Alors que Mayotte est toujours coupée du monde, des Mahorais en transit trouvent refuge dans les Yvelines

Rokaya regarde par la fenêtre de sa chambre de la base de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Une semaine après le passage dévastateur du cyclone Chido, de nombreux Mahorais en transit dans l’Hexagone vivent dans l’angoisse. L'aéroport n'a pas encore rouvert et ils ne peuvent pas rejoindre leurs proches. En partenariat avec la région Île-de-France, la délégation de Mayotte à Paris leur propose un hébergement temporaire à la base de loisirs de Saint-Quentin en Yvelines, près de Paris.

"Je suis arrivé pour cinq jours de travail. Je me retrouve aujourd’hui bloqué, presque sans nouvelles." Ce jeune père de famille, qui travaille dans la fonction publique, devait rentrer à Mayotte le dimanche 15 décembre après une formation de quelques jours. Mais le 14, Chido a tout dévasté. Sa femme, enceinte, et son fils de cinq ans sont sur place. "J’ai pu joindre mes proches, je les ai eus deux fois. C’est toujours la même information qui remonte : on manque de tout, il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, et l’aide n’arrive pas", explique le jeune homme, qui préfère rester anonyme.

Comme lui, ils sont une poignée à prendre leurs quartiers dans les chambres de la base de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines, en région parisienne. L'établissement dispose de 70 places. Tout un étage a été mis à disposition. "L’idée est de trouver des solutions pour les Mahorais qui sont en transit ici, mais qui ne peuvent pas rentrer puisque les vols commerciaux pour l’instant sont bloqués. Les demandes commencent à affluer, résume Faridy Attoumane, délégué du Conseil départemental de Mayotte à Paris. Les nuitées et les repas sont pris en charge par la région Île-de-France. La région nous assure qu’elle peut les accueillir jusqu’au 27 janvier."


"Ils comptent sur nous"

"Ça nous enlève une épine du pied", commente le père de famille, visiblement épuisé. Les visages sont fatigués, fermés. Rokaya s’installe aussi ce vendredi dans l’une des chambres impersonnelles de la base de loisirs. De toute la journée, elle n’a eu ni nouvelles de son bébé de sept mois, ni du père de la petite. "Je sais juste que ma fille est malade", explique la jeune femme de 25 ans. Elle aussi a vécu le drame à distance, à près de 8 000 km de chez elle : "Ma petite sœur m’appelle. Elle est en cinquième, elle me dit : ‘Toi tu es à Paris, mais ici tout le monde est mort. Il n’y a plus rien’. J’étais sous le choc, c’est traumatisant. Moi je suis là, mais je souffre aussi."

Il y a des disparus, on ne sait pas où ils sont. Le cyclone les a emportés. On espère juste tenir le coup et rentrer chez nous au plus vite pour aider nos proches et surtout pour aider notre île. Ils comptent sur nous.

Rokaya 

L'une des chambres réservées aux Mahorais, au sein de l'île de Loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines.


"On attend que Macron nous montre des actes, parce que ce n’est pas en donnant des sardines et une bouteille d’eau que ça va changer les choses. On a des familles, on a des enfants qui meurent de faim", s’agace la jeune femme. Une semaine après le passage du cyclone, Mayotte manque encore de tout. Le frère de Rokaya est tombé malade parce qu’il a bu de l’eau sale, faute de mieux. "Il n’arrête pas de vomir, à ce qu’on m’a dit", raconte la jeune femme, qui peine à joindre ses proches : "J’arrive à avoir des nouvelles de mes parents, mais pour mon mari, je n’y arrive pas. Ils sont sur Passamainty, ils n’ont pas de réseau. Ils sont obligés de descendre pour avoir un peu de réseau, mais on peut parler deux minutes, pas plus."

Rumeurs et impuissance

Vivre le drame à distance ajoute de l’angoisse à l’angoisse. Tous se disent submergés par leur sentiment d’impuissance. "Vu l’ampleur des dégâts, on ne peut pas faire grand-chose, mais même les petites choses, on est dans l’incapacité de les faire. C’est ce qui est frustrant et qui nous inquiète : nos parents, nos familles, nos enfants sont seuls", explique le père de famille qui préfère garder l’anonymat. 

Les personnes sont tendues. Nous avons un père de famille qui a laissé sa conjointe enceinte. Les provisions qu’il avait faites s’amenuisent et il est très inquiet. Il est là, mais sa tête est ailleurs.

Faridy Attoumane, délégué du Conseil départemental de Mayotte à Paris

Pour calmer l’angoisse, certains préparent leur départ. L’un des Mahorais hébergés dans les Yvelines sait déjà qu’il emportera cinq valises et qu’il les remplira de packs d’eau. Ce vendredi, il est allé acheter des lampes de poches qu’il distribuera à ses voisins quand il sera enfin de retour. Mais les Mahorais en transit ne savent pas quand ils pourront regagner l’île. Dans deux jours ? Une semaine ? Plus ? "C’est très angoissant, on ne sait pas quand on pourra partir", confie le jeune père de famille, avant d’évoquer "une rumeur" qui circule depuis quelques heures : les vols reprendront ce week-end. Du côté du ministère des Outre-mer, on n’avance aucune date de remise en service de l’aéroport.

"Certains se disent ‘Je vais partir dans deux jours, dans trois jours, dans quatre jours’, alors que ça peut durer deux semaines. Même si les premiers vols ouvrent, ça ne veut pas dire qu’ils seront dans ces vols-là. Ils seront réservés aux personnes prioritaires", confirme Moiyegue Zoubert, chargée des partenariats au sein de la délégation de Mayotte à Paris. Si certains ont des proches dans l’Hexagone pour les héberger, pour les autres, se loger à l’hôtel finira par coûter trop cher. "On ne se rend pas compte que les finances vont s’épuiser et que les finances, on en a besoin pour l’après, quand on rentre, complète Moiyegue Zoubert. Il faut pouvoir retourner là-bas avec des moyens, il faut pouvoir acheter des choses, des bâches pour couvrir les toits qui se sont effondrés, continuer à manger, continuer à vivre."

Pour l’instant, les solutions d’hébergement ne sont disponibles qu’en Île-de-France. La délégation de Mayotte à Paris cherche à nouer des partenariats avec d’autres régions, pour héberger les Mahorais en transit dans l’Hexagone loin de la région parisienne.