Mme le maire, comment se passe le confinement à Saint-Elie ?
Véronique Jacaria : Tout d’abord je tiens à vous dire que je suis en ce moment sur le littoral, je suis revenu la semaine dernière après 17 jours en confinement. A Saint-Elie, le confinement se passe bien. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes déjà une commune isolée et nous avons par nature des mécanismes de confinement déjà mis en place. Donc nous faisons un ravitaillement tous les 10 jours, les élus se prêtent au jeu. Nous faisons des courses pour les agents mais aussi pour les administrés. On organise.
Comment organisez-vous ces rotations ?
Véronique Jacaria : Ben, nous sommes 2 par véhicule et dans les pirogues, pas plus de 3 personnes. Nous n’avons pas eu de masque par exemple. La mairie a donc fait fabriquer des masques alternatifs. Les agents en ont 2 ou 3 par semaine. Il a fallu mettre en place beaucoup d’échanges.
En fait, l’école est fermée évidemment mais personne n’a voulu descendre et toutes les familles sont restées sur place, ce qui est plutôt une bonne chose. Il y a beaucoup d’enfants en bas âge, des bébés et c‘était surtout ça les premières craintes, comment on va faire pour les couches, pour le lait. S’il y a un enfant malade, comment on va faire…il y a toutes ces questions donc tout ce que la préfecture nous a envoyé comme informations, on l’a partagé avec les habitants et on a l’a affiché pour faire passer les messages en insistant sur les gestes-barrières. On a tendance dans notre culture spontanément à aller vers l’autre.On pourrait penser que c’est facile par ce que nous sommes peu nombreux. Mais discuter avec l’autre de ses peurs, ses craintes, surtout les gens s’inquiètent pour les familles.
« Quand vous ne voyez personne toute une journée, ça fait bizarre »
Partant de ce principe, comment avec vous procédé pour que les messages soient intégrés ?
Véronique Jacaria : Il a fallu discuter, discuter pour expliquer et répéter encore tous les jours et sans relâche. Moi j’ai ma petite maisonnette à Saint-Elie. Un maire d’une commune isolée c’est surtout un maire de proximité. Bien entendu, ils viennent vers moi mais il a fallu leur dire non et de garder une distance de 1 mètre voire de 2 mètres. Faire de la pédagogie en fait et au fur et à mesure, chemin faisant, les gens se sont approprié les gestes, on arrive à se comprendre. Mais ce que l’on a vécu le plus difficilement, c’est le confinement dans le confinement.
Quand vous êtes déjà pas nombreux et que vous devez rester chez vous, c’est compliqué, c’est moralement compliqué. Ça a été une baisse de moral, même pour moi. J’ai vraiment eu une baisse de moral. Quand vous ne voyez personne toute une journée, ça fait bizarre. Vous entendez la musique, le chant des oiseaux, vous entendez tout mais vous ne voyez personne. Oui c’est difficile.A Saint-Elie, nous ne sommes pas nombreux. C’est une chance mais aussi une difficulté.
Et en matière d’accompagnement de vos concitoyens…
Véronique Jacaria : Tout ce que la préfecture nous a transmis comme informations notamment via Mme Rivière, tous les documents et bien je le partage avec les administrés. J’explique. On a créé un petit groupe Whatsapp, Dieu merci à Saint-Elie on a la téléphonie mobile.
tout ce que les infirmières libérales ont mis en place, les fichiers, les fichiers vocaux, les explications, on les envoie, on les partage aussi et au fur et à mesure ça rentre. Mais je reviens sur la baisse de moral ressenti, ça a été difficile puisque nous n’avons pas l’habitude de ne pas nous toucher. Nous sommes habitués à tout partager en Guyane notamment dans les communes isolées.On n’a pas besoin de se voir, se rencontrer pour maintenir les échanges et discuter. On envoie des Whatsapp toute la journée,
Et pour les enfants quelles actions par rapport à leurs habitudes ?
Véronique Jacaria : C’est encore plus spécial pour les enfants… comment leur expliquer et faire comprendre. Ils sont spontanés. Ils sont 15 à l’école, je vous laisse imaginer. Pour eux par exemple, l’école a été fermée, les enfants le constatent. Mais comme l’enseignante est restée sur place, ils n’ont pas compris tout de suite pourquoi ils ne pouvaient pas aller vers elle comme d’habitude. Elle a dû mettre en place une organisation avec le rectorat en mettant une fois par semaine des devoirs sur un banc à l’extérieur. Les enfants ou leurs parents venaient récupérer les devoirs. Mais quand un enfant court, s’amuse et qu’on lui dit qu’il faut rentrer chez lui, il ne comprend pas. Il a fallu vraiment expliquer…
Entre la pédagogie, les explications, qu’est-ce qui a fait la différence selon vous ?
Véronique Jacaria : Hors organisation de la préfecture, je leur ai dit qu’à Saint-Elie si quelqu’un tombe malade, avant qu’on ne vienne nous chercher et nous dépister, il y aura déjà des problèmes.
Le plus près c’est Kourou et on remonte parce qu’il faut qu’on fasse le carburant, les services techniques fonctionnent. Il faut donc assurer le ramassage des poubelles, l’entretien du groupe électrogène, la maintenance de l’eau… Il faut tout de même fonctionner et les services administratifs fonctionnent également. J’ai mis en place une permanence un jour par semaine et comme nous sommes une équipe tournante, tous les jours il y a du monde à l’annexe et à la mairie.Donc, on dépasse les 14 jours, 17 ou 20 jours de confinement en fait. Et si après cette période on n’est bien, pas de toux, pas de fièvre, à ce moment-là on s’organise pour que 2 descendent faire des courses.
Est-ce que au final vous êtes aujourd’hui satisfaite du confinement et de l’adhésion de la population ?
Véronique Jacaria : Oui, je suis satisfaite. Parce que premièrement, il n’y a pas de malade et même pour tout type de maladie. Deuxièmement, ils ont fini par comprendre. Exemple, tous les dimanches après-midi, il y a football. Moi je parlais, je parlais, je parlais. Heureusement, nous avons des militaires sur place. Il a fallu que les militaires viennent et disent que la pratique du football n’était plus possible. Et là ils ont compris et arrêté. Donc chacun a un rôle à jouer.
"Ce que l’on a vécu le plus difficilement, c’est le confinement dans le confinement"
Vous avez des inquiétudes malgré tout aujourd’hui ?
Véronique Jacaria : Ce qui m’angoisse, ce n’est pas le confinement puisque nous avons su le gérer. Mais j’avoue que c’est surtout l’après confinement pour la Guyane. Que faire ? Aujourd’hui, les questions qui me taraudent c’est par exemple, est-ce que les enfants pourront ou pas rentrer à l’école le 11 mai…
Et à propos de ce retour en classe ?
Véronique Jacaria : On pourrait dire, oui il n’y a pas de malade. Les enfants de Saint-Elie sont restés sur place pendant les deux mois et pourraient donc reprendre l’école. Mais je ne suis pas médecin donc je ne sais pas… J’ai besoin d’être rassurée. Je ne sais pas s’il n’y a pas un qui serait asymptomatique et qui par la suite pourrait développer la maladie… Je pense qu’on a largement le temps d’être rassurés, le temps de mettre encore en place des gestes-barrières, d’éduquer les enfants au port du masque par exemple.
Les tout-petits on ne pourra pas leur dire de porter des masques, on ne pourra pas leur dire de ne pas toucher l’autre après tant d’absence de contact.
Maintenant l’association des maires fait son travail, la préfecture fait le sien et puis on verra.
Est-ce que l’on peut imaginer une adaptation des mesures pour votre localité ?
Véronique Jacaria : Je ne m’en inquiète pas. Ils sont 15, la salle est immense. On peut avec l’enseignant encore décaler des tables, pour nous il n’y a pas de souci. Mais c’est juste qu’il y a encore des craintes… Est-ce une bonne chose de rouvrir après le 11 mai ? Est-ce qu’on ne prend pas des risques ? Je ne sais pas. On pourrait mettre en place tous les protocoles possibles et imaginables mais, je n’ai pas la réponse.
« Pas favorable à un confinement trop long »
Au-delà de l’école, il y a quelque chose qui vous interpelle dans la gestion de cette crise sanitaire et le confinement avec couvre-feu ?
Véronique Jacaria : Moi je ne suis pas favorable à un confinement trop long parce qu’il en va de l’économie de la Guyane, du peu d’économie de la Guyane. Il en va aussi de la responsabilité de tout un chacun.
On doit reprendre doucement mais surement parce que la Guyane est en construction et on ne peut pas se permettre de regarder les oiseaux passer. On a des chantiers, des investissements à faire dans l’ensemble des communes. Et en disant cela, je pense aux artisans, on travaille beaucoup avec eux. Certains vont baisser pavillon, ils vont mourir si on ne fait rien. Voilà c’est ça ma petite interrogation…A trop confiner les gens, on le voit, certains vont péter un câble, désolé de le dire ainsi…
Et avec vos collègues maires ?
Véronique Jacaria : On a un groupe, on communique. Bientôt on devrait avoir une réunion entre nous, avec la préfecture, le rectorat. On communique entre nous mais on est inquiets. Il y a eu la préconisation d président de la république mais il faudrait voir si ça peut fonctionner et comment adapter tout cela à la réalité de la Guyane…
il faut protéger nos populations au maximum sachant pour ce qui concerne Saint-Elie que si vous êtes malade, il faut appeler le Samu et faire venir l’hélicoptère, le dragon et ça coûte très cher.
Quel est votre message à propos de ce confinement et cette vie si particulière ?
Véronique Jacaria : On apprend à vivre différemment. On ne pourra pas oublier cette période. On doit grandir derrière tout cela. Mais je crois aussi que l’on doit adapter les moyens au niveau sanitaire… et puis on doit développer un élan de solidarité envers l’autre. On a trop tendance à se retrancher derrière les réseaux sociaux et dire du mal de l’autre. Il faut qu’on apprenne de nos erreurs et que l‘on avance en solidarité.
A titre perso, allez-vous retenir quelque chose de particulier de cette période ?
Véronique Jacaria :
On a 6 ans pour changer la donne. Il m’a étreint, il m’a étouffé cet isolement donc j’en tire des leçons et puis je voudrais en profiter pour féliciter mes agents. Ils sont polyvalents, ils prennent des risques, ce sont vraiment des agents extraordinaires…vraiment je les félicite.L’isolement. Il m’a explosé au visage…être isolée à Saint-Elie, je n’avais pas conscience du poids de cet isolement. Et je crois qu’il faut qu’on y travaille avec l’équipe municipale.