Il suffit de laisser promener le regard, au hasard des routes, des maisons, partout des arbres aux fleurs jaunes lumineuses. Le jaune des fleurs domine la canopée guyanaise, l’habillant dans une explosion de nuances, Un spectacle lumineux incitant à admirer les miracles de la nature. Un tableau impressionniste qu’il est possible de voir de juillet à octobre. Frédéric Blanchard est botaniste et livre les secrets de cette espèce vénérable.
L'ébène verte doit son nom à la couleur de son bois d'ailleurs très dur, verdâtre lors de la coupe, alors que sa floraison est d'un jaune vif. Au début du XVIIIe siécle cet arbre était d'ailleurs appelé ébène jaune. Son bois très dur l'a fait rapprocher des ébènes, qui sont des arbres africains. Il n'y a pas de véritable ébène en Amérique. Mais derrière ce nom d'ébène verte, se cachent deux espèces assez proches (Handroanthus capitatus et Handroanthus serratifolius) difficiles à distinguer pour le non-initié. Elles sont plutôt communes en Amazonie. Toutes deux, et à la différence des ébènes, produisent plusieurs fois par an, de magnifiques floraisons jaune vif qui couvrent entièrement les arbres. Le phénomène se passe - souvent en saison sèche - après la perte des feuilles. Les botanistes qualifient cette stratégie de "floraison big-bang" ou "floraison explosive". Bien qu'assez commun en Guyane et dans toute la forêt amazonienne, l'ébène verte est assez disséminée. Le survol de nos forêts à la bonne période permet de le voir, souvent avec une autre grand arbre forestier lui aussi à floraison big-bang, le copaia, mais de couleur violette. Bien que communs, ils poussent isolés les uns des autres. Or pour se reproduire : le pollen a besoin de passer d'un arbre à un autre.
Des floraisons "big bang"
Ces arbres appartiennent donc à deux espèces proches (Handroanthus capitatus et Handroanthus serratifolius): l’ébène verte aux fleurs d’un jaune éclatant première à fleurir suivie de près par l’ébène rose. Ils font aussi partie des Bignonacées comme le Copaya et le Calebassier. Les ébènes vertes sont en pleine floraison et perdent l’ensemble de leur feuillage pour faire place à d’innombrables fleurs tubulaires à polliniser.
Plusieurs stratégies sont développées par les plantes pour optimiser les pollinisations. Les ébènes vertes ont choisi des floraisons "explosives" sur de courtes périodes où ces espèces vont dépenser toute leur énergie. Ces floraisons très visibles sur ces grands arbres de 30 ou 40 mètres de hauteur permettent d'être vite repérées par les pollinisateurs dont de grosses abeilles noires. Quelques semaines après les fleurs, apparaitront des fruits qui contiennent de petites semences entourées d'un petit parchemin très fin : merveilleuse stratégie pour être emportés par les vents au-dessus de la canopée.
L'arbre-femme pour les Wayampis
Les ébènes vertes sont régulièrement plantées dans les jardins, elles possèdent aussi un bois d’excellente qualité, recherché pour la construction de bâtiments ou de mobiliers, en intérieur comme en extérieur. Mais leurs vertus sont ailleurs.
Magnifique, l'ébène verte est parfois conservée ou plantée lors de l'aménagement des parcelles forestières : mais ses usages sont beaucoup plus anciens. Outre son bois très dur, la plante fait partie des pharmacopées des communautés guyanaises. Les recettes sont diverses pour chaque communauté : parfois les fleurs, l'écorce. C'est une espèce reconnue comme "puissante" parmi certaines communautés amérindiennes où chez les Wayampi, c'est le chamane qui contrôle son utilisation contre les fièvres. Toujours chez les Wayampi, les ethnologues indiquent que son nom "Waiwi i" fait référence à un mythe de création de la femme. La traduction de Waiwi i est : l'arbre-femme.
Il ne reste plus que quelques semaines avant la fin de la floraison. Le cycle de la nature immuable offre toujours une beauté instantanée. Il suffit de regarder.