Alors que les invités arrivent au compte-goutte, dans la cuisine du Shojo, restaurant de sushis à l’entrée de Rémire-Montjoly, le chef, Pholtehep Narasri façonne des nigiris. Le geste est précis et rapide. À première vue, rien ne diffère de ce qu’il fait d’habitude. Pourtant, ce qu’il prépare est la raison pour laquelle le restaurant a été privatisé ce soir-là : entre ses mains expertes, le chef du Shojo prépare du thon pêché la veille dans les eaux guyanaises. Une première.
Un projet imaginé en 2019
Retour en arrière. Il y a quelques mois, la société Antoine Abchée et fils a démarré les démarches pour obtenir les autorisations de pêche aux grands pélagiques : thon, espadon, marlin, dorade... Début novembre, la première campagne d’exploration a démarré. Gaby Abchée, est le président du groupe Abchée qui regroupe trois sociétés, une d’armateur et deux de transformation des produits de la mer. « Pour nous, il y a deux axes importants. Il y a le développement économique mais aussi la souveraineté alimentaire. Nous avons lancé ce projet en 2019 mais avons dû le mettre dans les cartons le temps du Covid. Puis, il y a eu le calendrier administratif, les tentatives, les consultants… Nous savions qu’il y avait du thon en Guyane, mais nous n’avions pas encore exploré les zones. »
Demandes d’autorisations
Après avoir transformé un de ses crevettiers en palangrier et obtenu les autorisations d’exploration, la campagne a permis trois sorties en mer. À bord, un observateur de fishingcleaner.com chargé de collecter le maximum de données. Ces informations seront précieuses pour obtenir les autorisations de pêche pour ces poissons soumis à quota. « On sait que la ressource est là, affirme Gaby Abchée. Nous ferons les demandes en 2025. » À terme, le projet pourrait se concrétiser dans un laps de temps entre deux et cinq ans.
La question de la formation
Dans l’intervalle, les questions de formation sont déjà à l’étude. Dans cette optique, des élèves du CAP maritime, dispensé depuis le mois de septembre à Matiti, ont été conviés lors du dernier débarquement au Port du Larivot. Autre thématique qui mène déjà à réflexion : la rationalisation des moyens. « On peut imaginer, avance Gaby Abchée, utiliser le même bateau pour la pêche à la crevette en saison des pluies et le modifier pour la pêche aux grands pélagiques le reste du temps, en fonction de ce qu’on va apprendre sur les migrations de ces espèces. »
Fierté de préparer du thon guyanais
Pour Johnny Chan, propriétaire du Shojo, qui recevait, la perspective de se fournir localement est réjouissante. « Le poisson sera plus frais, sa chair sera alors plus ferme et plus goûteuse. Au niveau traçabilité, ce sera plus direct, au niveau du prix aussi ce sera plus intéressant parce qu’aujourd’hui, le prix du poisson que nous importons est deux fois et demie plus élevé que ce qu’on pourrait avoir en local. » Au-delà de ces considérations, on sent chez le restaurateur une fierté à peine voilée de proposer dans son établissement un poisson pêché dans les eaux guyanaises.
Verdict dans l’assiette…
Cette fierté, elle se lit également sur le visage des convives, même de ceux qui avouent ne pas être fans de poisson, lorsqu’arrivent les premiers plats. Au beignet de loubine au combava, succède un tataki de thon particulièrement goûteux. Après ces premières préparations cuites ou mi-cuites, arrivent les tartares, sashimis, nigiris et makis réalisés avec le voilier et le thon albacore pêchés la veille. Le premier, à la chair plus rosée, le second d’un beau rouge intense. Verdict sans appel : on en redemande.