CARTES. Pourquoi davantage de bébés meurent dans les Outre-mer ?

La mortalité infantile dans les départements et régions d'Outre-mer s'élevait à 8,3 pour 1.000 naissances en 2022.
La mortalité infantile en France ne fait qu'augmenter depuis 2020, avec un taux de 4,1 décès pour 1.000 naissances en 2024. Plus alarmant, ce chiffre grimpe à 8,3‰ en 2022 dans les Outre-mer.

2.716. C'est le nombre de bébés de moins d'un an qui sont décédés en France en 2024. Et derrière une souffrance et un traumatisme incalculable pour les parents si brutalement endeuillés. Au-delà des drames personnels se pose la question de la responsabilité collective. Car rapporté au nombre de naissances, le taux de mortalité infantile ne cesse d'augmenter depuis 2020.

Selon le dernier bilan démographique de l'Insee, la mortalité infantile en France – c'est-à-dire le nombre de bébés de moins d'un an qui décèdent– est passé de 3,9 pour 1.000 naissances en 2022, à 4,1‰ en 2024. Un taux qui place le pays à une triste 23e place sur les 27 États de l'Union européenne.

Toutes les données ne sont pas accessibles pour 2024, mais si l'on se concentre sur les départements et régions d'Outre-mer (DROM) en 2022, le chiffre grimpe à 8,3‰. Dans le détail, le taux cette année-là est de 4,3‰ en Guadeloupe, 9,2‰ en Martinique, 9,8‰ en Guyane, 7,0‰ à La Réunion, 10,1‰ à Mayotte (un chiffre probablement sous-estimé, précise l'Insee).

Plus de 5 bébés sur 1.000 meurent le premier mois

Ces drames se jouent dans le premier mois après la naissance, c'est ce qu'on appelle la mortalité néonatale. "Parmi ces 2.800 bébés qui perdent la vie chaque année, 70% la perdent dans les 28 premiers jours", souligne Anthony Cortes. Ce journaliste sait de quoi il parle : avec son confrère Sébastien Leurquin, ils ont enquêté pour comprendre les raisons de cette hausse de la mortalité infantile en France. Ils en ont tiré un livre intitulé 4,1 : le scandale des accouchements en France, qui vient de paraître début mars aux éditions Buchet Chastel.

Sur la mortalité néonatale, les Outre-mer se détachent là encore avec des statistiques supérieures à la moyenne. En 2022 : si elle est évaluée à 2,5‰ dans l'Hexagone, elle est de 5,3‰ dans les DROM. Dans le détail, le taux cette année-là est 3,3‰ en Guadeloupe, 8,6‰ en Martinique, 5,2‰ en Guyane, 5,0‰ à La Réunion, 5,6‰ à Mayotte (un chiffre là encore à prendre avec prudence, précise l'Insee).

La pénurie de spécialistes

Plutôt que d'opposer Outre-mer et Hexagone, Anthony Cortes préfère voir les similitudes entre DROM et des départements comme la Seine-Saint-Denis ou le Lot. Des similitudes individuelles avec "beaucoup de précarité sociale" et des femmes avec des problèmes de santé. Mais aussi des ressemblances "systémiques" avec "un secteur de la prévention qui est absolument en ruine", ou bien "le problème des établissements surchargés" et des soignants écrasés par "cadences infernales" qui finissent "par être maltraitants malgré eux".

Le journaliste note cependant des spécificités dans les maternités Outre-mer. "Le problème, relève-t-il, c'est que dans ces établissements-là, on a énormément recours aux intérimaires parce qu'il y a une pénurie généralisée de spécialistes." Des intérimaires qui "assèchent totalement les finances des établissements donc forcément cela perturbe le bon fonctionnement à moyen terme ou à long terme", analyse-t-il. Un turn-over qui "perturbe aussi les équipes" : il se réfère à un rapport de la Cour des comptes "qui explique qu'un tiers des événements graves ont lieu en présence d'un personnel non habituel".

40% des PMI fermés en 15 ans

Au-delà des maternités, Anthony Cortes pointe un état de santé "dégradé" des femmes enceintes "qui viennent d'Haïti, du Brésil, du Surinam pour accoucher" en Guyane, ou des Comores pour accoucher à Mayotte, "tout simplement parce qu'il n'y a pas eu de suivi en amont ou alors très très peu". Mayotte et la Guyane sont d'ailleurs en 2022 les deux territoires avec le taux de mortalité infantile le plus élevé, mais il existe cependant des variations plus ou moins importantes d'une année sur l'autre.

Le suivi médical et de prévention des femmes enceintes et des nouveau-nés "devrait être fait par les centres de protection maternelle et infantile" (PMI) notamment. Mais "si on prend l'exemple de Mayotte, on voit que les femmes qui ont recours à la PMI ont droit à trois consultations avant la grossesse contre six en métropole", déplore le journaliste. Des PMI dont près de la moitié (40%) a fermé en 15 ans en Outre-mer, selon lui. 

Autre explication possible à ce chiffre élevé de la mortalité infantile Outre-mer : "l'extraction instrumentale" c'est-à-dire le fait d'utiliser des instruments (forceps, spatules, ventouse…) lorsque l'accouchement naturel est difficile.

La France utilise l'extraction instrumentale deux fois plus que l'Italie, d'après le co-auteur du livre. "C'est pointé comme une des causes de cette différence entre la France et l'Italie, la France qui est 23e sur 27 au niveau européen, alors que l'Italie est dans le top 3." Et justement "en Outre-mer, on y a beaucoup plus recours qu'en métropole, donc forcément ça cause des risques de morbidité, mais aussi de mortalité", poursuit-il. 

Le registre de naissances comme solution ?

"Malheureusement, en France aujourd'hui, on n'a pas vraiment de tableau de bord pour savoir exactement pourquoi on meurt plus, regrette le journaliste. Est-ce que oui ou non, le problème ce sont les petites ou les grandes maternités ? La pénurie médicale ? Est-ce qu'il faut renforcer telle ou telle spécialité ou revoir le tout ? On a, d'une certaine façon, que des hypothèses."

Lui et Sébastien Leurquin demandent donc "en priorité de mettre en place un registre de naissance". En résumé, il s'agirait de croiser des données sociologiques, démographiques, épidémiologiques, médicales et comportementales pour comprendre les causes réelles des décès infantiles et "planifier une réponse politique à la hauteur".

"Ç'a été fait dans certains pays scandinaves et ces pays-là comme la Finlande, la Suède, sont ceux qui affichent les meilleurs indicateurs, argumente-t-il. Cela permettrait de trancher le débat et d'agir véritablement." Agir pour permettre à ces familles de vivre ce bonheur unique de voir grandir leur bébé.