Condamnation de Léon Bertrand : les motivations de la cour d’appel de Basse Terre

Léon Bertrand invité du Guyane soir
La Cour d’appel de Guadeloupe a condamné Léon Bertrand, maire de Saint Laurent du Maroni et président de la CCOG, à 3 ans de prison ferme avec mandat de dépôt, 80 000 euros d’amende et 3 ans de privation de ses droits civiques pour corruption passive et favoritisme. Pourquoi?
Dans l’arrêt de la cour d’appel du 7 mars concernant les peines de Léon Bertrand, les juges reviennent d’abord sur les grands principes du droit dans le domaine de l’attribution des marchés publics. L’affaire repose en effet sur l’attribution illégale de marchés par la Communauté de Communes de l’Ouest Guyanais (CCOG), en échange de pots de vins versés à des collaborateurs de Léon Bertrand. En juillet 2016, la cour de cassation a rendu définitive la culpabilité de Léon Bertrand et Augustin To-Sah Be-Nza - ex-directeur des services de la CCOG - pour « corruption passive » et « favoritisme », sur une période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2004. La juridiction parisienne a  renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Basse Terre sur la seule question des peines.  Dans l’arrêt du 7 mars 2017, les juges indiquent : « En dépit des difficultés d’exercice de la commande publique inhérentes aux spécificités locales, géographiques, économiques et culturelles particulières de la Guyane, les élus et les chargés de mission du service public se doivent de respecter les trois grands principes à valeur constitutionnelle : liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement, transparence des procédures » d’attribution des marchés publics.

« Devoir de probité » et « gravité des faits »

Les juges rappellent ensuite le « devoir de probité », autrement dit d’honnêteté de l’élu – ici Léon Bertrand - qui exerce ou a exercé de nombreux mandats et fonctions : ministre du tourisme de 2002 à 2007 sous la présidence de Jacques Chirac, maire de Saint Laurent depuis 1983, président de la CCOG depuis 2001, député de Guyane de 1988 à 2002, conseiller régional de 1983 à 2004. Selon les magistrats, « M. Léon Bertrand avec le concours étroit de M.Augustin To-Sah Be-Nza a failli à son devoir de probité lié à ses fonctions. Compte tenu de la gravité des faits commis par le prévenu qui a successivement exercé des fonctions électives et ministérielles auxquelles doit répondre la confiance des administrés, il est justifié de prononcer à son encontre une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée de trois ans, toute mesure d’aménagement étant exclue eu égard au quantum de la peine, toute autre peine que l’emprisonnement étant manifestement inadéquate ». L’arrêt ajoute aussi que « Le nombre réduit d’entreprises en mesure de réaliser les marchés de la CCOG les plaçaient en situation de vulnérabilité à l’égard des exigences des décideurs publics ».

« Revenus mensuels estimés à 15 000 euros »

Sur la question de l’amende infligée au prévenu, les juges précisent : « M Léon Bertrand est aussi condamné au paiement d’une amende de 80 000 euros qui n’est pas disproportionnée au regard de ses revenus mensuels estimés à 15 000 euros, à la consistance de son patrimoine et à l’importance de son train de vie ». Enfin, poursuivent les magistrats, « c’est à juste titre que les premiers juges ont prononcé une peine complémentaire de privation des droits civils, civiques et de famille à l’encontre de M. Bertrand pour une durée de trois ans au regard de la gravité des faits, de leur constance et de l’imminence des fonctions successives de parlementaires et de ministre remplies par le prévenu ».

Léon Bertrand va-t-il aller en prison ?

Pour conclure les motivations des peines, les juges indiquent : « Afin de garantir l’effectivité de la peine prononcée, il convient de prononcer un mandat de dépôt à l’encontre de Léon Bertrand ». Le mandat de dépôt est l’ordre donné par un juge au directeur d’une prison de recevoir ou de maintenir en détention une personne condamnée à la prison ferme (article 122 du code de procédure pénale). En théorie, il rend donc applicable immédiatement la peine de prison. En l’espèce, Léon Bertrand n’était pas présent mardi à Basse Terre au moment de l’annonce du jugement. Selon un substitut du parquet général de la cour d’appel de Basse Terre, ce mandat de dépôt reste « exécutoire », même si le parquet général peut décider de ne pas l’exécuter. Cette décision incombe à Madame le procureur général de la cour d’appel de Basse Terre, qui jusqu’à présent n’a pas répondu à nos sollicitations.
Contacté ce jeudi à Paris, l’avocat de Léon Bertrand, maître Alexandre Varaut, indique qu’il a déposé ce jour le pourvoi en cassation de son client. Selon le parquet général de Basse Terre, un tel pourvoi (sur la question des peines, la culpabilité étant déjà actée) ne suspendra pas l’exécution de ce mandat de dépôt. Ainsi, l’article 465 du code de procédure pénale relatif aux mandats de dépôt et d’arrêt, précise qu’« en toutes circonstances, les mandats décernés continuent à produire leur effet, nonobstant le pourvoi en cassation ». En Guyane, le procureur général de la cour d’appel de Cayenne a une analyse différente : selon Jean-Frédéric Lamouroux, « s’il y a un pourvoi en cassation, il suspendra l’exécution de la peine » y compris l’exécution du mandat de dépôt. Dans ce cas, il n’y aurait pas de retour en prison pour l’ancien ministre du tourisme, en tout cas pas avant un nouvel arrêt de la cour de cassation dans cette affaire. 
De son côté, maître Alexandre Varaut se montre très surpris par le mandat de dépôt dans ce dossier, avant l’épuisement des voies de recours : « En 27 ans de pratique du droit pénal, je n’ai jamais vu ça ». Cela dit, le juriste partage l’analyse du parquet général de Basse Terre : en droit, le pourvoi en cassation ne suspend pas le mandat de dépôt, dont l’exécution dépend maintenant du parquet général de Basse Terre, en lien avec le parquet général de Cayenne.