L'affaire durait depuis huit ans. Mais le 25 mai 2023, la Cour administrative d'appel (CAA) de Bordeaux a rejeté les demandes du promoteur immobilier Didier Magnan dans le cadre d'un recours de l'association Maiouri Nature Guyane. Cette décision de la CAA met un terme à une longue procédure judiciaire, au cours de laquelle la mairie de Cayenne a été condamnée à verser plusieurs milliers d'euros à Maiouri Nature Guyane.
Un projet controversé
En 2015, Didier Magnan souhaite mener le projet d'une luxueuse résidence, proche du littoral, sur la plage de Bourda. Sur cette parcelle accidentée située à moins de quatre mètres du littoral, des doutes apparaissent rapidement sur la constructibilité du bâtiment. Côté route, la parcelle est soumise à un fort risque de mouvement de terrain qui interdit toute déforestation, remblais et déblais. Côté mer, selon le plan de prévention des risques (PPR) littoral, la parcelle est impactée d'un risque élevé de submersion marine.
À ces contraintes topographiques, il faut ajouter le non-respect de la servitude de passage d'une largeur de trois mètres sur les propriétés privées côtières au profit des piétons. En outre, les prévisions liées au changement climatique vont générer en Guyane des épisodes météorologiques intenses de plus en plus fréquents (érosion, submersions marines, montée des eaux, glissements de terrain), incompatibles avec la construction d'un tel édifice.
Pourtant, en dépit de tous ces éléments, le promoteur immobilier va obtenir un premier permis de construire (tacitement, car la mairie n'avait pas répondu dans les délais).
Un soutien indéfectible de la mairie au projet
Soutenu par la mairie de Cayenne, le projet va être suspendu une première fois en 2017 suite à un recours gagnant de Maiouri Nature Guyane. Mais en 2019, le service urbanisme de la ville va accorder un nouveau permis de construire.
Ce permis s'appuie sur différents avis, critiquables sur la forme et sur le fond. L'ex chef de service "risques, énergie, déchets, mines" de la DGTM, qui avait ardemment défendu le projet de la Montagne d'or, conclut un avis favorable sur la constructibilité du bâtiment, contrairement aux recommandations des documents publics de la prévention des risques. La mairie fait également preuve d'incohérences : elle avait approuvé en septembre 2019 un nouveau plan d’urbanisme qui classe la parcelle en zone inconstructible... avant de délivrer le permis de construire sur cette même parcelle un mois plus tard (la délibération n'était pas encore entrée en vigueur). Autre exemple, la mairie a grossièrement utilisé le courrier d'accusé réception et de rappel à la loi en vigueur de l'unité Fleuve Littoral Aménagement et Gestion (voir ci-dessous) comme un soi-disant avis favorable.
Dans le cadre du procès, l'avocate de la mairie réclamera en appel la somme astronomique de 60 000 euros au titre des frais et dépens à Maiouri Nature Guyane (réclamation qui n'aboutira pas). L'association dénonce de son côté une "poursuite bâillon". Alors pourquoi la mairie, qui s'est montrée sans concession, a affiché un soutien inébranlable au projet, alors que les conditions naturelles et légales ne lui permettraient pas d'être mené à bien ? Quels enjeux économiques ont pu justifier une telle défense ? Nous ne sommes malheureusement pas parvenus à joindre la ville, que nous avons contactée.
Une bataille juridique remportée par Maiouri Nature Guyane
En 2019, le tribunal admnistratif de Cayenne a une nouvelle fois suspendu le projet. Suite à ce jugement, la parcelle avait été évaluée définitivement inconstructible, grâce à la loi AVAP. Le promoteur ayant fait appel, ce n'est qu'en mai 2023 que la décision finale a été rendue par la Cour admnistrative d'appel de Bordeaux, pour mettre un terme à cette bataille juridique. La mairie de Cayenne aura dû débourser 3600€ pour Maiouri Nature Guyane, contre 1500€ pour Didier Magnan.
"Cela ne rembourse qu'une partie minime des frais engagés pour nos différents avocats. C'est pour cela que nous avions fait un gros appel à dons qui est toujours en vigueur sur notre compte hello asso de Maiouri Nature Guyane, et spécifique à cette action Bourda.", explique Philippe Boré, cofondateur et président de Maiouri. Pour lui, il n'y a que la victoire qui compte : "D'un point de vue financier, nous sommes déficitaires, mais nous sommes avant tout bénéficiaires d'une belle victoire juridique, pour le respect des réglementations en matière d'environnement et de la loi littorale.", se réjouit-il. De son côté, Didier Magnan affirme avoir trouvé un nouveau terrain pour son projet, et ne prévoit pas de recours en cassation.
Depuis avril 2022, Cayenne fait partie des 126 communes qui doivent s'adapter à l'érosion côtière, qui risque d'être considérablement aggravée dans les prochaines années à cause du changement climatique.