8 mars 2017 : portraits de Femmes de Guyane

Aline Belfort, sociologue, s'est penchée sur des destins des femmes guyanaises à l'occasion de la journée des droits de la femme. Elle nous propose quatre portraits de femmes qui ont choisi des métiers à dominance masculine.

Audrey Sandot-Bichara, première guyanaise ingénieur du contrôle de la naviguation aérienne

Audrey ravive un souvenir, les débuts de l’aviation en Guyane  immortalisés par la célèbre composition musicale de Samuel Lubin alias Edgard Nibul : « Mouvement d’avion ».
Dans l’aviation, deux métiers s’exercent en tandem et avec une égale responsabilité : celui de pilote et celui d’ingénieur du contrôle de la navigation aérienne.
Pendant de nombreuses années cette profession a été exercée exclusivement par des hommes. Audrey Sandot-Bichara, la première Guyanaise ingénieur du contrôle de la navigation aérienne, est née à Cayenne où elle a poursuivi sa scolarité de la maternelle à la classe de première.
Elle obtient le baccalauréat scientifique avec la mention bien, à Toulouse  en 1999.
 
Le choix d’un métier motivé par la passion
La passion des avions et des aéroports a orienté le choix d’Audrey vers le métier d’ingénieur du contrôle de la navigation aérienne. Il n’existe qu’une école en France, l'École Nationale de l'Aviation Civile (ENAC)  de Toulouse.  Audrey Sandot-Bichara y est admise sur concours après un cursus en classe préparatoire. La formation dure 3 ans. Audrey obtient son diplôme en 2005 et est affectée au centre de contrôle de Reims.
 
Audrey Sandot-Bichara

Le retour au pays et vie de famille.
Audrey Sandot obtient donc sa mutation pour sa terre natale en Juillet 2009 et L’aviation civile en Guyane accueille la première Guyanaise  « Ingénieur du Contrôle de la Navigation Aérienne ».
 
Audrey Sandot-Bichara, première Guyanaise « Ingénieur du Contrôle de la Navigation Aérienne » a reçu le prix du CASODOM en 2005: les talents de l’outremer. Cette jeune femme doit être un exemple encourageant pour la jeunesse du pays. Une jeunesse, iqui doit oser s’orienter vers les emplois émergeants et aussi les moins connus afin qu'elle soit visible dans tous les secteurs d’activités.

Audrey Sandot-Bichara



Constance Rézaire-Loupec, première magistrate guyanaise

Constance Rézaire, première magistrate guyanaise est née à Cayenne. Toute  sa scolarité de la maternelle Joséphine Horth  au Lycée Félix Eboué se déroule dans sa ville natale, à l’exception du cours moyen 1 qu’elle suit à Paris lors du congé administratif de ses parents. Le baccalauréat A (littéraire) obtenu en 1970, elle s’inscrit à la faculté de droit de Montpellier.
La licence obtenue, le choix professionnel de Constance n’est pas arrêté. Elle se décide à passer le concours de la magistrature en 1975.
Ce concours est difficile car le nombre de postes est limité. Constance est admise à l’Ecole Nationale de la Magistrature de Bordeaux en janvier 1976. Sa formation à l’école de la magistrature dure 2 ans. Constance la trouve passionnante.
Constance Rézaire à sa sortie de l’école nationale de la magistrature choisit la fonction de juge du siège. Les juges sont répartis en deux catégories :
- Les juges du siège, qui prononcent le jugement. Ils sont assis dans les tribunaux.
- Les juges debout représentent la société civile, défendent ses intérêts et se tiennent debout.
 
La première affectation de Constance fut : son pays natal, la Guyane.
Le 12 février 1978, c’est en grande pompe qu’elle est installée dans ses fonctions au tribunal de Cayenne, entourée de sa famille, ses collègues et la fierté de ses compatriotes. La Guyane est une très petite juridiction assumant toutes les fonctions judiciaires.
Seule femme et seule Guyanaise parmi 9 magistrats, Constance Rézaire-Loupec a été bien intégrée dans cet univers masculin.
Après avoir exercé 8 ans en Guyane, Constance Rézaire-Loupec a poursuivi sa carrière pendant 11 ans en France, en Guadeloupe et en Martinique.
 
Le retour au pays jusqu’au départ à la retraite. 
A son retour en 1997, Constance a vu et voit évoluer son métier et son pays. En 1978, 13 avocats étaient inscrits au barreau de Cayenne. Ils étaient une trentaine en 1997 et en 2015 environ 100.  Le nombre de juge avait quasiment triplé.
L’explosion démographique a multiplié les affaires et par conséquent a accru l’activité judiciaire. L’explosion démographique a aussi modifié les rapports humains. Ce qui pouvait se régler à l’amiable est tout de suite judiciarisé.
 
Ainsi, Constance Rézaire-Loupec, première guyanaise  magistrate, a ouvert la voie aux jeunes Guyanaises et Guyanais encore trop peu nombreux à embrasser cette profession. Ce choix permettrait aussi aux locaux d’intégrer une image de la justice qui leur ressemble et donc de l’universalité des valeurs qu’elle véhicule.    

Constance Rézaire-Loupec



    

Monique Blérald, première guyanaise professeure des universités de Guyane

Monique Blérald est née à Cayenne. La transmission de la tradition guyanaise par madame et monsieur Blérald à leurs quatre filles dont Monique est l’aînée ne peut être niée. Monique effectue quasiment toute sa scolarité à Cayenne.
Après l’obtention du Baccalauréat, elle se destine à l’enseignement. Métier qu’elle exercera de l’élémentaire à l’université. Une fois sa formation d’institutrice terminée à l’Ecole Normale, elle enseigne dans le premier degré quelques années.
 
Les études supérieures et les formations dans le domaine culturel s’enchaînent.
A partir de 1986, Monique entreprend des études de lettres modernes à Montpellier jusqu’à l’obtention  de la maîtrise. Elle est admise au CAPES (Certificat d’Aptitude au Professorat de l’enseignement au Second Degré). C’est à Bordeaux que la professeure des universités obtient le Diplôme d’Etudes Approfondies  en « Littératures française, francophone et comparée» puis le doctorat. C’est à l’université de Lyon qu’elle obtient l’habilitation à diriger des recherches, puis à Clermont-Ferrant le diplôme universitaire de 3 ème cycle intitulée « Etude de la Francophonie et mondialisation ».
Parallèlement à ses études, Monique suit une formation sur les « Pratiques artistiques culturelles et associatives » et la « Diversité culturelle » et participe à des séminaires en anthropologie de la danse.

 
Une carrière prometteuse débute
En 1991, La future professeure des universités revient au pays pour diriger le Groupe de Recherche en Espace Créolophone (GEREC). Puis, elle poursuit sa carrière d’enseignante dans le second degré, au lycée Félix Eboué.
En 1995, nous devons à Monique Blérald et ses collaborateurs la mise en place et la coordination de l’option « Danses traditionnelles au baccalauréat ».
En 2002, Monique devient Maître de Conférences à l’Institut d’Enseignement supérieur de la Guyane de l’université des Antilles  et de la Guyane. Puis, elle enseigne la littérature française pendant 2 ans à l’Université de la Louisiane à Lafayette.
 
Une compétence avérée au service du tout jeune rectorat de la Guyane
C’est le retour au pays. Monique sollicite en 2009 un détachement au tout jeune rectorat de la Guyane. Elle y exerce les  fonctions d’Inspectrice Pédagogique Régionale de Lettres et du créole dans le second degré.
 
Une réintégration nécessaire à l’Université des Antilles-Guyane.
Monique Blérald réintègre l’université Antilles-Guyane et dispense des enseignements en Lettres modernes, Ancien français, Littérature francophone et en Langues  et Cultures Régionales. Un réintégration nécessaire, car le décret du 30 juillet 2014 crée en Guyane une université de plein exercice. Monique y assume de nombreuses responsabilités dont celle de chef de département de Lettres  et sciences  humaines (Le département est composé de 5 filières et accueille 700 étudiants).
 
En septembre 2015, ce brillant parcours est couronné par l’admission de Monique Blérald au concours de professeure des universités en cultures et langues régionales, spécialité littérature. Elle est la première Guyanaise à détenir ce titre.
 
La représentativité de Monique Blérald sur le plan national et internationale est incontestable.
Elle est l’invitée de nombreuses et illustres institutions : Le LACITO (laboratoire pluridisciplinaire de recherche en Langues et civilisations à Tradition Orale) ; le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) ;  l’Alliance française en Louisiane ; l’UNESCO …où elle assume aussi des responsabilités. Elle organise et participe à des colloques internationaux.
 
De nombreuses publications attestant d’une intense activité de recherche.
Notre Professeure d’université a publié plusieurs ouvrages sur la littérature, la tradition guyanaise. Elle en a aussi dirigés. Elle est l’auteur d’une dizaine d’articles et d’une trentaine de communications et conférences.
 
Responsabilités associatives et culturelles (pour n’en citer que quelques-unes)
Monique est membre fondateur du groupe de danse traditionnelle Wapa en  1980 et de l’Association de Kalawang en 1994,
Présidente fondatrice de l’Observatoire Régionale du Carnaval de Guyane (ORCG), les membres œuvre pour l’inscription du Touloulou, personnage emblématique du carnaval guyanais, sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO.
 
Conseiller municipal de la commune de Matoury (Guyane) et adjointe au maire au Maire chargée de la culture, en 2000, sous l’impulsion de Monique la célèbre biennale du marronnage est mise en place, entres autres actions.
 
Le parcours remarquable de Monique Blérald, première Guyanaise professeure des universités est dû à sa ténacité et aussi à son engagement sans faille pour la promotion de son pays, la Guyane.
Ce parcours de femme, devrait inciter la jeunesse guyanaise à s’engager sur la voie de la volonté, de la recherche constante de la compétence pour une représentation digne et à tous les niveaux de la Guyane et des Guyanais.

Monique Blérald,




Cécile Newton dite Cinna, docker

Une enfance marquée par l’audace
Le 7 juillet 1917, naît à Cayenne Cécile Newton. Cinquième d’une fratrie de 8 enfants. Dès son plus jeune âge, ce garçon manqué surprend la famille par son comportement audacieux et masculin.
 
Le choix d’un premier emploi atypique.
Au fond, personne n’est vraiment surpris quand Cécile décide vers1925, de jober comme  porteur, l’ancêtre du docker. Personne n’est surpris mais ce choix atypique pour une femme déplaît, en ce début du xx ème siècle,
 

Le porteur ancêtre du docker en ce premier quart du xx ème siècle
Ce n’est ni un métier, ni une profession, le porteur exerce un job de journalier, très difficile, épuisant et mal payé. Ce dur labeur n’était réservé qu’aux hommes.
 
Chargement et déchargement de navires, une manutention éprouvante.
Quand Cécile Newton dite Cinna choisit d’exercer ce job, la manutention se faisait en fond de cale où toutes les marchandises étaient en vrac. Les dockers les entassaient à bras d’homme puis sur leur dos les remontaient sur le quai.
 
Les femmes sur le port de Cayenne
Les femmes n’accédaient pas à la cale. Elles ravitaillaient en eau, ces travailleurs de force sur la passerelle. Elles étaient payées au même tarif que les dockers.
 
Arrivée de Cinna sur le port.
Femme de défi, Cinna, ne pouvait concevoir n’être que porteuse d’eau. Elle voulait partager le monde des hommes. Déjà pour l’intégrer, le recrutement s’opérait par cooptation. Cinna fut donc cooptée.
Pour exécuter sa tâche avec plus d’aisance, Cinna fut avec mademoiselle Marchand,  les premières femmes en Guyane, à porter le pantalon ou le short. Cette dernière était vendeuse à la glacière Lalanne.
 

Le job devenu aujourd’hui un métier a beaucoup évolué. Cinna n’a pu en profiter puisqu’elle quitta ce job pour un autre au magasin de textile de monsieur Paul Arène.
 
Cinna a été une pionnière sur le plan professionnel où elle n’a été suivie que bien timidement. Sur le plan vestimentaire, elle a été précurseur en portant short et pantalon avant qu'ils ne deviennent des vêtements courants pour les femmes en Guyane.

Cécile Newton dite Cinna, docker