Après l'abolition de l'esclavage, la vie s'est organisée. Les affranchis sont devenus citoyens français, les autres, amérindiens et marrons, étaient considérés comme des indigènes. Les règles et les lois, durent elles aussi, s'adapter à ce nouveau régime. L'interview de Serge Mam Lam Fouk historien.
Serge Mam Lam Fouck est professeur émérite à l’Université de Guyane.
Il est spécialiste de l'histoire de la Guyane. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la question. Le dernier en date "Histoire de la Guyane. Du temps des Amérindiens à la crise de mars-avril 2017", est paru chez Ibis Rouge Éditions. Un ouvrage écrit avec Apollinaire Anakesa.
Après l’abolition de l’esclavage de 1848 comment les affranchis se sont ils intégrés dans la nouvelle société qui s’offrait à eux ?
SMMF : l’abolition de l’esclavage de 1848 change le statut des personnes qui étaient assujetties à la législation sur l’esclavage. Ces personnes, qui sont désignées sous le terme de « nouveaux citoyens », ont cherché les moyens de vivre hors des habitations produisant du sucre ou du roucou, où ils ont connu le régime de l’esclavage. En dépit des règlements pris pour les maintenir sur ces habitations, la grande majorité des nouveaux citoyens les ont progressivement quittées pour vivre de la production de leurs propres abattis ; certains se sont installés dans la ville de Cayenne comme artisans, ouvriers ou commerçants.
Par quelles règles étaient-ils régis ? Avaient- ils le droit de vote par exemple ?
SMMF : dans les colonies les inégalités entre les personnes sont fondées sur les revenus et sur les appartenances « raciales ». Dans la colonie de la Guyane française, les discriminations frappent les « noirs », qu’ils soient esclaves, affranchis ou marrons, et les Amérindiens considérés par l’administration coloniale comme des « primitifs ». L’abolition de l’esclavage de 1848 change la condition de certains discriminés.
Les anciens esclaves deviennent des citoyens français, à l’égal des « blancs » et des « gens de couleur libres ». Ils sont alors régis par la législation « métropolitaine », toutefois réduite à l’exercice de certains droits. Les nouveaux citoyens disposent notamment des droits civiques (droit de vote, droit de se présenter aux élections…). Mais dans la nouvelle configuration politique et sociale de la colonie de la Guyane, n’étant pas comprises dans l’application des droits civiques à la colonie, les sociétés amérindiennes et maronnes conservent et la condition de « primitives » et la relative autonomie qu’elles connaissent dans leurs modes de vie.
Quelles ont été selon vous, les conséquences de l’esclavage et de l’abolition sur la société créole actuelle ?
SMMF : le système esclavagiste a gouverné la vie des hommes et des femmes de la colonie durant deux siècles (du milieu du 17e au milieu du 19e siècle). Y ont vécu des Français (habitants propriétaires, négociants, administrateurs, missionnaires de l’Église) des captifs africains réduits à la condition d’esclaves, des affranchis et des marrons. C’est dans ce contexte politique et culturel que se sont construites les cultures créole et bushinenge ; c’est dans ce contexte que se sont adaptées les cultures amérindiennes.
Dans la société contemporaine de la Guyane, on peut repérer tant sur le plan politique, économique que culturel, les traces laissées par la vie des hommes et des femmes du temps de l’esclavage, et du temps post-esclavagiste (ce dernier étant marqué notamment par l’acte politique de l’abolition et par l’expansion de l’exploitation de gisements d’or).
Sur le plan politique, par exemple, le couplage, dans le même acte, de l’abolition de l’esclavage et de la généralisation de la citoyenneté française à toute la population issue de l’espace social des habitations, a conduit à la revendication de la départementalisation, adoptée par l’Assemblée nationale en 1946. La distribution géographique de la plupart des agglomérations de la Guyane d’aujourd’hui, ainsi que l’extension des pratiques agricoles amérindiennes (l’abattis) à toute la population de la colonie datent de ces temps-là. La culture musicale créole avec ses danses au tambour et aux instruments à corde et à vent, ainsi que son carnaval sont redevables à ces époques-là. Parmi les constructions de ces temps-là, on peut également compter la création des nouvelles sociétés bushinenge dans la vallée du Maroni, avec l’invention de religions, de langues, d’une architecture, d’expressions artistiques, et plus généralement d’une manière de penser le monde.
Il est spécialiste de l'histoire de la Guyane. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la question. Le dernier en date "Histoire de la Guyane. Du temps des Amérindiens à la crise de mars-avril 2017", est paru chez Ibis Rouge Éditions. Un ouvrage écrit avec Apollinaire Anakesa.
Après l’abolition de l’esclavage de 1848 comment les affranchis se sont ils intégrés dans la nouvelle société qui s’offrait à eux ?
SMMF : l’abolition de l’esclavage de 1848 change le statut des personnes qui étaient assujetties à la législation sur l’esclavage. Ces personnes, qui sont désignées sous le terme de « nouveaux citoyens », ont cherché les moyens de vivre hors des habitations produisant du sucre ou du roucou, où ils ont connu le régime de l’esclavage. En dépit des règlements pris pour les maintenir sur ces habitations, la grande majorité des nouveaux citoyens les ont progressivement quittées pour vivre de la production de leurs propres abattis ; certains se sont installés dans la ville de Cayenne comme artisans, ouvriers ou commerçants.
Par quelles règles étaient-ils régis ? Avaient- ils le droit de vote par exemple ?
SMMF : dans les colonies les inégalités entre les personnes sont fondées sur les revenus et sur les appartenances « raciales ». Dans la colonie de la Guyane française, les discriminations frappent les « noirs », qu’ils soient esclaves, affranchis ou marrons, et les Amérindiens considérés par l’administration coloniale comme des « primitifs ». L’abolition de l’esclavage de 1848 change la condition de certains discriminés.
Les anciens esclaves deviennent des citoyens français, à l’égal des « blancs » et des « gens de couleur libres ». Ils sont alors régis par la législation « métropolitaine », toutefois réduite à l’exercice de certains droits. Les nouveaux citoyens disposent notamment des droits civiques (droit de vote, droit de se présenter aux élections…). Mais dans la nouvelle configuration politique et sociale de la colonie de la Guyane, n’étant pas comprises dans l’application des droits civiques à la colonie, les sociétés amérindiennes et maronnes conservent et la condition de « primitives » et la relative autonomie qu’elles connaissent dans leurs modes de vie.
Quelles ont été selon vous, les conséquences de l’esclavage et de l’abolition sur la société créole actuelle ?
SMMF : le système esclavagiste a gouverné la vie des hommes et des femmes de la colonie durant deux siècles (du milieu du 17e au milieu du 19e siècle). Y ont vécu des Français (habitants propriétaires, négociants, administrateurs, missionnaires de l’Église) des captifs africains réduits à la condition d’esclaves, des affranchis et des marrons. C’est dans ce contexte politique et culturel que se sont construites les cultures créole et bushinenge ; c’est dans ce contexte que se sont adaptées les cultures amérindiennes.
Dans la société contemporaine de la Guyane, on peut repérer tant sur le plan politique, économique que culturel, les traces laissées par la vie des hommes et des femmes du temps de l’esclavage, et du temps post-esclavagiste (ce dernier étant marqué notamment par l’acte politique de l’abolition et par l’expansion de l’exploitation de gisements d’or).
Sur le plan politique, par exemple, le couplage, dans le même acte, de l’abolition de l’esclavage et de la généralisation de la citoyenneté française à toute la population issue de l’espace social des habitations, a conduit à la revendication de la départementalisation, adoptée par l’Assemblée nationale en 1946. La distribution géographique de la plupart des agglomérations de la Guyane d’aujourd’hui, ainsi que l’extension des pratiques agricoles amérindiennes (l’abattis) à toute la population de la colonie datent de ces temps-là. La culture musicale créole avec ses danses au tambour et aux instruments à corde et à vent, ainsi que son carnaval sont redevables à ces époques-là. Parmi les constructions de ces temps-là, on peut également compter la création des nouvelles sociétés bushinenge dans la vallée du Maroni, avec l’invention de religions, de langues, d’une architecture, d’expressions artistiques, et plus généralement d’une manière de penser le monde.