Le constat est alarmant. Dans un rapport rendu public le mois dernier, la Chambre Régionale des Comptes épingle la gestion du Centre Hospitalier de Kourou, de 2018 à 2024.
Une gouvernance "instable"
Les magistrats pointent d’abord la "grande instabilité à la direction" du Centre Hospitalier de Kourou. En 2020 et 2023, six directeurs ou directrices différents se sont succédés. "La forte rotation à la tête du CHK a limité la capacité à conduire les adaptations structurelles et les mises à niveau nécessaires de sa gestion", précise le rapport.
Une "absence de pilotage"
Il constate aussi "une absence de pilotage". Le CHK n’a pas de projet d’établissement, ni de projet médico-social, pourtant obligatoires. En plus de cela, le rapport constate "une chaîne comptable défaillante", avec une "comptabilité d’engagement quasi-inexistante", et "des recettes non titrées ou mal imputées".
"Une impasse financière majeure"
Un autre problème de fond est pointé du doigt par les magistrats. "Hors aide exceptionnelle, l’hôpital se trouve, dès l’origine, dans une impasse financière majeure", rapporte la Chambre Régionale des Comptes.
Suite à la mobilisation populaire de 2017, le Centre Médico Chirurgical de Kourou (CMCK) est devenu un établissement public, le Centre Hospitalier de Kourou, le 1er janvier 2018. Selon la chambre, "les déséquilibres financiers structurels du CMCK ont été amplifiés" dans la nouvelle structure. Aujourd’hui, son budget avoisine les 60 millions d’euros.
"Des rémunérations qui excèdent le droit commun"
Le rapport pointe "des charges de fonctionnement excessives", avec notamment "des rémunérations qui excèdent le droit commun" (…) "compte tenu de la reprise des agents du CMCK et des modalités de recrutement pour renforcer l’attractivité". Ainsi, poursuit la chambre, "les émoluments des médecins vont très au-delà de ceux de l’hexagone et même des autres centres hospitaliers guyanais".
Le Centre Hospitalier de Kourou accueille 114 lits et propose des soins de proximité en médecine, chirurgie et obstétrique. Il compte 416 salariés (51 postes médicaux et 365 non médicaux).
Un hôpital "couteux en effectifs"
Dans cette configuration, la Chambre souligne deux handicaps : la structure de l’hôpital, de taille modeste, est coûteuse en effectifs, avec de petites unités. De plus, « les produits de la tarification à l’activité » (…) "sont insuffisants pour financer l’exploitation", notamment car "le nombre de séjours hospitaliers est limité", et "le CHK réalise surtout des prises en charge et des actes simples, sur une population jeune".
L’hôpital le plus aidé de France
Au final, le CHK s’approche de l’équilibre grâce aux aides exceptionnelles de l’Agence Régionale de Santé (ARS) : 73 millions d’euros de 2018 à 2023, hors mesures covid. Cela fait du CHK "l’établissement de santé le plus aidé de France en pourcentage de ses produits", indiquait l’ARS en septembre 2023.
Depuis 2021, la situation s’améliore sensiblement, tempère la Chambre Régionale des Comptes, avec une hausse des produits de gestion et une réduction des charges.
Elle ajoute que "des investissements très conséquents ont été faits les deux dernières années, largement subventionnés par des crédits nationaux et européens, mais démesurés compte tenu de la situation financière".
Les recommandations
Dans son rapport, la Chambre Régionale des Comptes adresse aussi des recommandations. Certaines d’entre elles doivent permettre au CHK de régulariser sa situation en élaborant un rapport annuel d’activité, en établissant un inventaire des biens immobiliers et mobiliers de l’établissement ou encore en évaluant les incidences budgétaires des projets d’investissements. En clair, elle recommande au CHK de fixer des lignes directrices de gestion conformément à la loi.
Pour plus de performance, elle recommande aussi un dialogue interne sur la gestion, et une limitation des astreintes forfaitisées aux spécialités. La Chambre appelle aussi à "approfondir" le "développement des coopérations territoriales et des mutualisations dans le cadre du Groupement Hospitalier Territorial (GHT) et du futur Centre Hospitalier Universitaire" (…) "pour favoriser les effets d’échelle et la continuité des soins".
Reste à savoir si ces recommandations seront suivies. Ce rapport sur la gouvernance, le pilotage et la situation financière du CHK a été rédigé suite à des entretiens réalisés entre décembre 2023 et février 2024.
Les réactions au rapport
Syndicat majoritaire au Centre Hospitalier de Kourou, l’Union des Travailleurs Guyanais accueille plutôt favorablement ce rapport.
Il ne fait que dénoncer ce que nous avons toujours dénoncé, c’est-à-dire l’absence de gouvernance au sein du CHK, pas de projet médical, pas de projet social, pas de projet politique à long terme.
Olivier Monimofou, secrétaire général adjoint de l’UTG au CHK
En revanche, le syndicat dément les irrégularités sur les rémunérations, qui seraient excessives voire hors normes, selon les rapporteurs. "Les salaires ont été négociés avec des juristes et tout devrait être bien cadré", assure Olivier Monimofou, secrétaire général adjoint de l’UTG au CHK. Selon lui, "si déficit il y a, l’Etat doit prendre ses responsabilités et le couvrir car ça veut dire que les personnes en responsabilité n’ont pas fait correctement leur travail".
Autre réaction, celle de Martine Papaix-Puech, médecin anesthésiste depuis 34 ans à l’hôpital de Kourou et présidente du conseil d’administration. Elle estime que "ce rapport est assez cruel, mais réaliste dans l’ensemble". "Oui, il y a une gestion erratique dans cet hôpital", reconnaît Martine Papaix-Puech. Selon elle, le problème remonte à l’instauration de la tarification à l’activité.
"Elle n’est absolument par adaptée à la Guyane. Elle a mis les hôpitaux en difficultés. Avant, nous avions une gestion saine avec la Croix Rouge. La tarification à l’activité a appauvri les hôpitaux publics et créé du déficit".
Martine Papaix-Puech, médecin anesthésiste
Selon elle, en devenant un hôpital public, "il a aussi fallu engager des médecins et pour les attirer et en trouver, il y a eu des contrats un peu délirants". S’en est suivi "une perte de notoriété et d‘activité". Martine Papaix-Puech veut maintenant garder espoir avec l’arrivée du CHU pour "engager des médecins d’un bon niveau". Elle espère aussi une "direction autonome de l’hôpital de Kourou", ainsi qu’une "hausse et une diversification de l’activité".