Nouveau rendez-vous avec l'artiste Emmelyne Octavie qui s'intéresse au téléphone portable. L'outil compagnon indispensable à la survie de l'homme du 21e.
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Depuis cinq bonnes minutes, en mode silencieux, j’essaye de me cacher dans la fente du canapé. J’y suis à l’étroit étant donné que la télécommande a choisi ce même endroit pour se faire la belle. Fatiguée de zapper, elle se repose dans notre bunker provisoire, tandis que moi je réfléchis à comment tomber rapidement en panne pour sauver encore ce qui peut l’être de moi. Si seulement on pouvait me plonger dans un état comateux durant six semaines. Me débrancher et me ranger momentanément dans un tiroir en attendant de finir tranquillement dans un entrepôt du service après-vente. Je suis prêt à mettre le prix pour souffrir le pire des diagnostiques :
— Y a plus rien à faire. Il est mort !
Cela me protégerait des sévices que vous exercez sur moi au quotidien. Je fonctionne sans interruption à raison de cinq recharges de ma batterie par jour. Même les ordinateurs ou les tablettes sont mieux lotis que moi. Tous deux ont droit à une mise en veille, ce qui n’est pas mon cas. Vous dormez avec moi, collé à votre joue. Pourtant, tous les matins, en parfait charlatan, vous écrivez des odes à la santé dans un charabia que seuls vous comprenez.
Que vous me preniez pour jouer. Je l’accepte ! Que vous lisiez votre journal en diagonal. C’est très bien !Que vous écoutiez de la musique comme si j’étais un walkman, ça adoucit les mœurs, donc pourquoi pas. Que vous regardiez intégralement un film. Ça commence à faire beaucoup ! Que vous preniez des photos de mauvaises qualités de vos parties intimes. Ça vous regarde ! Mais que vous me rendiez complice de votre collaboration à chaque fois que vous composez le 17. Ça ne va pas et ne m’ira jamais.
— Oui allô. J’appelle pour signaler qu’il y a un peu plus de douze personnes dans le jardin de la maison d’à côté. Elles sont arrivées très précisément à 11h53. Il me semble qu'elles sont à l’apéro. Personne n’a de masque. Normalement, c’est un homme célibataire qui habite la demeure. Je vous envoie la géolocalisation. Vous pensez arriver dans combien de minutes pour mettre fin à cette petite réunion de confinement ?
— ……….
— D’accord. Ne vous inquiétez pas. Je continue à les surveiller pour vous. Mon mari et moi, nous vous attendons. Ce sera un sacré coup de filet !
Je n’en crois pas mon micro et mes écouteurs. La crise sanitaire vient de se transformer en IIIe Reich ! Ce qui m’inquiète le plus, c’est la facilité avec laquelle vous vous adonnez à cette chose. À croire que vous aviez déjà ce virus dans le sang. J’ai honte de ce que vous me faites vivre. Il n’y a pas à dire, je suis entre des mains indéniablement propres, mais qu’est-ce que vos bouches sont dégoûtantes, avec cette haleine forte de délation. On devrait faire tremper vos langues dans de l’alcool à brûler, histoire d'équilibrer le capital propreté et que vos bouches ressemblent enfin à vos mains.
Je ne comptabilise plus les appels d’air. Les bruits pour rien. Les sonneries dans le vide.
— T’as pas vu mon téléphone ?
— Non
— Fais-le sonner pour moi
Le mode silencieux m’abandonne pour un son ringard qui sonne mon glas.
Uma mattina mi sono alzato.
O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao
Les collabos deviennent de fervents partisans italiens. Fin de mon confinement canapé. Il ou elle compose un numéro. Pour une fois que ce n'est pas le 17.
— Oui allô ma commère, tu vas bien ?
— Ça va bien et toi ?
— Eh bien ça va.
— Je suis contente d’entendre que tu vas bien.
— Eh bien moi aussi.
— T’as vu, ça fait déjà 23 jours.
— Eh oui, déjà 23 jours.
— Les gens sortent près de chez toi ?
— Ils ne font que ça ! Et du côté de chez toi ?
Le genre de coup de fil qui mérite des coups de pieds à la puissance 19 côté postérieur. Avec autant de contacts, j’espère vraiment être testé positif pour en finir définitivement avec vous.
Le comble du téléphone est de ne pas pouvoir appeler à l’aide quand il faudrait !
— Allô, oui, le Samu, venez me chercher tout de suite. Je suis fin prêt pour l’euthanasie.
O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao...
Emmelyne OCTAVIE
— Y a plus rien à faire. Il est mort !
Cela me protégerait des sévices que vous exercez sur moi au quotidien. Je fonctionne sans interruption à raison de cinq recharges de ma batterie par jour. Même les ordinateurs ou les tablettes sont mieux lotis que moi. Tous deux ont droit à une mise en veille, ce qui n’est pas mon cas. Vous dormez avec moi, collé à votre joue. Pourtant, tous les matins, en parfait charlatan, vous écrivez des odes à la santé dans un charabia que seuls vous comprenez.
Que vous me preniez pour jouer. Je l’accepte ! Que vous lisiez votre journal en diagonal. C’est très bien !Que vous écoutiez de la musique comme si j’étais un walkman, ça adoucit les mœurs, donc pourquoi pas. Que vous regardiez intégralement un film. Ça commence à faire beaucoup ! Que vous preniez des photos de mauvaises qualités de vos parties intimes. Ça vous regarde ! Mais que vous me rendiez complice de votre collaboration à chaque fois que vous composez le 17. Ça ne va pas et ne m’ira jamais.
— Oui allô. J’appelle pour signaler qu’il y a un peu plus de douze personnes dans le jardin de la maison d’à côté. Elles sont arrivées très précisément à 11h53. Il me semble qu'elles sont à l’apéro. Personne n’a de masque. Normalement, c’est un homme célibataire qui habite la demeure. Je vous envoie la géolocalisation. Vous pensez arriver dans combien de minutes pour mettre fin à cette petite réunion de confinement ?
— ……….
— D’accord. Ne vous inquiétez pas. Je continue à les surveiller pour vous. Mon mari et moi, nous vous attendons. Ce sera un sacré coup de filet !
Je n’en crois pas mon micro et mes écouteurs. La crise sanitaire vient de se transformer en IIIe Reich ! Ce qui m’inquiète le plus, c’est la facilité avec laquelle vous vous adonnez à cette chose. À croire que vous aviez déjà ce virus dans le sang. J’ai honte de ce que vous me faites vivre. Il n’y a pas à dire, je suis entre des mains indéniablement propres, mais qu’est-ce que vos bouches sont dégoûtantes, avec cette haleine forte de délation. On devrait faire tremper vos langues dans de l’alcool à brûler, histoire d'équilibrer le capital propreté et que vos bouches ressemblent enfin à vos mains.
Je ne comptabilise plus les appels d’air. Les bruits pour rien. Les sonneries dans le vide.
— T’as pas vu mon téléphone ?
— Non
— Fais-le sonner pour moi
Le mode silencieux m’abandonne pour un son ringard qui sonne mon glas.
Uma mattina mi sono alzato.
O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao
Les collabos deviennent de fervents partisans italiens. Fin de mon confinement canapé. Il ou elle compose un numéro. Pour une fois que ce n'est pas le 17.
— Oui allô ma commère, tu vas bien ?
— Ça va bien et toi ?
— Eh bien ça va.
— Je suis contente d’entendre que tu vas bien.
— Eh bien moi aussi.
— T’as vu, ça fait déjà 23 jours.
— Eh oui, déjà 23 jours.
— Les gens sortent près de chez toi ?
— Ils ne font que ça ! Et du côté de chez toi ?
Le genre de coup de fil qui mérite des coups de pieds à la puissance 19 côté postérieur. Avec autant de contacts, j’espère vraiment être testé positif pour en finir définitivement avec vous.
Le comble du téléphone est de ne pas pouvoir appeler à l’aide quand il faudrait !
— Allô, oui, le Samu, venez me chercher tout de suite. Je suis fin prêt pour l’euthanasie.
O bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao, ciao...
Emmelyne OCTAVIE