La pensée de Mirtho Linguet est fulgurante, clairvoyante. Il a choisi la photographie comme langage, la photographie artistique, pour étayer son propos. Son œil de photographe écrit une histoire, restitue une réalité visible et invisible. Un voyage dans plusieurs dimensions, dans lequel il appelle à un réveil collectif. Sa nouvelle exposition intitulée "Le fruit d’un arrangement tragique" en est une nouvelle fois la démonstration. Une exposition tiroirs qui illustre une pensée en 3D née lors d'une nuit tropicale, si bien décrite par Edouard Glissant dans "Les hommes livres". Une création composée de deux séries de clichés : "Mèt bwa" à partir de la mythologie guyanaise et la série "Structures" inspirée des constructions industrielles. Deux réalités qui fusionnent dans le regard du photographe.
Ce titre, "Le fruit d’un arrangement tragique", il faut comprendre qu’initialement, ce projet s’appuie sur des expositions précédentes, notamment Black Dolls qui partaient d’une problématique. Dans cette problématique, j’ai considéré une situation, celle de l’arrangement tragique résidant dans les relations qu’entretiennent certaines personnes. Quand il a fallu réaliser cette exposition, en plus des images qui font partie des séries précédentes Flora et Mental-Cide, durant la résidence j’ai proposé au directeur artistique de réaliser un travail qui s’appuierait sur une idée de légendes par rapport au personnage de Mèt Bwa. Cela remet en question les notions de représentation que nous avons parfois et qui nous sont imposées. Lorsque vous êtes dans un rapport de force et que vous ne souhaitez pas être dans ce rapport de force, cela devient un arrangement tragique. Donc il y a une réalité structurelle, une réalité économique, une réalité sociétale et ce travail prend son sens dans sa construction au travers de cette réalité que j’observe au quotidien. Il est notamment plus défini dans la série Structure où je mets en avant des éléments pris à la base spatiale ou encore à Petit Saut. Je questionne de la pertinence de ces structures dans cet environnement qu’est la Guyane et de leur apport réel. Le fruit de l’arrangement tragique, c’est d'abord une métaphore.
Un travail en trompe l'oeil
"Le fruit d’un arrangement tragique", a lancé la 7e édition des Rencontres photographiques. Il a fallu trois mois à Mirtho Linguet pour concevoir cette exposition, après une résidence artistique. L’exposition présente une vingtaine de photographies. Le photographe a beaucoup travaillé la lumière, les couleurs et la scénographie. De cette exposition se dégage une atmosphère entre clair et obscur, flous et ombres, formes généreuses et corps sculptés. Les photographies sont sombres, les expressions des personnages sont soutenues, figées, absentes.
Mon travail a cette particularité que malgré le fait que j’utilise beaucoup la lumière et les couleurs, il est considéré comme relativement sombre. Je me dis que finalement, je retransmets une autre réalité. Nous évoluons dans un monde où tout va bien, où tout est parfait, où nous n’avons pas à nous plaindre alors qu’en réalité nous sommes des personnages qui évoluent dans des limbes et dans ces limbes il n’y a ni haut, ni bas, ni est, ni ouest, nous sommes dans un espace sans sens dont les limites sont l’obscurité. Il ne nous est pas autorisé à accéder à la connaissance en dépit des apparences. Ces personnages sont issus d’un ouvrage de Michel Lohier Contes et légendes de la Guyane. Je me suis dis que cela valait la peine de questionner sur les rapports et mythes sur la légende que nous avons en Guyane compte tenu de ce qui nous était enseigné. Si on fait part de Zeus et Poséidon nous allons trouver cela fascinant mais dès lors que nous abordons par exemple les Mèt Bwa, nous allons trouver cela très mystique, voire maléfique alors qu’il ne s’agit pas de cela du tout. J’essaie de démystifier ce rapport à l’autre car quelque part c’est cette idée qui nous est proposée. Il est temps de prendre nos propres concepts et d’y adhérer.
Mirtho Linguet a choisi la photographie d'art pour communiquer en explorant son potentiel créatif. Ces photos d'art d'exception présentent un attrait esthétique et un intérêt visuel, leur composition est irréprochable et leur engagement conceptuel avéré. A chacun en regardant ces photographies, de comprendre sa pensée, forcément magique.
L’exposition se déroule au Fort Diamant.
Pour visiter : du mardi au samedi de 9h à 17h
0594 39 19 11
Qui est Mirtho Linguet ?
Depuis plus de quinze ans, le photographe guyanais Mirtho Linguet interroge la nature des représentations des corps et des paysages, notamment sur le continent sud-américain et plus particulièrement en Guyane. Fort de son expérience de photographe au sein de l’industrie de la mode – il travaille sept ans à Zurich pour des magazines à grands tirages – il subvertit justement ces codes afin de déplacer, voire d’inquiéter, notre rapport aux images.
Depuis 2010 Mirtho Linguet a participé à des expositions collectives importantes à Paris, notamment OMA à l'Orangerie du Sénat au jardin du Luxembourg, à la Fondation Clément en Martinique,au Mémorial ACTe en Guadeloupe lors de l'exposition Le modèle Noir de Géricault à Picasso, Miami au Dorcam Museum pour l'exposition Mother I See Myself In Your Eyes, au Festival du Tout Monde Hétéronomie, ou encore à Washington avec les Poupées Noires/Flora/Mental-Cide à la Galerie Anacostia. Il a aussi remporté le premier prix de l'édition 2021 de la Washington Photoweek dans la catégorie Fine Art.
sources : Rencontres photographiques