Chaque soir apporte son message sur la page Facebook de l'artiste Emmelyne Octavie. Elle partage ses billets d'humeur avec nous, lisons la!
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Voilà bientôt quinze ans que, plusieurs fois dans l’année, je m’aligne en file indienne pas toujours droite, devant la préfecture de Cayenne, qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil, dans l’espoir d’obtenir ma carte de séjour et ma naturalisation. Pendant dix ans, il me manquait le même papier pour prétendre à cette dernière. Je n’ai toujours pas la nationalité parce que je ne trouve pas le document qui prouve que j’ai bien fait toutes mes classes de maternelle. Le genre de papier à gommette qu’on s’entête à me demander juste pour que je rate ma vie. Tout en rassemblant ces justificatifs, j’ai dû avaler le livret du citoyen d’une traite et bouffer en cachette La Marseillaise en fa dièse. Le si bémol ne me réussit jamais. J’avoue n’avoir pas tout saisi des paroles. De toutes façons je préfère les louanges pas les chants d’ivrognes. J’ai continué à marcher sur mon chemin de désolation en essuyant des décisions défavorables tantôt "en irrecevabilité" tantôt "en opportunité". Ça aurait été beaucoup plus simple de nous dire à nous autres soit NON…soit NON !
Où qu’ils vont chercher tous leurs termes compliqués ces gens-là ?
Quinze ans à entendre la même dame me répéter en me toisant et en postillonnant sur moi :
— C’est toujours pas bon ! Faudra repasser !
Quinze ans à m’essuyer le visage, à suer en marchant avec, sous le bras, une pochette à rabats élastiques devenue noire. Quinze ans de timbres, de photocopies, de peur, de honte, de précarité, d’insomnies, de prières, de bougies allumées, de doigts croisés pour obtenir un papier que je n’ai toujours pas sous prétexte qu’il me manquerait, soi-disant, ce petit dessin réalisé en section des moyens en 1993… Bref !
Maintenant que tout va moyennement bien, il semblerait que le jour de gloire, mon jour de gloire soit arrivé. Je peux, en toute légalité, faire mon papier tout seul. Le remplir seul. Le signer. Le tamponner d’un baiser. Le plastifier. Le faire passer dans ma commission de bonne conscience. Prendre acte. Et me déplacer sans l’ombre d’un centre de rétention qui me pendrait au nez. Je suis autorisé à m’autoriser d’être un parmi vous tous.
Enfin, je compte !
Enfin, mon papier imprimé avec un fond d’encre compte autant que les vôtres ! Je me suis auto-régularisé sur une feuille A4 sans que la petite dame de la préfecture me crache encore dessus. À croire que quand les cercueils s’ouvrent, tout devient possible à la minute. L’Égalité dans sa plus belle robe ! Me voici libre, mais pour ma malchance, y’a plus personne dans les rues pour fraterniser avec l’étranger que j’ai été et savourer avec lui quinze ans de batailles administratives et étatiques. Tous les bars sont fermés. Je vais conserver fort ce papier dans ma pochette pour l’après. Et montrer à cet État confiné dans sa malhonnêteté Ô comme je suis l’un des siens ou Ô comme nous sommes tous clandestins selon la direction du vent.
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de..."
Où qu’ils vont chercher tous leurs termes compliqués ces gens-là ?
Quinze ans à entendre la même dame me répéter en me toisant et en postillonnant sur moi :
— C’est toujours pas bon ! Faudra repasser !
Quinze ans à m’essuyer le visage, à suer en marchant avec, sous le bras, une pochette à rabats élastiques devenue noire. Quinze ans de timbres, de photocopies, de peur, de honte, de précarité, d’insomnies, de prières, de bougies allumées, de doigts croisés pour obtenir un papier que je n’ai toujours pas sous prétexte qu’il me manquerait, soi-disant, ce petit dessin réalisé en section des moyens en 1993… Bref !
Maintenant que tout va moyennement bien, il semblerait que le jour de gloire, mon jour de gloire soit arrivé. Je peux, en toute légalité, faire mon papier tout seul. Le remplir seul. Le signer. Le tamponner d’un baiser. Le plastifier. Le faire passer dans ma commission de bonne conscience. Prendre acte. Et me déplacer sans l’ombre d’un centre de rétention qui me pendrait au nez. Je suis autorisé à m’autoriser d’être un parmi vous tous.
Enfin, je compte !
Enfin, mon papier imprimé avec un fond d’encre compte autant que les vôtres ! Je me suis auto-régularisé sur une feuille A4 sans que la petite dame de la préfecture me crache encore dessus. À croire que quand les cercueils s’ouvrent, tout devient possible à la minute. L’Égalité dans sa plus belle robe ! Me voici libre, mais pour ma malchance, y’a plus personne dans les rues pour fraterniser avec l’étranger que j’ai été et savourer avec lui quinze ans de batailles administratives et étatiques. Tous les bars sont fermés. Je vais conserver fort ce papier dans ma pochette pour l’après. Et montrer à cet État confiné dans sa malhonnêteté Ô comme je suis l’un des siens ou Ô comme nous sommes tous clandestins selon la direction du vent.
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de..."