[DOSSIER] Santé mentale : le témoignage bouleversant d'Emmanuel Hidair dont le fils Miguel a choisi de vivre dans la rue

Santé mentale chez les jeunes (image d'illustration)
La santé mentale est un enjeu de santé publique. En Guyane, une récente étude menée par le centre collaborateur de l’OMS, alertait sur la fragilité des jeunes exposés aux problèmes de santé mentale. Un problème rémanent, tabou parfois, qui désespère familles et proches. C’est le cas d’Emmanuel Hidair. Il a décidé de se servir de sa notoriété pour évoquer son fils Miguel, atteint de troubles psychologiques.

Emmanuel Hidair lance un cri du cœur. Emmanuel Hidair, personnalité du monde des arts et du spectacle, sombre dans de profonds tourments. Son fils Miguel, âgé de 21 ans, depuis quatre semaines erre dans les rues et surtout, refuse de prendre ses médicaments. Des soins lourds, régulateurs de l’humeur, qui le laissent exhangue.

Miguel, le dernier de la fratrie, étudiant à la Sorbonne, informaticien dans la Marine Nationale, un jour a craqué nerveusement. Il n’est plus jamais revenu, d’un univers connu de lui seul. Un enfer, pour Emmanuel Hidair.

Emmanuel Hidair

Mon fils après son bac a voulu faire des grandes études, il s’est inscrit à la Sorbonne, tout allait bien et rien ne laissait présager ce qui s’est passé par la suite. Un jour, les ambulances l’ont récupéré errant dans les rues de Paris et il a été amené à l’hôpital Saint-Anne. Il a été mis sous médicaments et depuis il n’est plus le même. Il est lent, a du mal à s’exprimer. Nous l’avons fait revenir en Guyane et nous l’avons hospitalisé. Il a été mis sous traitement, il l’acceptait très très bien. Entre-temps il est reparti en Métropole ou il s’est engagé dans l’armée. Je l’ai rejoint quelques semaines, il travaillait avec les gendarmes à l’aéroport et puis il a été engagé dans la Marine. Un jour, il m’a envoyé un texto pour me dire que les gens étaient racistes. J’ai eu à nouveau de ses nouvelles quand j’ai appris qu’il était hospitalisé. Ils l’ont transféré peu après en Guyane. Voilà 9 mois qu’il est revenu, il n’est plus le même. Il est resté un temps à la maison et la situation a empiré. Depuis 4 semaines, il erre et vit dans les rues. Il ne fume pas, ne se drogue pas, ne boit pas. J’ai du mal à le récupérer car il ne m’écoute pas, il ne veut pas me suivre. J’ai tenté de faire venir l’ambulance et le régulateur. Il est tantôt à Rémire, tantôt à Matoury. Les pompiers arrivent et il part en courant. Quand ils arrivent à l’attraper, ils prennent sa température, on le fait parler, il passe sous régulateur. Ce n’est pas une urgence. J’aurais souhaité qu’il reprenne ses médicaments. J’ai tenté de le faire hospitaliser, mais rien n’aboutit. Quand je l’amène, il s’enfuit. Je veux qu’il soit accompagné, Actuellement, je dors avec mon fils dans les rues, dans ma voiture. Ce n’est pas possible que cela continue de cette façon-là. Je suis dans le dénuement le plus total. Je ne sais plus vers qui me tourner.  

Emmanuel Hidair

Des jeunes plus exposés en Guyane

En 2022, une récente étude menée par le centre collaborateur de l’OMS, mettait en lumière la santé mentale en Guyane : 4 adultes sur 10 (soit 36,9% des personnes interrogées) présentent au moins un trouble psychiatrique ou psychique. Ce chiffre est plus élevé que celui observé en Hexagone, ce dernier étant de 31.9%.

Les risques suicidaires sont plus forts en Guyane. Et pour cause, les troubles dépressifs sont plus fréquents sur notre territoire. 24% des personnes interrogées ont dit avoir traversé un épisode dépressif déclenché par des événements de la vie, par une histoire sentimentale ou par le travail.

Les jeunes semblent plus exposés que leurs aînés à ces problèmes de santé mentale. C'est, en tout cas, ce que révèlent les déclarations récoltées. 48% des personnes âgées de 18 à 29 ans ont dit avoir repéré au moins un trouble chez elles. Chez les jeunes, les troubles les plus fréquents sont ceux liés à l'anxiété et ceux de l’humeur. Ils peuvent également se présenter simultanément.


Ecoute et consentement
 

Image illustration

Déscolarisation, fugues, colère, Emmanuel Hidair vit "l'enfer" avec Miguel un jeune adulte, "adorable" aux grands yeux verts, mais aux démons dévorants. Le père de famille s'adresse à son généraliste, aux psychiatres, à d'autres thérapeutes...Un parcours épuisant. "Il faut chaque fois raconter la même histoire, trouver le bon interlocuteur, se battre pour obtenir une place", confie-t-il épuisé.

Le dialogue, et surtout le consentement du patient, sont nécessaires.

Nadine Grandbois psychologue au CHC

Je m’occupe effectivement des problèmes de santé mentale avec des adultes et des jeunes adultes. C’est plus facile quand ils sont partie prenante du soin, lorsqu’ils comprennent qu’ils ne sont pas en capacité d’y arriver seuls. Ils acceptent d’être accompagnés par l’un des proches en Centre médico-psychologique pour bénéficier de soins ambulatoires (non hospitalisés), ils viennent en consultation, tout simplement. C’est surtout un travail d’écoute, nous garantissons la confidentialité des propos. Le seul moment où on peut lever la confidentialité, c’est quand il y a une mise en danger de sa vie ou de la vie autrui. Par exemple, si un jeune a des pensées suicidaires dans l’immédiateté et qu’il est sur le point de passer à l’acte. Avant cela, on fait en sorte de le protéger, c’est parfois une forme de négociation, afin qu’il puisse exprimer sa souffrance, qu’il pense à d’autres choix que celle-ci. Nous pouvons aller à l’hospitalisation forcé. Heureusement dans la majorité des cas, on ne va pas jusque-là car la souffrance est à intensité variable et souvent les personnes elles nous  interpellent bien avant d’arriver à ce point de non-retour. Nous avons un travail d’accompagnement, d’écoute avec des entretiens réguliers sur une période courte moyenne ou longue. (...)Il y a des mesures certes d’hospitalisation sous contrainte, mais il faut que la personne refuse mais pas seulement, car il faut toujours chercher le consentement, la législation nous l’impose. (…). On travaille beaucoup avec les proches jusqu’à ce que la personne entende raison et qu’elle accepte de se faire accompagner. C’est souvent un travail de longue haleine. Il arrive des cas d’hospitalisation sous contrainte, quand la personne est susceptible de se mettre en danger ou mettre en danger autrui.

Nadine Grandbois psychologue au Centre hospitalier de Cayenne

 

La santé mentale constitue un enjeu de santé publique. La Convention internationale des droits de l’enfant souligne le droit de « jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux », rappelant l’obligation pour l’Etat d’assurer « qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à des services de santé efficaces ». Sans prévention ni prise en charge spécifique, certaines pathologies peuvent se transformer en handicap lourd.

Cela n’arrive pas qu’aux autres. Pour Emmanuel aujourd’hui, en désespérance, l’essentiel est d’aider son fils à guérir. Il se sent démuni certes, mais il est prêt à tout pour être entendu. Un cri du cœur, d’autant plus déchirant, qu’il est professeur des écoles. Au quotidien, il côtoie des jeunes souvent en déshérence ayant simplement besoin d’une main tendue, avant qu'il ne soit trop tard.