Dans les sociétés esclavagistes plurilingues, l’intercompréhension a toujours été une nécessité. Cela a été le cas de la Guyane, Ainsi est née la langue créole.
Le créole, langue au ban de la société.
Pendant de très longues années, la majorité de la population guyanaise a vécu une situation paradoxale. Elle était unilingue (puisque ne parlant que le créole), et vivait au plus profond d’elle-même sa langue native, le créole, que le système assimilationniste vilipendait, discréditait au profit de la langue officielle : le français.
Néanmoins, tous aspiraient inconsciemment à la maîtrise de la culture et la langue françaises. Le système scolaire français leur offrait cette possibilité.
Le créole, langue bannie de l’institution scolaire.
Et pourtant, dès les premiers temps de l’alphabétisation des populations créolophones au sortir de l’esclavage, le créole a toujours hanté le milieu scolaire où seul le français avait droit de cité. De là est née cette affirmation paradoxale et largement répandue : la langue créole est un obstacle à l’apprentissage de la langue française.
Cette idée reçue, solidement ancrée dans les sociétés créoles, place de facto les enseignants, les parents et les élèves devant une impasse.
Point n'est besoin ici, de s'attarder sur les phénomènes de diglossie, et leur cortège de craintes, de peurs, de punitions en milieu scolaire.
Leurs incidences sur l’efficacité relative des apprentissages scolaires sont incontestables. D’où la nécessité d’adapter la didactique du français au milieu scolaire guyanais.
Comment ouvrir les portes de l’école au créole ?
Le créole a toujours été considérée comme posant problème à l'enseignant pour sa pédagogie, aussi bien qu’à l'élève, pour l’acquisition de ses savoirs et savoir-faire scolaires. Mais l’esprit n’est pas ouvert à la connaissance du milieu, ni aux langues locales de certains élèves Amérindiens et Businengés.
Puisque certains élèves réussissaient, il n'y avait pas de raison que d'autres échouent. Néanmoins, beaucoup ont échoué dans la maîtrise de la langue française parce qu'ils n'ont pas trouvé seuls les clefs leur permettant de naviguer entre les deux systèmes.
1983 ! Inattendue, une véritable bombe est lancée dans l’institution scolaire.
Bertène Juminer, Recteur de l’Académie des Antilles et de la Guyane lance, en 1983, le mot d'ordre : « Le créole à l'école ». Émoi dans cette académie nouvellement créée. Il sait que cette innovation provoquera : Tensions. incompréhension, colère, peur de la domination du créole à l’école. Mais il en va pour lui de l’intérêt des élèves car, la non prise en compte de leur langue maternelle est un des facteurs de l’échec scolaire déjà important.
Autre évènement : Le 28 octobre 1983, on célébrait pour la première fois en Guyane la Journée Internationale du Créole !
Il y aura donc un avant et un après 1983 dans l’introduction du créole à l’école.
Avant 1983,
Des pionniers et pionnières ont marqué les débuts de l’histoire paradoxale du créole à l’école.
Dans l’institution scolaire, quand on faisait référence à la culture créole, elle passait par la langue française. L'unité nationale postulait les mêmes modèles d'enseignement sur les fondements de la culture et de la langue française sur tout le territoire, Département d’Outre-Mer compris. Pourtant, la loi française admettait, dès 1951, l’entrée des cultures « locales » à l’école.
Une brèche s’est ouverte en 1981/1982.
Un mouvement d’adaptation de la pédagogie du langage est initié par Emmanuella Rattier Professeur des écoles et chercheure en didactique de la langue.
L’action du SNI-PEGC, syndicat enseignants dont le secrétaire général est Luckner D’Abreu, a contribué à amplifier le mouvement. Pour la première fois, un colloque sur l’introduction du créole à l’école est organisé.
Une nouvelle approche pédagogique apparaît : le créole, par une saine émulation avec le français, peut concourir à la maîtrise de la langue française et à la réussite scolaire.
Après 1983
Il faudra attendre la nomination de l’Inspecteur d’Académie, Sylvère Farraudière en1986, pour que soit introduit du créole dans les écoles primaires du département. Pour cela, il s’appuie sur les expérimentations en langue et culture créoles guyanaises conduites dans les classes par deux enseignantes Aline Belfort-Chanol et Emmanuella Rattier.
Trois médiateurs culturels sont alors nommés : Sonia Francius et Emmanuella Rattier pour l’Ile de Cayenne et le littoral ; Arsène Bouyer d’Angoma pour l’Ouest.
Les médiateurs lancent une grande campagne d’information et de sensibilisation : participation aux Conseils des maîtres, aux Conseils d’écoles ; organisation de réunions des parents d’élèves ; rencontre avec des élus locaux.
En 1984, l’association Rakaba est créée sur l’initiative de Patricia Weimert et le nom est proposé par Elie Stéphenson. Grâce à elle, le code orthographique du créole (Système (GEREC) a été diffusé dans tout le département.
Les médias, radios et télévision notamment ont apporté progressivement leur contribution au fait créole. Les Élus locaux se montrent réceptifs.
En janvier 1989, A. Belfort Chanol, S. Francius, E. Rattier ont été les premières titulaires du Diplôme Universitaire en Langue et culture Créole.
Cette même année, Le CIEC organisait le 6ème colloque International des Études Créoles à Cayenne.
Le créole ouvre progressivement la porte des établissements scolaires.
Les médiateurs culturels et les enseignants militants convaincus du bien-fondé de la démarche, doivent se former. Il faut tout créer : la didactique, la documentation...
À partir de 1991, Sonia Francius devenue Inspectrice de l’Éducation Nationale contribue à la formalisation des dispositifs prévus par les textes officiels :
Encadrement du groupe de réflexion académique pour l’enseignement des langues et cultures régionales (GRAELCR).
Organisation d’une commission de vérification des compétences des maîtres habilités en Langue et Culture Régionale.
Rédaction de programmes détaillés au plan départemental : « Mieux connaître la Guyane. »
Production d’ouvrages : méthode de langage « David et Maguy » en 1983 et « Adaptation de la didactique du français aux situations de créolophonie, guide du maître pour la Guyane française » par Emmanuella Rattier.
Annie Robinson, Inspectrice ayant en charge les Langues et Cultures Régionales, lance le dispositif des classes bilingues. Il a pour base son travail de réflexion sur « L’introduction des classes bilingues français / créole dans le contexte guyanais en 2008.
Le créole est introduit dans le second degré par feu Gertrude Denizot.
Ainsi, une nouvelle génération de professeurs des écoles et du second degré s’intéresse de plus en plus à l’enseignement de la langue et la culture régionales. Elle contribue ainsi à leur valorisation et à renforcer leur usage dans le champ plurilingue qui caractérise la Guyane. Réfléchir à la pédagogie et agir deviennent une nécessité d’où l’organisation des États-généraux du multilinguisme en 2011.
Une question fondamentale se pose : Comment a évolué l’enseignement du créole aujourd’hui ? la tribune de Paypayo vous le dira dans son prochain article.
Présentation de la tribune de PAYPAYO
Une tribune pourquoi ce choix ? La tribune est un moyen d’expression libre pour informer, échanger, communiquer, avec du recul, sur les sujets sensibles de l’actualité guyanaise.
- PAYPAYO pourquoi ce nom ? C’est celui de l’oiseau sentinelle bien connu de la forêt guyanaise. Il avertit la faune par son chant mélodieux et percutant de toute présence étrangère dans leur univers. Véyatif, oui ! il l’est, mais sa fonction va bien au-delà. PAYPAYO accueille et guide. Il est un acteur vigilant de notre environnement. Il est le symbole de la tribune de PAYPAYO.
La tribune de PAYPAYO partagera avec vous et toutes les instances décisionnelles des articles, des vidéos en français, anglais, et langues régionales autour de :
- Valeurs telles que le respect, la justice, la solidarité, la responsabilité…
- Concepts : la guyanité, la tolérance…
- L’actualité…
Aussi, nos premiers articles seront consacrés au sujet brûlant de l’immigration en Guyane. Dans un premier temps, les thèmes suivants seront développés :
- Respect, Société, Guyanité.
- IMMIGRATION EN GUYANE : le socle historique d'hier confronté à un choc de
clandestinité anarchique depuis près de quarante ans.
- L’impact de l’immigration sur l’éducation.
D’autres articles suivront avec votre soutien. Des contributeurs seront associés à la tribune de PAYPAYO née de l’opiniâtre volonté d’un collectif dont les membres sont : Aline Belfort, Jean-Marie Ndagano, André Néron, Myrtho Ribal, Elie Stephenson, Nora Stephenson, Lewis Thom.
Les membres du collectif assument conjointement la responsabilité de toutes les productions de la tribune PAPAYO.
Contact : latribunedepaypayo@gmail.com