L’illettrisme est un phénomène mal connu, souvent négligé, caché, minoré et tabou. "Un fléau silencieux", un phénomène complexe qui s’étend bien au-delà des milieux défavorisés. Il est également invisible parce qu’il concerne des personnes qui ont toutes en commun d’avoir été scolarisées. Encore trop souvent confondu avec d’autres difficultés, l’illettrisme concerne celles et ceux qui bien qu’ayant suivi un parcours scolaire, ne maîtrisent pas cette première marche indispensable en lecture, écriture, calcul et numérique de base qui leur offre les clés de l’autonomie.
Formatrice pour adulte avec la spécialité illettrisme remise à niveau depuis de nombreuses années, Nicole Anne Parfait s’est forgé une grande expérience au plus près des populations concernées :
« J’insiste sur le fait que, contrairement à ce que l’on entend, l’illettrisme n’est pas synonyme d’absence de compétences. Cependant, les emplois qui ne demandent pas de savoir lire, écrire et calculer deviennent de plus en plus rares et ceci, même dans des emplois demandant peu de qualification. Les exigences du marché augmentent et ne cessent de s’accroître avec le numérique. Dans les différents échanges que j’ai réalisés, je me suis aperçue qu’il y avait plus d’hommes que de femmes en grande difficulté de lecture et d’écriture. »
En effet, les jeunes hommes décrochent plus tôt et plus souvent du système scolaire. Les femmes, quant à elles, entretiennent davantage leur capital de base car, il leur faut suivre la scolarité de leurs enfants.
Former et accompagner les personnes en grande difficulté de lecture, d’écriture et de calcul dans les entreprises.
Alors que la société se trouve fortement impactée par les transformations numériques et par les exigences croissantes d’autonomie et de qualité, les entreprises publiques et privées ont besoin de s’appuyer sur tout le potentiel de leur collectif de travail. De fait, le besoin d’investir dans la formation professionnelle pour confronter les compétences de base n’a jamais été aussi important.
En Guyane encore trop de salariés ou d’agents publics peu ou pas qualifiés ne bénéficient pas d’actions de formation de base souligne Nicole Anne Parfait. Dans ces conditions, il apparaît difficile de développer son autonomie au travail lorsque l’on ne peut pas lire et comprendre les consignes. Il est encore plus complexe de choisir son évolution professionnelle dans un environnement sans cesse en évolution numérique.
Cela apparaît alors comme un véritable défi individuel de trouver du travail ou de le conserver avec des compétences de base érodées.
Le challenge collectif à relever est celui d’investir dans la formation des salariés pour la maîtrise de la lecture, de l’écriture, du calcul, du numérique et des compétences de base. Cela permettra, non seulement d’améliorer les performances des entreprises publiques et privées et d’offrir à chacun des emplois de qualités en améliorant leur bien-être au travail. « C’est redonner à chacun le pouvoir de choisir son avenir professionnel. »
Se remettre à niveau, une volonté personnelle
L’illettrisme n’est pas synonyme d’absence de compétences car souvent les personnes illettrées utilisent des stratégies de contournements pour le quotidien et il n’est jamais trop tard pour remédier à cette situation. Nicole Anne Parfait se souvient d’une expérience qui l’a particulièrement frappée. Une femme de 78 ans la contacte un jour pour apprendre à lire et écrire. Elle était l’aînée d’une famille nombreuse et avait dû rester à la maison pour effectuer toutes les tâches ménagères et le soir, enfermée dans sa chambre, elle écrivait des poèmes de manière phonique. Très volontaire, la vieille dame a travaillé durant des mois reprenant au fur et à mesure confiance en elle. L’enseignement a duré pratiquement un an. La vieille dame consignait ses travaux dans un carnet qu’elle cachait sous son matelas. Des textes bouleversants qu’elle a fini par montrer. Une fois corrigés ces écrits ont été imprimés et distribués aux frères et sœurs.
Durant toutes ces années d’accompagnement, Nicole Anne Parfait a pu se rendre compte que les ouvrages utilisés (ceux des classes CP et CM2) n’étaient pas adaptés à ce public. Cela l’a conduit à écrire avec sa fille Isabelle Facelina Chaumet une méthode d’apprentissage pour les personnes souhaitant parfaire leurs savoirs de base pour une plus grande autonomie dans leur vie de tous les jours. « Genèse de la méthode de lecture et d’écriture « Apprendre pour s’envoler »
Quelques chiffres sur l’illettrisme
Plus de 4% de la population adulte âgée de 18 à 64 ans ayant commencé une scolarité en France hexagonale et dans les régions ultramarines se trouvent en situation d’illettrisme. Cela représente 1.400.000 personnes. (Source Insee 2022).
Parmi ces personnes, une personne sur dix rencontre de fortes difficultés, dans au moins une des compétences de base, à savoir : identifier des mots, comprendre un texte, écrire et compter. 18% des demandeurs d’emploi sont en forte difficulté en littératie et *numératie. Ce taux monte à 25% pour les demandeurs d’emploi ayant plus de deux ans de chômage.
Les statistiques, dans les territoires ultramarins restent particulièrement alarmantes.
En Guyane, on observe une valeur globale de 4 /10 (environ 40%) des 18-65 ans des personnes en grande difficulté de lecture et d’écriture. Des chiffres réactualisés par l’Insee devraient être communiqués fin 2024.
*Numératie ou illectronisme : il s’agit de l’inhabilité numérique. La difficulté, voire l’incapacité que rencontre une personne à utiliser ou créer des ressources numériques en raison d’un manque ou d’une absence totale de connaissance à propos de leur fonctionnement.