Emmelyne Octavie et ses billets d'humeur nous a tenu compagnie durant toute une semaine de confinement Covid-19. Les artistes comme elle vivent de leurs publications ou de leurs prestations scéniques. Ne l'oublions pas! Le confinement exhacerbe leur créativité mais ne remplit pas leurs poches.
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— Maxime, Dépêche-toi de te mettre au travail ! Je te surveille.
Ça c’est le premier bonjour de ma mère. Elle met un réveil exprès pour moi le matin à 06h45. Elle qui ne comprend jamais rien à rien a bizarrement tout compris à Pronote.
On est seulement vendredi, de la semaine une, que je n’en peux plus de vivre sous ce toit.
Papa est conducteur de bus. Il n’a plus rien à rouler, excepté son cul qui se vautre sur le canapé. Maman, quant à elle, commence son télé-travail vers 15h30 et à 16h02, elle estime en avoir fait suffisamment. Le reste du temps, ils prennent l’apéro en ouvrant des pistaches et en développant une thèse complotiste sur l’état maladif du monde ! Je n’avais jamais remarqué à quel point la langue de mes parents était sale. À deux, mes parents baisent bien le gouvernement. Pour une fois que c’est eux, on va pas trop s’en plaindre.
Pour se donner bonne conscience, tous les deux n’arrêtent pas de me crier :
— Alors Max, ça avance tes devoirs ? On te surveille !
L’envie de leur répondre, « ta mère ! » C’est ce que mes potes de classe auraient répondu. Mais là j’suis seul dans ce putain d'salon. Alors je serre les dents au risque de les casser.
Par moment, je fais semblant d’avoir besoin d’eux.
— J’ai pas compris la méthodologie de l’explication de texte. Pa’ tu veux bien m’aider ?
Je sais pertinemment qu’il ne pourra pas. Son truc à lui c’est la critique facile pas le raisonnement. Je prends juste plaisir à lui montrer qu’il est l’homme faible de la maison.
— Demande à ta mère !
— Man’ est-ce que…
— Tu vois pas que je suis occupée ?
Maman regarde des vidéos sur WhatsApp comme une adolescente. Fin de l’aide parentale. Je n’arrive pas à les encadrer. Papa sent le navet. Maman n’a rien d’une belle femme dans son linge de maison troué. Ils ont déposé leurs apparences dans la salle de bain. La rue leur réussit mieux. Ce confinement est une sorte de loupe microscopique pour mieux se regarder jusqu’au dégoût. Moi j’l’es connais pas ces deux-là. Même si y’a personne qui nous voit et que chacun est chez soi, ils me font honte. Je me tiens sérieusement à l’écart.
J’ai fait un masque avec mes lacets de Jordan et un slip de quand j’étais p’tit garçon pour ne plus les sentir respirer à côté de moi.
— T’as pas marre de faire le con, Max ? Va faire le riz !
Je dois faire et l'élève et leur boy. Je n’ai même pas le droit de mettre une barrière sécurisante entre eux et moi. La vérité c’est que je ne risque rien. Nous vivons dans un monde parallèle tous les trois. On ne s’est jamais pris dans les bras. On ne s’épanche pas. On ne pleure pas sur les épaules les uns des autres. Tous nos sentiments, nos gestes affectueux et d’amour sont en tombe. D’ailleurs, je me demande bien comment ils ont pu m’avoir vu qu’ici, en terre de pudeur, de génération en génération, on ne se touche pas. On ne se fait pas l’amour. On ne se dit pas les mots de Shakespeare. C’est notre endémie à nous.
Maman met la table avec autant de finesse qu’une dame de cantine. Papa se ramène avec son odeur de soupe. Nos couverts sont à distance raisonnable. L’air est lourd. Confiné. Ma classe et mes profs me manquent grave. Même le p’tit monsieur qui ouvre et ferme le portail et qu’on surnomme Batmann, j’sais même plus pourquoi, j’ai envie d'le revoir. J’espère qu’ils sont mieux confinés que moi. Le Préfet et la dame de l’ARS peuvent dormir tranquille. Aucun virus,
mise à part celui de ma honte, ne va se propager chez nous.
- Maxime ?
- Quoi encore ???
- La vaisselle va pas se faire toute seule !
Et moi dans ma tête...
- Ta mère !
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de..."
Ça c’est le premier bonjour de ma mère. Elle met un réveil exprès pour moi le matin à 06h45. Elle qui ne comprend jamais rien à rien a bizarrement tout compris à Pronote.
On est seulement vendredi, de la semaine une, que je n’en peux plus de vivre sous ce toit.
Papa est conducteur de bus. Il n’a plus rien à rouler, excepté son cul qui se vautre sur le canapé. Maman, quant à elle, commence son télé-travail vers 15h30 et à 16h02, elle estime en avoir fait suffisamment. Le reste du temps, ils prennent l’apéro en ouvrant des pistaches et en développant une thèse complotiste sur l’état maladif du monde ! Je n’avais jamais remarqué à quel point la langue de mes parents était sale. À deux, mes parents baisent bien le gouvernement. Pour une fois que c’est eux, on va pas trop s’en plaindre.
Pour se donner bonne conscience, tous les deux n’arrêtent pas de me crier :
— Alors Max, ça avance tes devoirs ? On te surveille !
L’envie de leur répondre, « ta mère ! » C’est ce que mes potes de classe auraient répondu. Mais là j’suis seul dans ce putain d'salon. Alors je serre les dents au risque de les casser.
Par moment, je fais semblant d’avoir besoin d’eux.
— J’ai pas compris la méthodologie de l’explication de texte. Pa’ tu veux bien m’aider ?
Je sais pertinemment qu’il ne pourra pas. Son truc à lui c’est la critique facile pas le raisonnement. Je prends juste plaisir à lui montrer qu’il est l’homme faible de la maison.
— Demande à ta mère !
— Man’ est-ce que…
— Tu vois pas que je suis occupée ?
Maman regarde des vidéos sur WhatsApp comme une adolescente. Fin de l’aide parentale. Je n’arrive pas à les encadrer. Papa sent le navet. Maman n’a rien d’une belle femme dans son linge de maison troué. Ils ont déposé leurs apparences dans la salle de bain. La rue leur réussit mieux. Ce confinement est une sorte de loupe microscopique pour mieux se regarder jusqu’au dégoût. Moi j’l’es connais pas ces deux-là. Même si y’a personne qui nous voit et que chacun est chez soi, ils me font honte. Je me tiens sérieusement à l’écart.
J’ai fait un masque avec mes lacets de Jordan et un slip de quand j’étais p’tit garçon pour ne plus les sentir respirer à côté de moi.
— T’as pas marre de faire le con, Max ? Va faire le riz !
Je dois faire et l'élève et leur boy. Je n’ai même pas le droit de mettre une barrière sécurisante entre eux et moi. La vérité c’est que je ne risque rien. Nous vivons dans un monde parallèle tous les trois. On ne s’est jamais pris dans les bras. On ne s’épanche pas. On ne pleure pas sur les épaules les uns des autres. Tous nos sentiments, nos gestes affectueux et d’amour sont en tombe. D’ailleurs, je me demande bien comment ils ont pu m’avoir vu qu’ici, en terre de pudeur, de génération en génération, on ne se touche pas. On ne se fait pas l’amour. On ne se dit pas les mots de Shakespeare. C’est notre endémie à nous.
Maman met la table avec autant de finesse qu’une dame de cantine. Papa se ramène avec son odeur de soupe. Nos couverts sont à distance raisonnable. L’air est lourd. Confiné. Ma classe et mes profs me manquent grave. Même le p’tit monsieur qui ouvre et ferme le portail et qu’on surnomme Batmann, j’sais même plus pourquoi, j’ai envie d'le revoir. J’espère qu’ils sont mieux confinés que moi. Le Préfet et la dame de l’ARS peuvent dormir tranquille. Aucun virus,
mise à part celui de ma honte, ne va se propager chez nous.
- Maxime ?
- Quoi encore ???
- La vaisselle va pas se faire toute seule !
Et moi dans ma tête...
- Ta mère !
Emmelyne OCTAVIE, "Confinée dans la tête de..."