[Portrait] José Legrand, l'histoire d'une résilience : un artiste entre ombre et lumière

José Legrand dans son atelier
José Legrand, ne laisse pas indifférent. Ce peintre renommé, a eu plusieurs vies. Aujourd’hui, il renaît de ses cendres, après une longue période de maladie. Il a à nouveau le goût et l’envie d’exposer, et de se mettre à nu. Artiste autrefois à la réputation sulfureuse, il a gagné en sagesse.

José Legrand, ne laisse pas indifférent. Ce peintre renommé a eu plusieurs vies. Aujourd’hui, il renaît de ses cendres, après une longue période de maladie. Il a à nouveau le goût et l’envie d’exposer, et de se mettre à nu. Artiste autrefois à la réputation sulfureuse, il a gagné en sagesse mais n’a rien perdu de son engagement.

Une oeuvre foisonnante

José Legrand ouvre la porte de son atelier, son antre, où il vit, peint, donne des cours. Partout des toiles, des collages, des affiches, des objets, positionnés dans un savant désordre : des toiles de sa période "Madras", un casque colonial dans une cage ou encore du papier-peint baroque orné de la photo d’un esclave. Des objets inanimés, né de son imaginaire, qui veillent sur l'artiste. Un artiste incompris, en quête de la reconnaissance de son peuple. Au cœur de son atelier à Cayenne, résilient, il se livre, et se raconte.

Il y a eu une période de chute qui a duré un certain nombre d’années, pas mal d’années… C’est une période assez étrange. Un moment où l’on n’arrive pas à monter, on a le sentiment de descendre, et quand on descend c’est beaucoup plus difficile de stabiliser. Rien a été facile pour moi, la situation du pays, la manière dont j’ai interprété les choses. J’ai donné des coups, j’ai reçu des coups. Il y a eu une adversité assez rude, j’ai pris les choses avec légèreté et après les problèmes de santé vers 50 ans, ont commencé.

 

Une enfance heureuse

Années 70 : José Legrand à gauche avec son frère aujourd'hui décédé, dans un happening place des Palmistes.

Né à Cayenne, José Legrand a eu la chance d’être soutenu par ses parents dans ses choix. A l’âge de 12 ans, il reçoit en cadeau, une boîte de gouache. Il s’en désintéresse. Vers 15 ans, s’ennuyant, il la retrouve et commence à peindre. Le déclic. Sa mère montre les dessins à ses collègues. C'est le succès, il peint des reproductions en grande quantité.

Il s’attire l’admiration de son professeur de français de l’époque Jacques Lony et de Maud Ruillier. Ces derniers encouragent ses parents à le laisser faire les Beaux-Arts. Il débarque à Rouen, mais c’est trop tard, il râte l'examen d'entrée, trop technique. Lui, il peint à l’aveugle. Par une série de rencontres inattendues, José débarque à Versailles. Là, le comité d’examen épaté par son talent, organise un concours rien que pour lui. L'artiste y restera deux ans. 

Ce que l’on connait de moi aujourd’hui a été conçu à ce moment-là. Dès les premiers jours j’ai été pris en main. J’ai rencontré des camarades, ils m’ont initié. Un jour, ils m’ont amené à la fête de l’Huma, c’est très marquant, c’est un détail mais cela été déterminant. Ce qui m’a frappé à ce moment-là, c'est la ferveur de la foule. J'y ai aussi connu le free jazz. Cela m’a toujours poussé vers l’extrême, vers l’engagement, le militantisme pour des causes que j’estimais justes. J’ai eu des professeurs qui sont de grands artistes. Ils m’ont aidé à me construire.  

 

 

Les années folles 

Puis il part à Aix. A l’époque, le sud de la France, est un espace de création, de bouillonnement artistique, où tous les courants se rejoignent. L'art sous tous les supports, sous toutes les formes, à l'état pur. Il y a une émulation, elle l'emporte comme une vague. José Legrand explore de nombreux univers, se fait un solide carnet d'adresse. Il est nourri intellectuellement et artistiquement. "Ce sont les meilleures années de ma vie" se confie-il.

Retour au pays

Retour en Guyane, le pays tant rêvé. Ce sont les années 80. Fort de son diplôme national supérieur d'expression plastique, il a de grands projets, persuadé que son talent fera bouger des montagnes. Il est d’abord professeur d’arts plastiques. "Professionnellement en tant qu’artiste, cela a été une très grosse erreur je suis sans doute rentré trop tôt je ne pensais pas qu’il y aurait tant d’obstacles et de volonté à ce que rien ne se passe". Il travaille un temps, puis démissionne, il est prêt à repartir mais son frère décède, et c’est un choc. Pendant deux ans, il vivote, tente de vivre de son art, monte des expos, mais c’est dur. Il retourne dans l’Education nationale et se met au travail.

C’est le temps des grandes expositions, il exposera 6 fois au "Grand Palais" à Paris, il parcourt le monde, il est reconnu pour son art. (Shangaï, Sénégal, Londres, Italie, Bermudes, New-York, Japon, Corée etc...). Il crée l’association "Formsens", trouve un local et crée. C'est le succès. 
C’est un artiste engagé, il critique beaucoup le pouvoir en place, dénonce, et finit par traîner une image d’artiste subversif. Les subventions se raréfient, son engagement devient politique. Il a une expression trop libre.

C’est une période qui peut passer pour un engagement pour l’art. A quel moment une démarche est politique ? A partir du moment où vous mettez en évidence les insuffisances sociétales. Personne n’est engagé, mais il suffit de subir des injustices pour défendre ses intérêts. Je me suis retrouvé pour mes idées au banc de la pensée unique de l’époque. C’est un truc de malade, c’est une réputation qui vous suit jusqu’à ce jour. Tu vas voir les politiques et en face tu as des gens qui une fois installés font plus mal sciemment. J’ai dû supporter le coût de 90% de mes expos à l’étranger. Les gens ne jugent pas votre travail, mais l’idée qu’ils ont de vous et la manière que vous vous exprimez. Je ne me suis pas gêné, j’ai dit ce que j’avais à dire. Le travail d’artiste est d’enclencher d’autres types de rapports. Et à 66 ans je ne me fais toujours pas entendre.

 

Période Madras 

Une lutte qui aura des conséquences. Il tombe malade, et doit quitter la Guyane. Le trou noir. L'absence. L'isolement. Une période qui durera 15 ans. Il continue à peindre et produit surtout des petites pièces, des petits formats sur papier, des aquarelles, des collages. Des productions de 500 à 600 tirages.

José Legrand n’a jamais cessé de créer des œuvres critiquant l’héritage colonial. Chaque tableau est le fragment d’un puzzle né dans son imagination alimentée par son engagement en faveur de l’art. Depuis des années, ses variations sont puisées dans le "Madras", une thématique qui symbolise la somme de toutes ses luttes. Une approche analytique, qu’il décline à foison.

De grands projets

De sa vie privée, il ne dira rien, ou si peu. Dans son regard, se devinent les fêlures qui ont fait l’homme qu’il est aujourd’hui. Des regrets ? Il n’en dira pas plus. L’horizon se dégage, sa vision s’éclaircit. Ses yeux s’illuminent à l’idée de la prochaine expo : Cayenne Miami Marrakech Cayenne, une exposition grandeur nature qu’il qualifie déjà de grandiose. Une nouvelle vie.