 100 millions d’euros sur les 2 premières années. Leur but est d’améliorer l’accès à l’eau de 90.000 usagers. Une enveloppe soutenue à hauteur de 120 millions par l’Etat.

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Je rappelle que c’est une compétence des communes, ou des intercommunalités. Donc, l’Etat n’a pas à mettre 1€ là-dedans. Mais on n’a pas attendu. La Région, dont ce n’est pas la compétence, met de l’argent. Le Département a bien voulu fédérer tous les acteurs, donc on a un plan pluriannuel. Donc, l’Etat, même si ce n’est pas sa compétence, vient en solidarité et pas qu’en solidarité ! (...) La Guadeloupe est le seul territoire ultramarin où le gouvernement a mis autant d’argent et il fallait le faire. Nous accompagnons et nous sommes à côté des élus locaux.

Philippe Vigier, sur le plateau du JT de Guadeloupe La 1ère – 23/10/2023.

Le compte n’y est pas pour le collectif Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP). Les membres de cette organisation ont évalué à 1,5 milliard le budget nécessaire pour la création d’un véritable réseau de production et de distribution apte à fournir aux Guadeloupéens une eau, en qualité et quantité suffisante.

Nous sommes très loin du compte ! Tout cela, c’est du saupoudrage, qui ne sert qu’à changer deux petits tuyaux par-ci par-là ! Et nous serons toujours dans la même situation (...) C’est pourquoi nous appelons l’ensemble des Guadeloupéens à se rassembler autour des associations de défense des usagers de l’eau, pour lancer un appel national guadeloupéen à ne pas payer l’eau ! (...)

Élie Domota, porte-parole du LKP (traduction du créole)

L’eau "propre à la consommation" en Guadeloupe, selon Philippe Vigier

Sauf dans les cas particuliers de non-potabilité, suite aux aléas climatiques, le ministre délégué estime que l’eau, en Guadeloupe, est potable. L’ARS veille au grain, selon lui. Les habitants ne sont donc "pas obligés de boire de l’eau en bouteille tous les jours".

Par ailleurs, Philippe Vigier, biologiste de profession, a émis une proposition, qui ne tient sans doute pas compte du fait que la population est régulièrement confrontée à des problèmes de turbidité, de présence d’aluminium ou de matières fécales et à d’autres sources de pollution de l’eau distribuée aux robinets :

L’eau, il faut partir du principe que l’eau qui coule au robinet, elle est propre à la consommation (...). Je vous donne un principe de précaution (vous avez la chance d’avoir un ministre qui est également biologiste, qui va vous donner de bons conseils) : vous faites couler l’eau, vous la faites chauffer et après vous la mettez au frigo (...).

Philippe Vigier, sur le plateau du JT de Guadeloupe La 1ère – 23/10/2023.

Philippe Vigier, sur l'eau potable en Guadeloupe ©Guadeloupe La 1ère

Ce discours qui consiste à "nous dire comment boire de l’eau contaminée" est inadmissible, du point de vue du porte-parole du LKP. Élie Domota considère que le ministre délégué s’est montré "arrogant et méprisant vis-à-vis des Guadeloupéens" et "très loin de la réalité de la Guadeloupe et des Guadeloupéens".

Pour ce qui concerne la question de l’eau, il ne sait rien du traumatisme et des situations que les gens subissent ici. Les intempéries sont l’alibi idéal. Nous collectionnons les communiqués du SMGEAG ; à longueur d’années, il y a trop de chlore, trop de Chlordécone, des excréments, de l’aluminium et même du mercure parfois. Notre eau est régulièrement impropre à la consommation et Monsieur Vigier ne le sait même pas. Il ne connaît pas notre situation et ce n’est pas son problème ! (...)

Élie Domota, porte-parole du LKP (traduction du créole)

Pendant ce temps, la plupart des Guadeloupéens, non confiants quant à la qualité de l’eau distribuée, achète des packs d’eau de 3 à 6€ l’unité, chaque semaine... en tout cas ceux qui en ont les moyens.