Le confinement semble être une source inépuisable de découvertes pour l'artiste guyanaise Emmelyne Octavie. Avec ses mots et son humour, elle met en exergue nos tics et nos tocs consuméristes. Ne boudons pas notre plaisir, lisons !
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Je pense qu’il est grand temps que nous fassions une petite mise au point, vous et moi.
Aussi bien mesdames que messieurs, car ce confinement devient beaucoup trop lourd à porter pour ma petite personne. Nous arrivons seulement à la fin de la semaine une, du mois premier de cette nouvelle vie, que littéralement vous m’écrasez ! Au vu de tout ce que vous avalez, je ne vais pas mâcher mes mots ce soir. Vous commencez royalement à me gaver en montant sur moi toutes les demi-heures ! Croyez-vous sincèrement qu’il soit utile, après six repas par jour arrosés d’alcool, de poser les pieds sur moi avec le sale espoir d’avoir perdu quelque chose en kilo ou en gramme ?
Vous ne respectez rien ! Je vous regarde tricher. Vous vous pesez de la moitié de votre corps. Vous reculez mon aiguille, retenez votre respiration. Vous rentrez le ventre, tenez vos cheveux. Laissez un œil fermé et autres conneries dans le genre, pour que je vous annonce un chiffre erroné qui, dans les deux cas, vous renverra à vos travers. Ce qui par dessus tout m’agace, c’est la fréquence avec laquelle vous répétez l’opération. Vous montez le matin à jeun. Ça me va ! Vous remontez le même matin avec un petit déjeuner pour trois personnes dans le ventre. Ça ne me plaît pas ! Vous vous promenez ensuite dans toute la cuisine, avec la bouche dans tous les placards. Puis vous remontez une heure après pour voir si miraculeusement vous êtes passés de 87 à 83 kg. Ça ne m’amuse pas ! Vous revenez me voir l’après-midi, comme si monter sur une balance était devenu un sport puisqu’il faut lever un tout petit peu la jambe. Ça me crispe ! Quand vient le soir, après avoir vidé le frigo, vous montez à nouveau sur moi en rêvant de voir s’afficher un poids idéal. Ça m’énerve ! Et quand le mystère n’opère pas, vous m’insultez de rage comme si c’était moi qui mettait la petite cuillère de pâte à tartiner, les olives et les rondelles de saucissons dans vos ventres à longueur de journée. Petite notice, pour celles et ceux qui ne me maîtrisent pas encore. Mon fonctionnement repose sur un principe de logique quasi mathématique. Plus vous mangerez, mieux j’additionnerai. Je ne peux pas chiffrer à la baisse tout ce qui transite par le gros intestin.
Si vous n’arrivez pas à ingurgiter mon théorème, vous n’avez qu’à retirer la pile et me mettre en quarantaine. Ainsi, provisoirement, vous ne sentirez plus le poids de votre mauvaise conscience sur vos hanches.
À la toute fin, peu importe mes chiffres, quand vous sortirez, vous serez pesés à l’œil.
— Unetelle, je ne t’ai même pas reconnue. Y’a truc qui a changé en toi…
— Non ! Je suis restée la même !
— T’aurais pas un peu grossi... ?
Le poids de cette phrase vous fera l’effet d’une bascule. C’est moi qui vous le dis !
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de...
Aussi bien mesdames que messieurs, car ce confinement devient beaucoup trop lourd à porter pour ma petite personne. Nous arrivons seulement à la fin de la semaine une, du mois premier de cette nouvelle vie, que littéralement vous m’écrasez ! Au vu de tout ce que vous avalez, je ne vais pas mâcher mes mots ce soir. Vous commencez royalement à me gaver en montant sur moi toutes les demi-heures ! Croyez-vous sincèrement qu’il soit utile, après six repas par jour arrosés d’alcool, de poser les pieds sur moi avec le sale espoir d’avoir perdu quelque chose en kilo ou en gramme ?
Vous ne respectez rien ! Je vous regarde tricher. Vous vous pesez de la moitié de votre corps. Vous reculez mon aiguille, retenez votre respiration. Vous rentrez le ventre, tenez vos cheveux. Laissez un œil fermé et autres conneries dans le genre, pour que je vous annonce un chiffre erroné qui, dans les deux cas, vous renverra à vos travers. Ce qui par dessus tout m’agace, c’est la fréquence avec laquelle vous répétez l’opération. Vous montez le matin à jeun. Ça me va ! Vous remontez le même matin avec un petit déjeuner pour trois personnes dans le ventre. Ça ne me plaît pas ! Vous vous promenez ensuite dans toute la cuisine, avec la bouche dans tous les placards. Puis vous remontez une heure après pour voir si miraculeusement vous êtes passés de 87 à 83 kg. Ça ne m’amuse pas ! Vous revenez me voir l’après-midi, comme si monter sur une balance était devenu un sport puisqu’il faut lever un tout petit peu la jambe. Ça me crispe ! Quand vient le soir, après avoir vidé le frigo, vous montez à nouveau sur moi en rêvant de voir s’afficher un poids idéal. Ça m’énerve ! Et quand le mystère n’opère pas, vous m’insultez de rage comme si c’était moi qui mettait la petite cuillère de pâte à tartiner, les olives et les rondelles de saucissons dans vos ventres à longueur de journée. Petite notice, pour celles et ceux qui ne me maîtrisent pas encore. Mon fonctionnement repose sur un principe de logique quasi mathématique. Plus vous mangerez, mieux j’additionnerai. Je ne peux pas chiffrer à la baisse tout ce qui transite par le gros intestin.
Si vous n’arrivez pas à ingurgiter mon théorème, vous n’avez qu’à retirer la pile et me mettre en quarantaine. Ainsi, provisoirement, vous ne sentirez plus le poids de votre mauvaise conscience sur vos hanches.
À la toute fin, peu importe mes chiffres, quand vous sortirez, vous serez pesés à l’œil.
— Unetelle, je ne t’ai même pas reconnue. Y’a truc qui a changé en toi…
— Non ! Je suis restée la même !
— T’aurais pas un peu grossi... ?
Le poids de cette phrase vous fera l’effet d’une bascule. C’est moi qui vous le dis !
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de...