Une vertèbre qui raconte des milliers d’années. Au gré des coups de lance à eau d’un orpailleur clandestin venu creuser une fosse dans un gisement d’or alluvionnaire, les fossiles d’un paresseux géant ont été extirpés de la terre boueuse d'Atouka, près du bourg de Maripasoula.
Une vertèbre a été le premier morceau du squelette extrait en janvier dernier. Du jamais vu pour le plateau des Guyanes qui inscrit son nom dans l’histoire de la paléontologie mondiale.
Une fenêtre unique vers le passé
Un gros os expédié par le Parc Amazonien de Guyane à l’université de Montpellier à l’attention de Pierre-Olivier Antoine, un paléontologue de renommée internationale engagé dans un programme de recherche sur l’émergence de la biodiversité en Amazonie réunissant des scientifiques du monde entier.
« C’est la première fois qu’un fossile est découvert sur le plateau des Guyanes. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’il s’agisse d’un parent lointain d’une espèce aujourd’hui emblématique du territoire. C'est une fenêtre qui s’ouvre vers le passé, il y a 20 à 30 000 ans. C’est le témoignage la dernière période durant laquelle il n’y avait pas encore d’occupation humaine en Guyane. Cela nous donne un aperçu de l’environnement et de l'écosystème du territoire avant que l’homme ne vienne s’y implanter »
Très vite, l’espèce est identifiée : un paresseux géant ou Eremotherium laurillardi. Un mammifère dont la race s’est éteinte il y a 12 000 ans et qui est connu des scientifiques depuis 179 ans.
Cette découverte fortuite a déclenché une mission d’exploration sur le terrain au cœur de la forêt du 12 au 18 octobre, avec le financement du Labex CEBA (Centre d’étude de la biodiversité amazonienne), en partenariat avec le Parc Amazonien, les universités de Montpellier et de Guyane.
Six chercheurs débutent ainsi leurs fouilles sur le site, épaulés par 2 policiers du Parc Amazonien, 2 gendarmes et 8 hommes des forces armées de Guyane.
« Il est très difficile de trouver des fossiles en Guyane à cause de l’acidité des sols et du couvert forestier. Les sites d'orpaillage sont donc des zones privilégiées, à cibler.»
La mission de terrain s’avère vite fructueuse : maxillaire, mandibule, radius et d’autres éléments fossiles sont déterrés. Des morceaux qui esquissent davantage le portrait de ce géant de la préhistoire.
Un adolescent aprés une étude de ses dents et de ses caractéristiques osseuses. Un jeune de 4 mètres de haut, pesant de 3 à 4 tonnes.
Un contemporain du tigre à dents de sabre
Adulte, l'Eremotherium laurillardi aurait pu afficher des mensurations respectables : 5 mètres de haut. Un animal originaire d’Amérique du sud et qui, avec l’émergence de l’isthme de Panamá, a migré vers l’Amérique centrale, le Mexique et le sud des États-Unis.
« Pas de grande différence avec son lointain cousin, notre paresseux actuel. L'Eremotherium laurillardi est un herbivore avec le même régime alimentaire. La seule différence est sa locomotion : en raison de sa taille, il ne se déplaçait qu’à terre et pas dans les arbres. »
Il s'agit aussi des dernières traces de la mégafaune, des colosses qui ont succédé aux dinosaures, victimes de l’âge de glace et des changements de climats.
« Les mammifères contemporains de l'Eremotherium laurillardi sont le Tigre à dents de sabre, le Toxodonte ou des mastodontes cousins éloignés des éléphants, plus anciens encore que les mammouths. On peut espérer trouver des restes de ces géants maintenant que nous savons où et comment chercher. »
Depuis le retour en laboratoire, les scientifiques ont commencé à tamiser les sédiments récoltés. D’autres fossiles ont été ainsi dégagés des bacs.
« Il y a aussi des fossiles d'insectes, d'un poisson, des traces de plantes (palmiers, arbustes…). C’est un nouveau chapitre de la paléontologie guyanaise qui s’ouvre. »
Ces premières constatations permettent d’avancer des hypothèses quant à l’évolution de l’environnement, à la résilience de l’écosystème. Des études qui serviront à mieux comprendre et anticiper les conséquences des changements climatiques actuels et futurs.
Un kit pédagogique pour les lycéens et les collégiens
Au-delà de la recherche, Pierre-Olivier Antoine et son équipe veulent rendre à la Guyane une partie de son histoire. Cette semaine, ils se sont donc rendus dans deux collèges de Saint-Laurent afin de présenter en avant-première les fossiles aux élèves.
« Pour intéresser les collégiens et les lycéens au patrimoine paléontologique de la Guyane et à la paléobiodiversité, le mieux est de leur parler des premiers fossiles découverts en Guyane, »
Un kit pédagogique sera ainsi réalisé par les chercheurs et distribué dans l’ensemble des établissements du territoire. Un outil d’apprentissage qui pourrait créer des vocations d'Indiana Jones.