Comment est né ce projet ?
Francky Amete cherchait quelqu’un pour écrire son histoire. Petit à petit on a discuté tous les deux. Ça ne m’intéressait pas d’écrire une biographie telle quelle. Je lui ai alors proposé qu’on ait des conversations à bâtons rompus, parfois sur sa vie, parfois sur d’autres problèmes de société. Je n’ai jamais écrit de biographie. C’était un défi et tous les défis m’interpellent. Au bout d’un moment je me suis dit « dans quoi tu t’es lancé ? » Mais l’enjeu était fort aussi bien pour lui que pour moi. Vis-à-vis de lui, je ne pouvais pas me planter. Vis-à-vis de moi, je ne voulais pas produire un écrit médiocre.
Qu’est-ce qui vous a intéressé chez Francky Amete ?
Ce qui est intéressant chez lui, c’est qu’il est résolument contemporain, tout en tenant à conserver la conscience de son histoire et de ses traditions. Il reste très attaché à la terre, à ses parents, à son village, au fleuve. Il a une énorme dévotion pour ses parents. Toutes des qualités tout à fait respectables qui ne l’empêchent pas de s’inscrire dans le monde moderne. Je le connais depuis longtemps : comme toute la Guyane, je l’avais déjà vu à la télé. Je trouvais qu’il était porteur d’un discours qui me semblait très sain avec, comme je le disais, un ancrage dans la vie moderne et dans la tradition.
Comment avez-vous mené ce travail ?
Cela a été des mois et des mois de conversations enregistrées. Nous avons travaillé entre huit à dix mois, tantôt chez lui, tantôt chez moi, le plus souvent dans son atelier. Parfois, il s’arrêtait de travailler, parfois il continuait. Chaque fois, j’arrivais avec une série de questions sur une thématique. Au fur et à mesure j’ai appris à le connaître mieux et je n’hésitais pas à le pousser dans ses retranchements pour qu’on ne reste pas uniquement en surface.
Francky est très attaché à la transmission et déplore qu’elle soit souvent dévoyée voire absente
Joël Roy
Au-delà de l’aspect biographique, votre livre nous en apprend beaucoup sur la culture businenge et notamment le tembe…
Francky est très attaché à la transmission et déplore qu’elle soit souvent dévoyée voire absente. Je pense que ce livre va intéresser pour sa personnalité ou pour sa production artistique. Il y a aussi une conception qui est importante : aujourd’hui, on considère le tembe comme un art. C’est, en effet, devenu une pratique artistique aujourd’hui mais ce n’est pas un art en soi. Comme l’explique Francky Amete, au début, le tembe était un moyen pour les nègres marron (les esclaves qui fuyaient les habitations, NDLR), de passer des messages indécodables par les propriétaires des habitations. Ensuite, le tembe est entré dans la pratique à mesure qu’ils se sont sédentarisés. Le tembe est alors entré dans les foyers pour la décoration des objets usuels qu’on offrait par exemple à l’épouse qu’on convoitait. Du côté des femmes, cela permettait aussi de passer des messages qui étaient indicibles, notamment dans la relation amoureuse. Le tembe est alors, au fil du temps, devenu une pratique artistique.
Au fil des pages, on n’a pas l’impression de lire un entretien, mais d’en apprendre autant sur vous que sur lui…
Ce sont des conversations, c’est comme cela que je l’ai voulu. Je crois que c’est cela qui rend le livre plus vivant.
Le Tembe, culture et transmission, Francky Amete se raconte, de Joël Roy aux éditions du Mahury
Dédicaces lors du Festival du livre international de Guyane, samedi 30 novembre, au Zéphyr