Nouveau rendez-vous avec l'artiste Emmelyne Octavie, chaque soir à 20h, elle publie son billet d'humeur sur le confinement Covid-19 sur sa page Facebook. Ah si les chiens parlaient!
l n’y a pas si longtemps que ça, j’étais la corvée. La boule de poils que personne ne voulait sortir et que tout le monde voulait donner.
— Manu, le chien !
— T’as qu’à y aller toi, tu vois pas que j’suis occupé !
On me promenait entre le paillasson et la porte, le temps d’une cigarette et c’est tout. Toute ma chance reposait sur les enfants, selon leur humeur, leur degré de paresse ou leurs histoires de cœur. Je pouvais espérer une balade allant d’un quart d’heure à une jolie demie-heure. Parfois, ces têtes en l’air, avec des casques plus gros que leurs oreilles, oubliaient qu’ils étaient sortis avec moi et me laissaient rentrer seul. Mais depuis l’arrivée de l’autre bâtard dans nos vies, je suis devenu le laissez-sortir de toute la famille. On me réveille le matin pour aller je ne sais où, alors que je n’ai aucune envie particulière. Aussitôt rentré, on me fait sortir à nouveau, pour profiter du soleil. Durant ces balades interminables, je croise des hommes qui tirent des chats. Des femmes qui traînent des cochons d'Inde. Certains ont même mis des poules en laisse ou promènent des poussettes vides.
L’après-midi, alors que je fais tranquillement ma sieste devant BFMTV, les pattes brûlées par la démesure de mes maîtres, j’entends quoi ?
— J'reviens ! J'vais sortir le chien !
Minute papillon. Tu ne vas rien sortir du tout. Trop, c’est trop ! Ce n’est pas à chaque fois que tu dois parler ou texter, que tu vas me trimballer avec toi.
On a fait de moi la promenade extraconjugale. Dites carrément que vous sortez consulter votre deuxième vie sur vos portables et foutez-moi la paix, bordel de merde ! J’ai besoin de repos. Moi aussi je veux me protéger. Le cabot ne veut plus faire le sale boulot. Vous avez déjà vu ça vous ? Un chien avec des ampoules aux pattes ? Même chez les chiens errants ça n’existe pas. On se bat pour moi du matin au soir. Je comprends mieux pourquoi l’autre paumé à répéter six fois, lundi dernier, c’est la guerre !
— C’est moi qui sors le chien aujourd’hui et demain aussi !
— Non, tu sortiras la poubelle. Je m’occupe du chien pendant tout le confinement.
— Hors de question ! Je te rappelle que c’est ma chienne !
— Oui mais c’est moi qui la nourris donc c’est à moi de la sortir.
Je suis coincé dans une espèce de garde alternée sans recours possible. Je n’ai même plus les crocs d’aboyer. Aucun décret n’a pensé à nous protéger de nos maîtres et de leurs maîtresses. Ce serait pas si bête que l’autre prenne la parole pour nous défendre au lieu de l’ouvrir pour rien à la télé !
Les parents ont mis les enfants hors-jeu dans cette bataille.
— Pa’, j'reviens ! J'vais sortir le chien.
— Laissez le chien tranquille et retournez à vos devoirs. C’est pas des vacances !
Le scénario est ensuite toujours le même. Le portable vibre. Il jette un œil. Enfile ses savates...
— Manu, tu vas où ?
— Ben j'vais sortir le chien, tu vois pas qu’il n’en peut plus de rester là ?
Et c’est parti pour un nouvel épisode d’amour, pattes en feu et désespoir.
Je suis passé du meilleur ami à l'alibi de l'homme. À cette allure, même avec des ampoules et une patte cassée, je crois que je n’ai pas fini de faire 17 fois par jour le tour du quartier. Quelle chienne de vie !
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de..."
— Manu, le chien !
— T’as qu’à y aller toi, tu vois pas que j’suis occupé !
On me promenait entre le paillasson et la porte, le temps d’une cigarette et c’est tout. Toute ma chance reposait sur les enfants, selon leur humeur, leur degré de paresse ou leurs histoires de cœur. Je pouvais espérer une balade allant d’un quart d’heure à une jolie demie-heure. Parfois, ces têtes en l’air, avec des casques plus gros que leurs oreilles, oubliaient qu’ils étaient sortis avec moi et me laissaient rentrer seul. Mais depuis l’arrivée de l’autre bâtard dans nos vies, je suis devenu le laissez-sortir de toute la famille. On me réveille le matin pour aller je ne sais où, alors que je n’ai aucune envie particulière. Aussitôt rentré, on me fait sortir à nouveau, pour profiter du soleil. Durant ces balades interminables, je croise des hommes qui tirent des chats. Des femmes qui traînent des cochons d'Inde. Certains ont même mis des poules en laisse ou promènent des poussettes vides.
L’après-midi, alors que je fais tranquillement ma sieste devant BFMTV, les pattes brûlées par la démesure de mes maîtres, j’entends quoi ?
— J'reviens ! J'vais sortir le chien !
Minute papillon. Tu ne vas rien sortir du tout. Trop, c’est trop ! Ce n’est pas à chaque fois que tu dois parler ou texter, que tu vas me trimballer avec toi.
On a fait de moi la promenade extraconjugale. Dites carrément que vous sortez consulter votre deuxième vie sur vos portables et foutez-moi la paix, bordel de merde ! J’ai besoin de repos. Moi aussi je veux me protéger. Le cabot ne veut plus faire le sale boulot. Vous avez déjà vu ça vous ? Un chien avec des ampoules aux pattes ? Même chez les chiens errants ça n’existe pas. On se bat pour moi du matin au soir. Je comprends mieux pourquoi l’autre paumé à répéter six fois, lundi dernier, c’est la guerre !
— C’est moi qui sors le chien aujourd’hui et demain aussi !
— Non, tu sortiras la poubelle. Je m’occupe du chien pendant tout le confinement.
— Hors de question ! Je te rappelle que c’est ma chienne !
— Oui mais c’est moi qui la nourris donc c’est à moi de la sortir.
Je suis coincé dans une espèce de garde alternée sans recours possible. Je n’ai même plus les crocs d’aboyer. Aucun décret n’a pensé à nous protéger de nos maîtres et de leurs maîtresses. Ce serait pas si bête que l’autre prenne la parole pour nous défendre au lieu de l’ouvrir pour rien à la télé !
Les parents ont mis les enfants hors-jeu dans cette bataille.
— Pa’, j'reviens ! J'vais sortir le chien.
— Laissez le chien tranquille et retournez à vos devoirs. C’est pas des vacances !
Le scénario est ensuite toujours le même. Le portable vibre. Il jette un œil. Enfile ses savates...
— Manu, tu vas où ?
— Ben j'vais sortir le chien, tu vois pas qu’il n’en peut plus de rester là ?
Et c’est parti pour un nouvel épisode d’amour, pattes en feu et désespoir.
Je suis passé du meilleur ami à l'alibi de l'homme. À cette allure, même avec des ampoules et une patte cassée, je crois que je n’ai pas fini de faire 17 fois par jour le tour du quartier. Quelle chienne de vie !
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de..."