Souveraineté alimentaire : les Outre-mer loin derrière

Le mouvement Terres de Liens dénonce dans un rapport le choix de la France de se tourner vers l'exportation alors qu'elle pourrait atteindre l'autosuffisance. Dans les DROM l'hyperspécialisation agricole, fruit des contraintes géographiques et de l'histoire coloniale, est encore plus marquée.

La France pourrait être autosuffisante mais a fait le choix de tourner son modèle agricole vers l’exportation. Le potentiel nourricier du pays est de 130%, mais 43% des terres sont mobilisées pour des produits qui seront vendus à l’étranger. Le phénomène, analysé dans un rapport par le mouvement Terres de Liens, est poussé à son paroxysme dans les Outre-mer. En moyenne, "la production locale ne couvre que 40 % de la consommation des habitants" dans les DROM selon le rapport. Chaque année, 2,2 milliards d’euros de produits alimentaires sont importés dans les Outre-mer, soit environ 1 000 euros par habitant et par an.

Des îles à sucre hyperspécialisées

Les petites îles, comme les Antilles ou La Réunion, sont particulièrement dépendantes aux importations. Cela s’explique en partie par leur petitesse : à La Réunion par exemple, 460 m² de terres cultivables sont disponibles par habitant, soit dix fois moins que dans l’Hexagone. C’est aussi un héritage colonial : dès que la France a pris possession de ces territoires, elle en a fait des îles à sucre. Ce modèle d’une agriculture hyperspécialisée est entretenu encore aujourd’hui par les aides publiques : les productions destinées à l’export la canne, mais aussi banane ou l’ananas par exemple sont massivement subventionnées, au détriment des productions promises au marché local. "Sur les 278 millions d’euros qui sont versés chaque année par l’Union européenne, près de la moitié revient au secteur de la banane et un quart à la filière canne-sucre-rhum. Un quart seulement bénéficie aux produits de consommation locale", note Terre de Liens.

Canne à sucre (illustration).

L’hyperspécialisation des agricultures et la dépendance aux importations est problématique à plusieurs titres. Elle expose les populations au risque de rupture d’approvisionnement (en cas de guerre commerciale ou d’aléas climatique par exemple), pose question en matière d’écologie et participe à la cherté de la vie.

Une dépendance particulièrement élevée

Calculer l’autonomie alimentaire n’est pas simple. Soustraire "ce qui est importé" à "ce que la population consomme pour se nourrir" ne suffit pas. Ce calcul ne prend pas en compte les imports "cachés" : la nourriture donnée à un bœuf élevé et consommé en Guadeloupe vient peut-être de l’étranger. La problématique est la même pour les fruits et les légumes : il faut prendre en compte l’origine des graines et des engrais, souvent importés.

Boeuf de race créole. (illustration)

L’azote est un bon indicateur pour mesure l’autonomie ou la dépendance alimentaire d’un territoire, car cet élément est le composant principal des protéines présentes dans les aliments et compose aussi les engrais. Pour mesurer l’autonomie alimentaire d’un territoire, il faut se demander combien il faut importer de kilogrammes d’azote sous formes de fourrage, d’engrais et de nourriture pour produire un kilogramme d’azote sur place.

Dans un article de The Conversation consacré à l’exemple réunionnais, les chercheurs Gilles Billen et Josette Garnier estiment que "les 860 000 habitants de l'île consomment […] quelque 4 400 tonnes d’azote protéique […] : 3 300 sous forme de nourriture, 3 400 sous forme d’aliment pour le bétail et 5 600 sous forme d’engrais azoté". "La dépendance du système agroalimentaire de la Réunion aux importations est donc telle que, pour chaque kilo d’azote fourni à la population sous forme de nourriture, il faut importer presque trois kilos d’azote, sous une forme ou sous une autre", précisent les chercheurs. Ce taux de dépendance, proche de 3, est particulièrement élevé : en comparaison, celui de l’île Maurice est d’1,6 et celui de Madagascar ne dépasse pas 0,4.

Les dangers d'une autonomie parfaite

Quand on part de si loin, l’autonomie alimentaire, appelée de leurs vœux par de nombreux politiques d’Outre-mer, est-elle possible ? Oui, répondent Gilles Billen et Josette Garnier, mais si les agriculteurs mettent en place une rotation des cultures avec pas ou peu de canne à sucre, si l’on nourrit les bêtes avec des productions fourragères locales et, surtout, si les Ultramarins changent leur régime alimentaire en consommant moins de viande.

Une parcelle dévastée par le passage du cyclone Chido

Reste une question : être parfaitement autonome est-il souhaitable ? Autonomie et sécurité alimentaire ne vont pas forcément de pair, surtout dans des territoires soumis à des évènements climatiques violents. La destruction des cultures à Mayotte après le passage du cyclone Chido rappelle qu’une parfaite indépendance n’est pas forcément souhaitable et qu’il faut, tout en développant la production locale, maintenir un lien avec l’extérieur pour assurer la sécurité alimentaire des Ultramarins.