Exaspérés, écœurés, à bout de nerfs. Ces états d'émotion ont dominé hier les échanges entre les pêcheurs locaux, les élus, les transformateurs et les organisations de protection de l’environnement.
Une stratégie commune contre la pêche illégale
Une concertation organisée à Sinnamary à l’initiative du maire Michel-Ange Jérémie, afin d'élaborer une stratégie commune d’action contre la pêche illégale qui s'intensifie en Guyane.
Un phénomène observé d'Ouest en Est du Maroni à l'Oyapock. L'embouchure de l'Approuague serait également envahie par les tapouilles.
Nécessaire intervention...
— WWF Guyane (@WWF_Guyane) October 29, 2021
Mais sur la durée, gros ras-le-bol collectif #pecheurs #elus #ONG, réunion en cours sur le manque d'efficacité dans la lutte contre la pêche illégale#Guyane pic.twitter.com/upziM1fGDZ
Les témoignages poignants des pêcheurs ont particulièrement interpellé les élus. Des situation humaines critiques. Ils font surtout état d'un ras-le bol vis à vis de l'Etat " Une situation explosive", ont souligné des élus.
Les problématiques de la filière pêche
Ce premier cycle d'échanges a réuni près de 80 personnes.
Il a surtout permis de faire le point et de dénoncer un nouvelle fois les problématiques de la filière : l’activité illégale, les préjudices écologiques et économiques, l’insécurité en mer, les dettes, la formation des jeunes, les difficultés de recrutement liées à un manque d’attractivité du métier etc.
Des chiffres alarmants
Michel Nalovic, ingénieur halieutique au Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CRPMEM) de Guyane, a rappelé quelques chiffres et données . Il a ainsi dressé un constat accablant de la pêche illégale le long des côtes : « Chaque année, 60 à 80 bateaux sont arraisonnés et détruits, 80 tonnes de poissons sont rejetées à la amer, 240 km de filets, surtout hors normes, sont saisis ».
« La surpêche illégale nous mène droit dans le mur. Cela fait 10 ans que nous le disons maintenant, la science le pointe très précisément du doigt. Nous assistons à l’extinction de notre avenir sur la ressource halieutique. »
Plusieurs espèces de poissons sont ainsi menacées, dont l’acoupa rouge, principal produit de la pêche côtière, très prisé dans les trafics de vessies natatoires.
« L’acoupa rouge est considéré maintenant comme "presque en danger", selon un rapport de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) . Dans 5 ans, au vu des chiffres, "par manque d’anticipation pour réduire et éliminer la pêche illégale, pour réduire l’effort de pêche et adopter des pratiques de pêche durable", toujours selon ce rapport, cette espèce sera considérée en danger. Si certains estiment que l’action des autorités menée en Guyane est suffisante et se satisfont des derniers chiffres de l’État, ils ont tort. »
D'autant que la Commission européenne qui a la compétence de la gestion de la pêche dans le cadre de la politique commune de la pêche refuse de se mouiller pour l'instant ce dossier. Elle se dédouane sur l'état français.
La politique européenne décriée
Les décisions politiques prises à Paris et à Bruxelles sont jugées inadaptées à la situation guyanaise.
« Les services de contrôle des pêches de l’Europe affirment ne pas pouvoir agir tant que la direction des pêches à Paris ne les aura pas mandatés. C’est un problème de souveraineté mais jamais l’Etat ne va admettre qu’il y a un problème ici, en Guyane. »
La semaine prochaine s'annonce particulièrement mouvementée.
Plusieurs actions programmées
Un collectif d'élus et de pêcheurs se constitue afin de rencontrer le préfet de Guyane au plus tôt. L'objectif est de trouver des solutions efficaces et de répondre aussi à l'urgence. " Si le préfet ne nous rencontre pas vite, cela va péter. Il y a trop de souffrance chez les pêcheurs ," confie un socioprofessionnel.
Remplacer les actions « coup de poing » par une gestion raisonnée et une protection permanente de nos quotas de pêche en #Guyane
— Ultramarin d'eau douce (@En_Guyane) October 30, 2021
4 tonnes de poissons saisie, c'est une goutte d'eau dans l'océan de la pêche illégale pic.twitter.com/0ciZMzQefc@Prefet973 @Armees_Guyane pic.twitter.com/FAYARwFqLq
Plusieurs élus locaux et tous les parlementaires présents au chevet de la filière se sont engagés à accompagner les pêcheurs. Notamment pour faire remonter les doléances aux niveaux européens et soutenir les initiatives.
Dans un premier temps, un courrier sera envoyé au Président de la République : un constat et un relevé de décisions avec des demandes précises.
Un autre courrier sera également adressé au Ministère des affaires étrangères afin de traiter du dossier épineux de la pêche illégale en lien avec les pays voisins, à savoir le Suriname , le Brésil, mais aussi le Vénézuela et le Guyana.
Une action judiciaire pour délit d'écocide à l'encontre de l'Etat
Tous sont tombés d'accord pour engager un acte fort : se constituer en un collectif pour lancer une procédure judiciaire collective contre l’état français accusé de délit d'écocide devant les tribunaux internationaux.
Les participants demandent aussi la création d’un “observatoire de la pêche illégale”, dont le travail s'appuiera sur les données récoltées sur place en Guyane.
Par ailleurs, le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CRPMEM) de Guyane indiqué avoir commandé un audit indépendant des moyens mis en place par l'état pour lutter contre la pêche illégale.
Prendre la main sur la pêche hauturière
Pour Michel Nalovic, il faudrait également que la Collectivité territoriale de Guyane insiste pour obtenir la gestion des eaux jusqu’aux 100 milles nautiques des côtes guyanaises. "Pour cela la France a juste besoin de notifier l'union européenne". Une décision qui permettrait à la CTG d'avoir un droit de regard, de réserve et de sanction sur qui vient pêcher dans les eaux guyanaises et dans quelques conditions. Un moyen de prendre la mains pour agir vite localement sans attendre les décisions européennes.
Qu'est-ce que le délit d'écocide ?
Le "délit d'écocide" visant à prévenir et sanctionner les atteintes graves à l'environnement, dérivé d'une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, a été créé en 2020 en France.
Le délit d'écocide est un acte criminel visant à détruire délibérément et en totalité un écosystème, soit par l'extraction complète des ressources d’une zone, de la mise en danger de son écosystème, ou du trafic international d’espèces protégées présentes. Il comprend aussi un délit de mise en danger de l'environnement.
La reconnaissance du crime d'écocide par la Cour pénale internationale au côtés des crimes contre l'humanité est actuellement à l'étude.