Marie-George Thebia n’est pas forcément là où on l’attendait et crée la surprise avec son livre « Âmes Tembé ». L'auteure avait expliqué sur les ondes, lors d’une interview en 2021, vouloir publier un roman coup de poing. « … Il y a des choses qui me heurtent, me touchent et sur lesquelles je me sens obligée d’écrire, c’est un devoir viscéral ».
C’est fait ! Le projet aura mis une dizaine d’années à voir le jour.
Coup de poing, coup de massue, coup pied dans la fourmilière, des non-dits révélés au grand jour. Verdeur de langage, écriture hachée, violente, stridulante. Nervosité de l’intrigue, efficace et sans fioriture, pour mieux valoriser une atmosphère pesante, lourde, âpre, violente.
Ce roman se lit très vite. Le lecteur est happé par l’intrigue, qui l’amène, chapitre après chapitre, de personnage en personnage, de surprise en surprise, de tableau en tableau. Il avance progressivement en pleine forêt amazonienne où se situe le dénouement de cette fiction.
Maripasoula, point d'orgue des indignités
Quel point commun entre une jeune professeure créole issue de la banlieue parisienne, un aristocrate, désabusé, rongé par le remords, en quête d’une aventure expiatoire, un jeune homosexuel décomplexé, un impitoyable orpailleur bushinengué à la tête d’un empire mafieux, une métisse brésilienne prostituée, sans foi ni loi, juchée sur son quad, et un gendarme cocu, raciste et alcoolique ? Quelle fièvre sylvestre les habite tous ?
L’autrice convoque tous ses protagonistes dans l’intérieur de la Guyane à Maripasoula, point d’orgue de toutes les indignités qu’elle entend dénoncer.
« Âmes Tembé » est une fiction, certes, mais remplie de quelques vérités, de situations scandaleuses vécues en Guyane. Marie-George Thebia les appelle des indignités :
« Je prends position sur ce que j’appelle les indignités qui m’exaspèrent en Guyane. Une situation que tout le monde connaît sur certains faits comme l’orpaillage, le décalage entre l’enseignement sur le littoral et celui qui n’est pas du tout adapté aux enfants amérindiens et bushinengué, un vrai fossé culturel. Un décalage entre une histoire orale ancestrale et des connaissances hors de propos. La pédophilie, le poids des évangélistes … Il y a dans ce livre un certain nombre d’engagements sibyllins. »
L’auteure mature ses réflexions depuis 2011 et revendique un long travail de documentation préalable . Elle a scénarisé son récit en faisant de ses protagonistes les porte-paroles de ces fameuses indignités. Les personnages sont à la fois attachants ou repoussants jamais neutres, chacun portant son fardeau secret et rêvant de rédemption.
« J’aspirais à ne pas être lisse, à sortir de ma zone de confort, à sortir des sentiers battus. Tout ce que je dis est vrai… Par exemple, je me suis beaucoup documentée sur la cosmogonie des bushinengue dont ils n’ont presque rien perdu, dans leurs manières de faire, de vivre, le lignage par la mère, les cérémonies du deuil… »
Et dans cette sorte de « drama » qui se joue dans la forêt, l’auteure donne vie à des personnages plus vrais que nature. Autant d’occasions d’évoquer, l’orpaillage, la drogue, la prostitution, la pédophilie, l’inceste, le racisme ou encore les failles de l'éducation nationale.
L’auteure souligne que les tembé qui illustrent la couverture du roman ont une symbolique. « Les couleurs sont des métaphores, les vies qui s’entremêlent. On ne sait pas trop où elles vont mais à un moment donné, elles se croisent.»
Écrire « Âmes Tembé » paru aux Editions Feed back, était une gageure pour l’auteure. Réconciliée avec elle-même, Marie-George Thebia se sent apaisée et dans l’attente du retour des lecteurs.