10 ans de l'Observatoire du carnaval: « On se sent seul » regrette la présidente Monique Blérald

Un touloulou fait son chow au Carbet Ho-Ten-You
Ce vendredi soir, l’Observatoire régional du carnaval guyanais fête son 10ème anniversaire chez Nana. Monique Blérald, présidente de l’association, dresse le bilan des actions menées. Docteur en littératures française, francophone et comparée, professeur à l’université et également quatrième vice-présidente au sein de la Fédération des carnavals et fêtes de France, elle revient sur l’échec de l’inscription du touloulou au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
Monique Blerald (au centre), présidente de l'observatoire régional du carnaval guyanais

Quel était le but de l’Observatoire du carnaval à sa création il y a 10 ans ?

Il s’agit d’une association loi 1901, crée en 2014. Elle regroupe des personnes ressources du monde du carnaval, des universitaires, des associatifs, des carnavaliers. Nous étions 10 au départ avec un noyau dur de cinq personnes : Victor Clet, Armand Hidair, Fortuné Mécène, Aline Belfort et moi. Nous avions quatre objectifs. Le premier : inscrire le carnaval de Guyane avec le personnage du touloulou, de dancing et de rue, au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Le second : servir de courroie de transmission entre les institutions et les carnavaliers. Notre troisième objectif était de comprendre l’évolution du carnaval, ses codes, ses symboles et ses rites en lien avec la mondialisation et l’influence des régions frontalières, comme la Caraïbe ou le Brésil. Dernier objectif : permettre une transmission intergénérationnelle à partir de recherches et d’outils en collaboration avec le laboratoire Minea (Migration interculturalité et éducation en Amazonie, NDLR) de l’Université de Guyane à travers des colloques, des conférences, des expositions et la publication d’ouvrages.

Avant de parler de l’inscription du touloulou, revenons sur les autres objectifs. En 10 ans, est-ce que l’Observatoire a servi de lien entre les différents acteurs ?
Cet objectif n’a pas été atteint. Nous sommes, membres de l’association, des carnavaliers. On les fréquente, on les entend. Ils ne sont peut-être pas présents physiquement, mais on est encouragé par le peuple. Ce qui nous a manqué, c’est du côté des pouvoirs publics. On se sent seul. On est parti avec des objectifs forts, des rêves. Selon les critères de l’Unesco, on nous demande des actes de délibération des mairies : sur les 22 communes de Guyane, seules six en ont pris. Autre chose : dix ans après la création de l’Observatoire, on n’a toujours pas un local. Nos archives, nos costumes sont répartis chez les différents membres. Pour la population, il n’existe donc pas un lieu qui nous rende visibles.

Est-ce que ce n’est pas un problème de lobbying ?
Je ne sais pas. On a fait des dossiers et des demandes. La CTG (Collectivité territoriale de Guyane, NDLR) nous a proposé une salle à l’EnCre mais avec des horaires d’ouverture en journée. Or, nous sommes des bénévoles et nous nous réunissons le soir ou durant les week-ends. Du coup, il n’y a pas de lieu où la population peut venir nous voir.

Qu’en est-il de votre objectif de transmission ?

On a fait des publications : Bal paré masqué de Guyane et d’ailleurs que j’ai écrit avec Mylène Danglades; ce sont des actes de colloques. Il y a aussi Chants de rue : Carnaval de Guyane : Chanté kannaval lari Lagwiyann. Pour celui-là, on a travaillé avec les étudiants. On a fait plusieurs expositions : sur Henri Egalgi, sur la littérature et le carnaval, sur l’évolution du touloulou. Mais même là, c’est compliqué financièrement de mettre en place des expositions. Nous avons eu des aides, notamment de la Collectivité territoriale ou de la mairie de Macouria, mais les sommes ne sont pas mirobolantes. 

Le soutien escompté était fragile

Monique Blérald, concernant ce qui a manqué au dossier de candidature pour l'inscription à l'Unesco

Revenons à votre premier objectif : l’inscription du carnaval et de touloulou au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
C’est le manque d’unité des Guyanais et notamment des politiques dont nous n’avons pas eu l’adhésion. Le soutien escompté était fragile. Je regarde par exemple ce qui a été fait pour la yole en Martinique ou pour le gwo ka en Guadeloupe : on voyait des bus, des panneaux publicitaires dans la ville. Ce n’est pas le cas pour le touloulou en Guyane.

Revenons sur les étapes suivies…

En 2017, nous avons été inscrits à l’inventaire national. C’était la première étape. Nous avons déposé le dossier qui a été accepté par le ministère de la culture. Cette inscription nous a permis de poursuivre vers l’inscription sur la liste représentative de l’humanité. On a continué le travail sur le terrain avec la caravane du touloulou pour apporter les preuves concrètes de l’adhésion de la population à ce projet pour montrer que toutes les communautés de Guyane, pas seulement les créoles, sont concernées par le carnaval. Il nous fallait des lettres de soutien. Nous sommes allés voir les entreprises, les mairies, mais aussi les écoles pour parler de l’évolution du carnaval.

À quel moment votre dossier a-t-il été refusé ?

Nous avons été auditionnés en février 2024 au ministère de la Culture. Nous avions, avant cela, rempli le dossier de candidature avec tous nos éléments parmi lesquels les études réalisées par les chercheurs en Guyane et les ouvrages.  L’objectif de cette étape était de représenter la France auprès de l’Unesco. Nous sommes arrivés en deuxième position après le Biou d’Arbois une pratique viticole du Jura. C’est le Biou qui représentera la France en 2026 car il ne peut y avoir qu’un seul candidat par pays.

On va tout recommencer à zéro et c’est pour cela qu’on a besoin du soutien de tous

Monique Blérald

Qu’allez-vous faire ?

On est reparti, on va se mobiliser et actualiser le dossier. On va tout recommencer à zéro et c’est pour cela qu’on a besoin du soutien de tous.

Qu’est-ce que vous allez faire autrement ?

On va continuer avec les moyens du bord. Ce qui n’a pas marché, c’est que nous n’avions pas un lieu pour nos archives et pour que la population puisse venir nous voir et nous aider. Après, il nous faudrait un accompagnateur, un salarié qui pourrait nous aider à monter les demandes de subventions, quelqu’un qui maîtrise les nouvelles technologies.

Avec toutes ces difficultés, qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?

Le ministère de la culture nous a encouragés à continuer en nous disant que nous avions constitué un bon dossier et que nous n’étions pas loin. La Direction des affaires culturelles de Guyane aussi nous aide beaucoup. On doit déposer le dossier en 2026 pour présenter un dossier en 2027. Si ça ne marche pas là, on laissera tomber.

Vous fêtez les dix ans de l’Observatoire chez Nana ce soir. Au vu de ce que vous venez de dire, on a l’impression que c’est une célébration en demi-teinte.

Le bilan est mitigé parce qu’on n’a pas le soutien escompté. On attend plus de nos élus. A commencer par un local pour nos tenues et nos archives.

Il y a aussi des démarches qui sont entamées pour inscrire le Bouillon d’awara au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Cela vous mettrait en concurrence…

C’est ce que je dis : le bouillon n’est pas encore inscrit au patrimoine national, le touloulou est déjà plus loin. Finissons d’abord le touloulou, mettons-nous tous ensemble pour atteindre notre objectif et ensuite travaillons tous ensemble pour l’inscription du bouyon wara.

 

 

« Cette candidature pouvait encore se structurer davantage »

Le ministère de la culture confirme que « les États ne peuvent déposer qu’une seule candidature nationale tous les deux ans auprès de l’Unesco. Une procédure interne au ministère de la Culture a été mise en place pour encadrer la sélection de la candidature nationale soumise par la France auprès de l’Unesco. Le Comité national du PCI (Patrimoine culturel immatériel, ndlr), placé auprès de la Direction générale des patrimoines et de l’architecture, examine les candidatures nationales afin d’émettre un avis consultatif à l’intention de la ministre de la culture. Sur la base de cet avis, la ministre procède à un arbitrage. »

Concernant le projet d’inscription de la Guyane, le ministère de la culture précise que « la candidature de "Kannaval Lagwiyann ké so touloulou" a été examinée par le Comité national du PCI le 27 février 2024. Une délégation a été auditionnée à cette occasion. La candidature n'a malheureusement pas pu être retenue pour un dépôt en 2025 et une inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2026. »  Pour le ministère, « bien que la sauvegarde d'un événement festif fédérant l’ensemble de la société guyanaise soit un bel objectif, il a été estimé que cette candidature pouvait encore se structurer davantage. Il s’agissait de son premier passage devant ce comité. »