« Plantes Alimentaires Non Conventionnelles (PANC) au Brésil » est un best-seller au Brésil. Il est le résultat d’un travail monumental réalisé conjointement par la biologiste brésilienne Valdely Ferreira Kinupp et l’ingénieur agronome Harri Lorenzi. Ce guide plusieurs fois réédité au Brésil a été présenté en Guyane lors d’un séminaire organisé en 2018 par les services de l’Etat, la CTG et l’INRA. Les participants de ce colloque qui ont tout de suite compris l’importance d’avoir accès à ce savoir et de mieux connaître les plantes sauvages et comestibles oubliées ou méconnues de la sphère amazonienne à laquelle appartient la Guyane.
Cette nouvelle édition française arrive dans un contexte où se pose de manière prégnante la question de la souveraineté alimentaire et de la transmission des savoir-faire traditionnels. Dans ce livre, chacun trouvera une somme impressionnante de données sur la connaissance des plantes et de leur utilisation culinaire.
En 2018, lors d’un entretien, Frédéric Blanchard, ingénieur agronome directeur de projets sur les questions de biodiversité à la Collectivité Territoriale de Guyane, décryptait en partie cet ouvrage de vulgarisation scientifique.
Cet ouvrage est une référence reconnue au Brésil, qu'en pensez-vous?
Frédéric Blanchard : Il m'a plu. Chaque plante fait l’objet d’une fiche descriptive synthétique alliant informations botaniques, modalités de culture, propriétés et usages et – c’est tout l’intérêt de l’ouvrage – des recettes : trois pour chaque espèce. Elles ouvrent des horizons gustatifs insoupçonnés : gelées de tubercules de dahlia, mousse bleue de fleurs de clitoria, purée de châtaigne pays, omelette de liseron blanc, cake de balourou, roulé de capucine, salade de fleurs de chevalier onze heures, soupe de courge-serpent, tempura de pois carrés. Le tout concocté, mitonné, rissolé et validé par de nombreux chefs brésiliens qui ont collaboré avec les auteurs. Les surprises sont de taille quand les plats proposés se composent de plantes considérées souvent comme mauvaises herbes des cultures ou comme ornementales : Begonia, Gardenia, Impatiens ou pensées.
Plusieurs dizaines d’espèces décrites nous sont bien connues en Guyane : prunes de Cythère, sorossi, wassaï, … mais les recettes restent nouvelles et alléchantes : rostï de cristophine, risotto de salade soldat, friture de tayove, pizza de fleurs de yucca… Et les desserts ne sont pas oubliés : gelée de génipa, amendes torréfiées de ramboutan…
Beaucoup des espèces végétales sont présentes en Guyane, sont-elles utilisées?
Frédéric Blanchard : Evidemment, la page consacrée à l’abricot-pays avec son jus et sa gelée ne vous étonnera pas. Nous en Guyane, on connaît ou plutôt nous connaissions. Même si nous le trouvons encore quelques fois sur les marchés, modes et goûts modifient nos comportements alimentaires et certains fruits et légumes ne seront bientôt plus du tout proposés à la vente.
L’abricot-pays disparaît et il n’est pas le seul. Car le livre questionne. Le topitambour : impossible à trouver, cultivé par quelques curieux, alors qu’il semblait être plus fréquent en Guyane au XIX siècle. Le masusa, épice bushinenge : qui sait encore comment le préparer pour parfumer le riz et où le trouver. Le Patagon ? Depuis que le bouillon cube et les oignons ont fait leur apparition, il faut remonter loin sur nos fleuves pour trouver encore des familles le connaissant.
Toutes les espèces citées dans le livre sont-elles utilisées en Guyane ?
Si la grande majorité des espèces traitées sont tropicales, n’oublions pas que le Brésil touche des latitudes et altitudes beaucoup moins chaudes qu’en Guyane, et de nombreuses espèces traitées par le livre sont absentes chez nous et seront difficiles à trouver ou à acclimater pour une production locale : pissenlit, raifort, herbe à maté, corne-de-cerf, néflier d’Europe, carthame, etc...
La tentation des nouveautés et de l’exotisme proposés dans ce livre nous touche mais il ne faudrait pas négliger nos propres ressources. Certaines sont méconnues, d’autres sur la voie de l’oubli. Nous manquons aussi de curiosité car nos marchés regorgent de belles surprises. Qui a osé cuisiner l’épinard d’okinawa que nous proposent les Hmongs de Javouhey ? Qui a tenté un petit roulé vietnamien de viande au poivre lolot ? Ou encore, l’épinard « lalo », de plus en plus fréquent, légume typique de la cuisine haïtienne, très rare il y a quelques années et proposé maintenant régulièrement à la vente.
Il faut aussi parler de tous les maraîchers qui expérimentent de nouvelles espèces. Rien que l’année dernière, bien qu’épisodique, on a pu commencer à acheter le citron caviar, des feuilles de bardane, le cubiu ou tomate d’Amazonie, du cresson de terre.
En se référant à cet ouvrage, quel pourrait être l'axe de développement pour la Guyane?
Les plantes alimentaires non conventionnelles sont évidemment une source de développement économique mais il ne faudrait pas oublier l’extraordinaire potentiel de nos forêts. Des centaines d’espèces sauvages sont comestibles et c’est là un des champs majeurs de recherches et d’innovations. Le travail est important car nos institutions publiques s’occupant d’agriculture ne possèdent même pas une liste complète des espèces cultivées et vendues en Guyane.
En considérant le potentiel de l’agrobiodiversité de nos forêts et des connaissances qu’en ont les communautés autochtones et locales, il devient urgent d’initier un tel travail d’inventaires et de recherches agronomiques appropriées. Il faut y consacrer des moyens financiers pérennes à la hauteur des enjeux. Important facteur de diversification de nos productions agricoles, les plantes alimentaires non conventionnelles représentent un marché de niches susceptibles de se développer autant pour la consommation locale que pour l’exportation. L’attrait actuel pour les légumes et les plantes « alicaments » est majeur.
Les nouveautés labellisées « Amazonie » à travers la planète devraient orienter les décideurs sur cette voie de l’économie verte. Il pourrait être utile de faire traduire ce livre car il est en portugais et l’usage de noms brésiliens ne facilite pas la tâche pour le lecteur francophone. Mais la priorité reste, pour moi, l’inventaire de nos propres ressources.
Comment se repérer avec tous ces noms de plantes dans cet ouvrage ?
Si effectivement nous sommes donc un peu perdus, au début, par tous ces noms locaux brésiliens, le nom scientifique est clairement indiqué, et il permettra de faire des recherches fructueuses et complémentaires sur internet. D’ailleurs, d’un point de vue scientifique, le livre est très précis sur cette nomenclature. Il évite les nombreux pièges de la plupart des ouvrages de vulgarisation. Par exemple : la châtaigne pays (Artocarpus camansi) ne doit plus être confondue avec le fruit à pain (Artocarpus altilis). Sans vouloir perdre le lecteur, cette terminologie scientifique internationale doit être précise car c’est le seul vocabulaire qui permettra à des botanistes étrangers d’échanger et de parler de la même chose. Les auteurs doivent donc être également félicités sur ce point.
Je reste persuadé que ce livre ravira les gourmets, les gourmands, les curieux, les passionnés, les jardiniers, les végétariens, les végétaliens, les cuisiniers, les botanistes, les étudiants et les producteurs de fruits et légumes.