REPORTAGE 1/5. Pour rejoindre Macapa par la route, la Guyane et Oiapoque misent sur la BR156, le plus vieux chantier du Brésil

Le chantier de la BR156 entre Macapa et Oiapoque doit être terminé d'ici trois ans.
Guyane La1ère vous propose une série de reportages chez nos voisins de l’Apama. Macapa est en plein essor économique à l'approche de l'arrivée de l'industrie pétrolière. La capitale de l'Amapa est devenue très attractive pour les Guyanais. Comme les habitants d'Oiapoque, ils espèrent la fin de la construction de la BR156, une route inachevée depuis 1930, mais qui devrait être terminée d’ici trois ans.

Garée devant l’un des rares restaurants ouverts au bord de la BR 156, une voiture immatriculée 973. Blanche d’origine, elle est recouverte de terre rougeâtre.

Au volant, José fait une pause. Il a déjà parcouru plus de 400km depuis Macapa et a entamé les 113 km de piste en latérite de la BR 156. Originaire de Kourou, ce Guyanais emprunte régulièrement l’unique axe routier qui relie la Guyane à Macapa, la capitale de l’Amapa, l'une des régions les plus pauvres du Brésil.

Regardez le reportage de Guyane La 1ère :

Pour rejoindre Macapa par la route, la Guyane et Oiapoque misent sur la BR156, le plus vieux chantier du Brésil

Début du chantier en 1930

"Je prends souvent cette route pour aller voir les amis et les parents, raconte José. Il y a eu une amélioration ces derniers mois, mais on attend toujours de voir la fin du chantier".

La construction de la BR156 a débuté en 1930, et reste inachevée à ce jour. En cause : plusieurs détournements de marchés publics. Sur cette route de 672km, certaines portions ont été construites au fil du temps, morceau par morceau, mais il reste encore 110km de piste en latérite. 

Le chantier de la BR156 entre Macapa et Oiapoque doit être terminé d'ici trois ans.

Dangereuse en saison des pluies 

La première fois que je suis passée ici j’avais 15 ans, j’ai la quarantaine aujourd’hui. A l’époque c’était une aventure, c'était le far west, il fallait deux ou trois jours de route pour faire la piste.

José, habitant de Kourou

"Maintenant cela se fait en quelques heures, mais ça reste compliqué en saison des pluies, alors on espère qu’elle sera bientôt goudronnée, ajoute José. On attend".

Pour René, transporteur brésilien qui emprunte cette BR 156 deux à trois fois par semaine avec son camion de 33 tonnes, "cette route devrait être goudronnée depuis longtemps !".

Dix ponts sont à refaire sur cette portion de chantier de la BR156 entre Macapa et Oiapoque.

Une amélioration mais toujours dangereuse 

Je suis né et j’ai grandi à Oiapoque, je vais y croire quand je verrai la route goudronnée. Ça fait tellement longtemps qu’on attend. Ils ont fait une partie, puis une autre, et ça continue ainsi !

René, transporteur brésilien

Avec son camion, il franchit difficilement les 26 ponts de bois que compte la BR156. "Il ne faut surtout pas s’arrêter quand on passe dessus", assure-t-il. René reconnaît toutefois que "depuis cette année, on a quand même vu une amélioration, même s’il y a encore beaucoup de trous". 

Le chantier de la BR156 dure depuis 1930.

Deux entreprises à pied d’œuvre

Cette amélioration est dûe à un investissement du gouvernement fédéral brésilien qui a alloué plusieurs millions de reals l’an dernier pour un entretien quotidien de la piste. Cette étape était indispensable avant de commencer les travaux. 

Deux entreprises s'occupent d'une partie du chantier de la BR156 entre Macapa et Oiapoque.

Depuis deux mois, une soixantaine d’ouvriers, et une trentaine d’engins de chantiers se sont installés sur le site de Cassiporé, au bord de la BR156. Deux entreprises ont décroché le marché, l’une de Rio, Métropolitana, et l’autre de Macapa, LB construction. Elles se fixent deux ans, pour réaliser l’enrobé sur cette portion de piste entre Oiapoque et Cassiporé, soit 56km. Dix ponts sont aussi à construire. C’est la portion la plus difficile à réaliser, pour un coût de 270 millions de reals, soit 45 millions d'euros.

"Cela fait deux mois que nous avons commencé à travailler sur la route, nous sommes déjà installés, on a les bureaux, les dortoirs pour les ouvriers, et une partie des équipements", décrit Franklin Belfort Jaña, ingénieur civil et chef chantier de l’entreprise Métropolitana. 

Deux entreprises s'occupent d'une partie du chantier de la BR156 entre Macapa et Oiapoque.

Des travaux de réfection de la piste avant l’enrobé 

Actuellement, les ouvriers effectuent des travaux de réfection de la piste. L’objectif est de gommer les défauts, atténuer des pentes en dessous de 5%, et drainer les zones marécageuses au niveau des futurs ponts à bâtir. Ils ont effectué la réfection sur 5km ces deux derniers mois. A la fin de la saison des pluies, ils commenceront l’enrobé, entre juin et septembre. 

Une route à la place de 56km de piste

Nous aurons deux ans pour exécuter ces travaux, mais la nature peut ralentir les choses, c’est la réalité donc il faudra faire avec, surtout dans cette région de Cassiporé où il pleut énormément.

Franklin Belfort Jaña, ingénieur civil et chef chantier de l’entreprise Métropolitana

Dès le mois de juin, le nombre d’ouvriers et d’engins sera doublé sur ce site, passant à 150 hommes, et une soixantaine de machines pour commencer l’enrobé. La chaussée sera d'une largeur de 13m, dont deux fois 3,50m pour la circulation. 

Deux entreprises s'occupent d'une partie du chantier de la BR156 entre Macapa et Oiapoque.

"Il y aura deux couches d’enrobé de cinq centimètres chacune sur 13 mètres, plus l’accotement sur une portion de 56km et dix ponts", détaille Alcir Ribeiro Lopes, ingénieur civil sur le chantier pour LB construction. 

Un enrobé réalisé sur place 

Pour réaliser l’enrobé, les équipements de la future usine d’asphalte sont arrivés à Macapa. "L’usine est moderne, robotisée, elle arrivera par la route et nous l’installerons ici dans le parc des engins", ajoute Franklin.

L’enrobé sera fabriqué à partir de granulats acheminés par camions de Macapa, Belem et Manaus. Impossible d’extraire ces matériaux à proximité sur les terres amérindiennes protégées. Sur ce site sans électricité, la logistique est énorme. 

Tout vient de loin, c’est pour ça que c’est difficile de construire la route.

Jean-Marie Defreitas, chef de chantier pour LB construction et Métropolitana

Malgré tout, il est confiant. Lui qui a travaillé 20 ans en Guyane pour l’entreprise de BTP Ribal, sait à quel point cette route est attendue par ses voisins guyanais. 

Deux entreprises s'occupent d'une partie du chantier de la BR156 entre Macapa et Oiapoque.

Le déplacement de villages amérindiens 

Outre la difficulté logistique et les détournements de financements, il y a aussi eu plusieurs années de négociations avec des villages amérindiens situés sur le tracé de la route. 

Avant de commencer ces travaux sur la piste, nous avons dû déplacer plusieurs villages amérindiens.

Marcello Vieira Linhares, directeur régional du Département National de l’infrastructure des transportes (DNIT)

"Accompagné de juristes, le gouvernement a négocié avec les indigènes pour trouver une entente et les déplacer dans un lieu adéquat avec de bonnes installations, des maisons, un dispensaire, des écoles, énumère Marcello Vieira Linhares. Ces négociations ont duré plus de 20 ans".

Une route indispensable avec l’arrivée de Pétrobras 

La ville d’Oiapoque est très dépendante de cet axe routier pour son ravitaillement et son développement économique. Plus qu'une route, la BR156 est une ligne de vie qui devra permettre de désenclaver Oiapoque, en facilitant la circulation des hommes et des marchandises. 

L’achever devient indispensable avec l’arrivée de Petrobras dans l’Amapa. Si le géant brésilien du pétrole obtient le feu vert de l'agence environnementale Ibama, il pourrait commencer l'exploration dans quelques mois, au large d'Oiapoque, à environ 500 km de l’embouchure de l’Amazone.

Petrobras installerait son principal site de travail à Oiapoque et envisagerait d’y créer 40 000 emplois directs et indirects si une exploitation devait être menée d'ici deux à trois ans. De quoi accélérer l’essor économique de toute la région, y compris la Guyane. 

Nommé par Lula pour achever la route

En avril, un appel d’offre sera lancé pour trouver les entreprises qui s’occuperont de la seconde portion de piste à goudronner : 54 km. 

Nommé par le président Lula il y a un an et demi, le directeur de la DNIT a pour mission d’achever cette route. Il estime y arriver d’ici trois ans. 

Ce projet n’est pas que sur le papier aujourd’hui, les travaux ont commencé et nous travaillerons sans interruption, en période de pluie, et en période sèche pour livrer ce chantier au pays.

Marcello Vieira Linhares, directeur de la DNIT

Dans cet Etat de l'Amapa trop souvent délaissée, l'épilogue de ce chantier est une lueur d’espoir pour les habitants.