Saint-Laurent du Maroni, la ville frontalière avec le Surinam est devenue depuis quelques années l’un des lieux de recrutements des trafiquants de cocaïne. Les mules guyanaises!
Un phénomène en pleine explosion dans l’ouest du territoire guyanais. Saint-Laurent du Maroni a toujours été un lieu de trafic : trafic d’essence, de cigarettes, de denrées alimentaires et de cocaïne, aujourd’hui, à grande échelle. De l’autre côté des rives du Maroni, à quelques minutes en pirogue, le Surinam et son business de la poudre blanche achetée 10 fois moins chère que dans l’hexagone.
La plupart des habitants de Saint-Laurent du Maroni vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Des mules originaires dans leur grande majorité de l'ouest guyanais
Saint-Laurent lieu de recrutement des trafiquants
Dans le quartier de la charbonnière, nous rencontrons Mme Aquila.
Devant sa maison, elle coud ses panguis et vends des sirops de fruits et de légumes aux gens du quartier. Une belle et grande dame de 56 ans née à Grand Santi qui, en 2012, a vu sa vie basculer.
Arrêtée à l’aéroport Félix Eboue avec plusieurs kilos de cocaïne, elle fera 23 mois de prison, perdant en partie la garde de ses enfants et devant payer une lourde amende douanière pour trafic de drogue.
J’étais fauchée, je voulais retaper ma maison et je pensais que j’allais avoir une aide. C’était plus fort que moi ! Je me suis fait arrêter à l’aéroport et j'ai été incarcérée pendant 23 mois... J’ai des enfants qui sont placés et ça me fait honte. J’ai élevé mes enfants, je disais à mes enfants de ne pas toucher à la drogue et c’est moi qui ai touché.
Les passeurs tentent par tous les moyens d’acheminer la cocaïne dans l’hexagone. Et très souvent les mules l’ingèrent espérant ainsi pouvoir passer à travers les contrôles des douaniers.
En 2018, 500 mules ont été arrêtées en Guyane, essentiellement à l’aéroport Félix Eboue et quasiment autant à l’aéroport d’Orly où 60% des saisies de cocaïne proviennent de la Guyane.
L'APAMEG accompagne les prévenus avant leur jugement
L'association submergée par les dossiers de mules
Le phénomène des mules a pris une telle ampleur dans l’ouest guyanais que le parquet de Cayenne a du s’adapter et ouvrir des audiences spéciales mules.
Depuis quelques années, suivre les mules avant leurs jugements est devenue l’essentiel de l’activité de l’Apameg (Association pour la Protection et l’Accompagnement de la Mère et de l’Enfant en Guyane) de Saint-Laurent précise la coordinatrice Sandrine Louiset :
Aujourd’hui, on peut parler d’hémorragie parce que toutes les couches de la société sont concernées, que ce soit les jeunes, les moins jeunes, les gens qui sont en situation d’emploi comme les gens sans emploi. C’est un phénomène qui a augmenté
La majorité des Saint-Laurentais vivent en dessous du seuil de pauvreté
Etre mule à Saint-Laurent du Maroni est presque devenu un moyen comme un autre d’obtenir de l’argent facile. Beaucoup d’arrestations mais qu’en est-il de la prévention ?
Le contexte économique facilite le passage à l’acte. Les familles vivent des prestations sociales et la commune doit faire face à une pression démographique spectaculaire qui ne cesse d’augmenter.
Depuis 25 ans, la ville de Saint-Laurent du Maroni a connu une progression de 392 % d’élèves en plus. Aujourd’hui un tiers de la population de la commune va à l’école. Difficile dans ces conditions de mettre en place des actions de prévention ou de formation, tant il y a déjà à faire pour combler l’urgence explique Sophie Charles, maire de Saint-Laurent :
Les jeunes lorsqu’ils sortent de l’école et arrivent à avoir leurs diplômes, ils pourraient poursuivre mais tous ne peuvent pas se rendre à Cayenne ou ailleurs car les parents n’ont pas les moyens et beaucoup de familles de Saint Laurent du Maroni vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Trouver du travail mission quasi impossible
Des diplômes et pas de travail
La mission locale est l’un des rares organismes de Saint-Laurent du Maroni à pouvoir aider les jeunes à trouver un emploi ou une formation. Et là encore beaucoup de difficultés. Ils ont tous entre 16 et 25 ans. Certains sans aucun diplôme, d’autres ont un CAP ou le baccalauréat mais pour tous trouver un travail reste ici mission quasi impossible. C'est le cas de Roberto :
... j’ai deux diplômes, deux CAP, un CAP agricole et un CAP entretien espaces verts et je ne trouve pas de travail, c’est très difficile
Au delà des arrestations et des emprisonnements, l’explosion du nombre de mules a de lourdes conséquences pour l'ouest guyanais.
Dans les écoles de Saint Laurent du Maroni, pas de programmes particuliers sur le phénomène des mules qui touche pourtant de nombreux collégiens et lycéens de la ville de l’ouest guyanais.
Le sujet reste encore très souvent confidentiel dans la société guyanaise et tabou dans de nombreuses familles.
Des associations se mobilisent pour tenter de trouver des solutions avant le passage à l’acte mais les actions sont encore peu développées et semblent ne pas faire écho auprès des jeunes.
Peu de prévention, un chômage persistant et pas de perspectives de formation ou d'emploi conduisent de nombreux jeunes et moins jeunes à tenter le voyage vers la métropole en convoyant quelques kilos de cocaïne dans l’espoir de passer à travers les contrôles des douanes et de gagner quelques milliers d’euros.
Et quand, de retour au pays, les grands frères, les grandes sœurs, les mères et les grands-mères arborent les richesses du voyage, les repères éclatent au sein des familles et des communautés, tel un cancer au sein de la société guyanaise, sans aujourd’hui, de traitement pour en guérir.
Les journalistes Jocelyne Helgouach et Yves Robin ont mené l'enquête à Saint-Laurent du Maroni sur le phénomène des mules. C'est un documentaire qui sera diffusé ce mercredi 27 Mars à 20h sur Guyane la 1ère tv.